Réactions au projet

Publié le 30 May 2022 à 11:18

Courrier du Collège des Enseignants Hospitalo-Universitaires de Médecine du Travail

Le 30 septembre 2018

Madame la Députée

Le Collège des Enseignants Hospitalo-Universitaires de Médecine du Travail souhaite saluer le travail fait dans ce rapport, mais également attirer l’attention sur certains points, qui lui semblent relever de sa compétence.

Parmi les propositions que nous soutenons :

  • La primauté de la prévention par rapport à la réparation (mais sans omettre cette dernière) ;
  • La volonté de simplifier un système de prévention jugé peu compréhensible pour les employeurs, particulièrement les TPE/PME, et pour les salariés, à condition de prévoir d’emblée des indicateurs d’effet ;
  • L'extension des mêmes prestations et mesures de prévention pour les non-salariés ;
  • L’intervention précoce dans le parcours de soin du volet santé travail en tant qu’élément fondamental du pronostic médico-professionnel pour les patients, ainsi que de leur maintien en emploi ;
  • La possibilité pour le médecin du travail d’enrichir le dossier médical partagé du salarié pour y faire part de ses préconisations en termes de suivi de santé, pendant mais également après l’activité professionnelle (suivi post-professionnel) qui participera à une meilleure traçabilité des expositions et une reconnaissance précoce (au sens médical comme au sens de la réparation) des maladies professionnelles.

Sans que cela nuise à la qualité du rapport, le Collège met cependant en garde vis-à-vis de certaines dispositions :

  • Tout d’abord et essentiellement, les missions du médecin du travail ne doivent pas se limiter au suivi individuel de santé systématique et au maintien en emploi des salariés (recommandation N°7, p19 du rapport), mais plutôt à une évaluation globale de la situation médico-socio-professionnelle réelle des salariés intégrant 1) les données de santé, y compris les vulnérabilités individuelles (pathologie sous-jacente, antécédents …), niveau d’incapacité fonctionnelle et retentissement sur les capacités de travail, le cas échéant ; 2) les données sur les conditions réelles de réalisation du travail : organisation générale du travail, contraintes biomécaniques, psychosociales et organisationnelles, marges de manœuvre existantes ou envisageables et obstacles au retour au travail, le cas échéant (Seul le médecin du travail possède la triple connaissance de l’état de santé des salariés, des effets des expositions professionnelles et de la réalité des métiers) ; 3) la situation sociale et les conséquences sociales des décisions notamment relatives au maintien en emploi.
  • Le médecin du travail, compte tenu de sa formation, tant médicale que pluridisciplinaire dans le champ de la santé au travail, est un acteur clé de la prévention secondaire et tertiaire bien sûr, mais également de la prévention primaire. Contrairement aux autres acteurs, la formation médicale offre au médecin du travail une capacité d’intégration de données multiples émanant des différents champs médical, social et professionnel, notamment dans le cadre de la coordination du retour au travail et de la prévention de la désinsertion professionnelle. En cela, il dispose de la compétence et de la légitimité pour coordonner les équipes pluridisciplinaires de santé au travail et ne doit pas être assigné à un simple rôle satellite autour de cette équipe.
  • Le collègue déconseille fortement de déléguer la surveillance de santé à des professionnels non formés et sans connaissance des conditions de travail, tel qu’indiqué dans la recommandation 7 (« ouvrir à certaines catégories de salariés précisément identifiées - par exemple salariés du particulier employeur - la possibilité de faire effectuer leur suivi individuel de santé par des généralistes ayant passé une convention avec la structure régionale »). S’il y a besoin d’un suivi médical adapté au risque, seul un professionnel de santé au travail peut le réaliser. S’il n’y a pas besoin de suivi, pourquoi le confier au médecin généraliste, déjà en surcharge de travail ?
  • La baisse de l’attractivité du métier de médecin du travail si les éléments ci-dessus ne sont pas pris en considération.
  • Enfin, parce que la recherche en santé au travail est peu abordée par le rapport et qu’elle souffre d’un déficit pérenne malgré la qualité de la recherche en France, tant dans le domaine de l’épidémiologie des risques professionnels, la toxicologie des nuisances professionnelles, l’ergonomie, la psychopathologie du travail, la sociologie du travail et des organisations, un soutien fort à la recherche doit être apporté, notamment par le renforcement et la pérennisation des appels d’offre spécifiques dans le champ de la santé au travail (Anses, IResP) et le soutien aux EPST (Inserm, CNRS, …).

Ce rapport, ambitieux, est de nature à modifier profondément l’organisation de la santé au travail en France, sous réserve des textes d’application qui seront promulgués.

Nous restons à votre disposition si vous le souhaitez pour y contribuer et espérons que ces quelques remarques pourront vous éclairer.

Nous vous prions d’agréer, Madame la Députée, l’expression de nos respectueux hommages.

Pour le Collège :
Pr Jean François Gehanno, président

Pr Sophie Fantoni, membre du CA chargée du suivi des réformes

Réponse par mail de Henri Forest

 

Réaction de Présanse au message de M. Henri Forest au Collège des Enseignants Hospitalo-Universitaires de Médecine du Travail en date du 18 octobre 2018.

COMMUNIQUÉ
Paris, le 30 octobre 2018

Le Collège des Enseignants Hospitalo-Universitaires de Médecine du Travail a récemment réagi à la parution du rapport sur la Santé au travail confié par le Premier Ministre à Madame Charlotte Lecocq, députée du Nord, Monsieur Henri Forest, ancien secrétaire confédéral de la Cfdt et à Monsieur Bruno. Dupuis, consultant senior en management, avec l’appui de Monsieur Hervé Lanouzière, Inspection Générale des Affaires Sociales.

Dans sa réponse à cette prise de position et à l’expression de certaines réticences quant aux préconisations du rapport, M. Henri Forest, s’exprimant au nom des co-rapporteurs, défend la création de nouvelles structures, avec « une gouvernance refondée (libérée de l’équivoque que pouvait laisser planer une organisation des SST par les employeurs) ».

Une telle affirmation, même placée entre parenthèses, nous paraît dangereuse à plus d’un titre et laisse penser que la vision sur la gouvernance portée par ce rapport a été guidée par des considérations idéologiques.

En effet, le système global de la santé au travail doit être pensé pour l’entreprise et ses collaborateurs. L’entreprise doit donc pouvoir logiquement conserver sa place dans le nouveau dispositif et gérer directement son SSTI référent, afin que l’offre de service demeure en adéquation avec ses besoins de prévention.

La responsabilité individuelle du chef d’entreprise vis-à-vis de ses salariés en matière de santé-sécurité a effectivement guidé la construction du schéma actuel. Dans un système où l’entreprise devrait verser une contribution financière unique à un organisme parapublic aux moyens gérés par l’Etat, elle perdrait inévitablement sa place et sa capacité de décision. Les entreprises demeureraient ainsi responsables civilement et pénalement mais sans marge de manœuvre en termes de gouvernance et de moyens. Par ailleurs, si les grandes entreprises sont aujourd’hui dans cette situation de maîtrise de leurs moyens, il nous semble équitable qu’il en soit de même pour les PME et TPE.

Dans les discussions qui vont s’ouvrir avec les partenaires sociaux, nous plaiderons pour que le nouveau système permette de laisser, dans la gestion opérationnelle des moyens, une place aux entreprises, PME et TPE aujourd’hui adhérentes de leur SSTI, afin qu’ils puissent rester, en responsabilité, les principaux acteurs de leur politique de prévention en santé au travail.

La proximité géographique des services de santé au travail (20 000 points de consultation à ce jour sur tout le territoire national) et leur dialogue quotidien avec des partenaires entreprises responsabilisés, sont des atouts décisifs pour assurer le développement de la culture de la prévention, car ce sont bien les entreprises et les salariés qui portent au quotidien la prévention primaire.

Enfin, après lecture de la réponse de M. Forest aux professeurs de médecine du travail, la question de la place du médecin du travail dans le système à venir semble rester entière : son animation et coordination d’une équipe pluridisciplinaire paraît remise en cause.

À propos de Présanse : Association à but non lucratif, Présanse est l'organisme représentatif des Services de Santé au Travail Interentreprises. Il en regroupe 240 sur tout le territoire national employant 17 000 collaborateurs dont près de 5 000 médecins du travail. http://www.presanse.fr/

Article paru dans la revue « Syndical Général des Médecins et des Professionnels des Services de Santé au Travail » / CFE CGC n°58

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