Réanimation chez les sujets âgés

Publié le 18 May 2022 à 14:22

 

The contribution of frailty, cognition, activity daily of life and comorbidities on outcome in acutely admitted patients over 80 years in European ICUs : the VIP 2 study.
Bertrand Guidet for the VIP 2 study group, Intensive care Med (2020).

Introduction

Le nombre de patients âgés ne cesse d’augmenter dans les pays développés. De surcroit, le nombre de patient très âgés admis en réanimation augmente également. Il s’agit d’un enjeu de santé majeur. En effet, les dépenses de santé chez nos personnes âgées représentent une part conséquente alors que le taux de mortalité en réanimation est plus élevé que pour les sujets jeunes.

Dans la littérature, le taux de mortalité chez les personnes âgées admises de manière non programmée en réanimation est en moyenne de 40 % à un mois et de 50 % à 6 et 12 mois. Cela montre l’importance d’identifier au mieux les patients susceptibles de bénéficier d’un séjour en réanimation avec pour objectif une qualité de vie acceptable au décours. Il est déjà démontré que l’âge et la sévérité à l’admission en réanimation sont des facteurs prédictifs de mortalité. Il semblerait que la capacité d’un patient très âgé à faire face à une situation aiguë soit corrélée à la présence ou non de syndromes gériatriques (fragilité, déclin cognitif, perte d’autonomie). Cependant, l’impact de ces syndromes gériatriques sur le devenir des sujets âgés n’a pas été établi.

L’objectif principal de cette étude est de mesurer la prévalence des 3 syndromes gériatriques (fragilité, déclin cognitif et perte d’autonomie), de recenser la présence de comorbidités, d’une polymédication et d’évaluer l’influence de ces différents paramètres sur la survie à 30 jours.

Méthodes
Il s’agit d’une étude prospective, observationnelle dont la période d’inclusion a eu lieu de mai 2018 à mai 2019, dans 242 services de réanimation européens (20 pays), turcs et lybiens.

Les patients inclus étaient les patients admis de manière non programmée en réanimation et âgés de 80 ans ou plus.

Les données recueillies durant l’étude étaient :

  • À l’admission en réanimation : Données démographiques (âge, sexe, lieu de résidence), et motif d’admission), évaluation de la fragilité avant admission (score Clinical Frailty Scale) composé de 9 catégories (cf. encadré). Les patients pré-fragiles ont un score CFS à 4 et les patients fragiles ont un score de 5 ou plus. Le score était établie par le patient, les proches ou à partir du dossier médical, l’évaluation de l’autonomie par le score ADL (perte d’autonomie considérée à partir d’un ADL inférieur ou égal à 4), l’évaluation du déclin cognitif par le score IQCODE (déclin cognitif sur IQCODE supérieur ou égal à 3.5, établi à partir des informations des aidants principaux) et l’évaluation du nombre de comorbidités ainsi que la présence d’une polymédication par le score CPS (score considéré comme majeur à partir de 15).
  • Durant le séjour en réanimation : Score SOFA évaluant la gravité du patient à l’admission, la durée de séjour, le recours à la ventilation invasive, non invasive, aux amines vasopressives et/ou l’épuration extra-rénale, la mise en place de limitation ou arrêt des thérapeutiques.
  • Devenir : Évaluation de la survie durant le séjour en réanimation et 30 jours après l’admission en réanimation.

Résultats

  • 3920 patients inclus issus de 22 pays différents et de 242 services de réanimation.
  • Âge médian de 84 ans [81-87].
  • Le motif d’admission principal en réanimation était l’insuffisance respiratoire aiguë.
  • Le score médian de gravité SOFA à l’admission en réanimation était de 6 (IQR 4-9). Presque la moitié des patients a été intubée. Environ 29 % des patients ont été limités sur le plan des thérapeutiques et 14 % ont eu un arrêt des traitements. Les patients limités sur le plan des thérapeutiques étaient plus fragiles et plus sévères. La durée médiane de séjour en réanimation était de 3,9 jours.
  • Sur le plan gériatrique, 72,8 % des patients résidaient au domicile. L’ADL médian est de 6 et le score CFS médian est de 4 (pré-fragile). Le score CFS était recueilli par un membre de l’équipe de réanimation et calculé d’après les informations des proches pour 52 % des patients et par le patient lui-même dans 30 % des cas. Ainsi, 40 % des patients, selon le score CFS, étaient fragiles. Un déclin cognitif et la perte d’autonomie étaient respectivement retrouvés chez 30 % et 28 % des patients.
  • Concernant le devenir, la proportion de patients ayant survécu au séjour en réanimation était de 72,5 %. La survie à 30 jours était d’environ 61 %.
  • L’analyse multivariée a identifié comme facteurs prédictifs de mortalité à un mois : l’âge, le motif d’admission, le score SOFA et le score CFS. Le score CFS restait un facteur indépendant de la survie après l’inclusion des limitations des thérapeutiques actives. De plus, la prise en compte de l’ensemble des paramètres gériatriques (âge, lieu de résidence, sexe, motif d’admission, score SOFA, CPS, CFS, ADL et IQcode) n’était pas meilleure que la variable CFS seule.

Conclusion
L’étude (réalisée avant la pandémie liée à la COVID-19) a permis de montrer que le score Clinical Frailty Scale était un facteur pronostic indépendant de la survie à un mois après une admission en réanimation. Le score a été reporté pour 99,5 % des patients. Ce score à lui seul est donc simple d’utilisation, réalisable pour permettre une décision rapide concernant l’admission ou non du patient en réanimation.

L’avis du jeune gériatre
La fragilité est définie, selon la Société Française de Gériatrie et de Gérontologie (SFGG), comme la diminution des capacités physiologiques de réserve, altérant les mécanismes d’adaptation au stress. Elle peut avoir comme conséquences, lors d’une pathologie aiguë, une perte d’autonomie avec une entrée possible dans la dépendance, des chutes, une institutionnalisation, la réhospitalisation et le décès. Selon l’étude VIP (1), 42,9 % des patients de 80 ans et plus étaient considérés comme fragiles selon l’échelle CFS (score ≥ 5). Cette fragilité était associée à une augmentation significative de la mortalité à trente jours, en comparaison à des patients considérés comme robustes. L’identification des patients âgés aptes à bénéficier d’un séjour en réanimation semble donc indispensable.

L’intervention d’un gériatre en vue d’une prise en charge globale, en collaboration avec d’autres spécialistes, a déjà prouvé son efficacité dans certains services. La création de filières d’orthogériatrie en est un exemple. Il pourrait être pertinent d’étudier l’intérêt d’une collaboration entre gériatres et réanimateurs pour optimiser le devenir des sujets âgés au cours du séjour en réanimation mais également au décours. L’étude française, pré-Seniorea (2), avait permis de montrer qu’une évaluation gériatrique au cours du séjour en réanimation était faisable et acceptable et semble être donc une perspective pour optimiser le devenir des patients âgés après un séjour en réanimation.

Clémence DUJARDIN
Docteur Junior de DES de Gériatrie

Centre hospitalier de Douai
Pour l’Association des Jeunes Gériatres

Références

  • Flaatten H, De Lange DW, Morandi A, Andersen FH, Artigas A, Bertolini G, et al. The impact of frailty on ICU and 30-day mortality and the level of care in very elderly patients (≥ 80 years). Intensive Care Med. 1 déc 2017;43(12):1820-8.
  • Raveau T, Annweiler C, Chudeau N, Gergaud S, Thiery S, Gautier J, et al. Comprehensive geriatric assessment in intensive care unit: a pilot study (pre-Seniorea). Gériatrie Psychol Neuropsychiatr Viellissement. déc 2013;11(4):389-95.
  • Article paru dans la revue “La Gazette du Jeune Gériatre” / AJG N°29

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