Rapport moral : ISABELLE MONTET, secrétaire générale le 27 SEPTEMBRE 2016 27 septembre 2016

Publié le 27 May 2022 à 07:39

 

Placée en amont du thème ambitieux de La psychiatrie du futur que la Société de l’Information Psychiatrique a choisi pour le congrès scientifique, l’assemblée générale du SPH peut bien s’autoriser pour faire un bilan de l’action syndicale à recevoir les influences de la Science sur le statut du temps. Une affirmation posée par le théoricien de la relativité restreinte, Einstein, selon qui la distinction entre passé, présent et futur n’est qu’une illusion, ouvre la voie charmeuse des relations entre science et imaginaire, dont semble relever souvent celles entre psychiatrie et société, syndicalisme et pouvoirs publics.

Et pourquoi ne pas alors se laisser emmener par les qualités de la fiction scientifique ou science fictive qui, devenue science-fiction, a gagné un statut : objet d’étude qui lui a valu trois colloques au centre culturel de Cerisyla-Salle, reconnue comme le genre littéraire des savoirs de l’imaginaire, il lui est attribué le mérite de saisir les enjeux technologiques, sociaux et politiques des sociétés technologiquement saturées et de manière exploratoire, de contribuer à la mise en garde contre les dérives scientistes de la société post-moderne.

Dans le monde réel et bien présent, une nouvelle réforme de la santé a été décidée par le gouvernement : excursions spatio-temporelles et effets vortex accompagnent ses répercussions. Cette nouvelle réforme dite de modernisation est encore une fois qualifiée d’historique par le ministère, 7 ans seulement après la précédente menée par une équipe gouvernementale passée maintenant dans l’opposition : la relativité du caractère historique y est illustrée par l’usage des éléments de langage, mais aussi par l’indistinction passé-présent que permet malgré l’« alternance politique », une opération de dénomination : la RGPP, « Révision Générale des Politiques Publiques » de 2007, devenue avec les mêmes objectifs et des outils semblables, la Modernisation de l’Action Publique, MAP en 2012.

Au début de ce mois de juillet, 135 Groupements Hospitaliers de Territoire ont été officialisés. Ces nouvelles entités spatiales sont les prémisses de la concentration de 850 établissements de santé ordonnée par la loi de modernisation du système de santé. La loi HPST avait poussé aux coopérations en créant la possibilité pour les établissements de santé publics de créer des Communautés Hospitalières de Territoire. Le gouvernement actuel vient de transformer l’absence de succès des CHT volontaires en réussite des GHT obligatoires.

Les assemblages ainsi créés ne sont pas encore des fusions car ils n’ont pas la qualité de personne morale. Cette opération intermédiaire est d’une part utile à la paix sociale pour ne pas heurter le monde hospitalier et les élus locaux, et constitue d’autre part une étape réaliste d’efficacité : pour accroître les chances de fusions réussies, les acteurs de terrain sont appelés à d’abord se connaître, tisser ensemble des liens à partir de filières de soins, mutualiser et déjà rationaliser certaines fonctions. L’émergence de l’établissement support de GHT et le projet médical partagé en sont les instruments.

Pour le coup cette réforme mérite d’être vraiment inscrite dans la jeune histoire de la santé publique, puisqu’elle redessine la place des hôpitaux publics dans le paysage sanitaire national. Les motivations mises en avant pour cette refonte de la planification sont bien évidemment du côté des avantages offerts aux patients grâce à un service public hospitalier rafraîchi : l’hôpital précédemment rénové par la loi HPST, doit participer au parcours de soins facilité et décloisonné, prendre le virage ambulatoire et ne plus négliger les soins de proximité.

Mais comme efficacité ne peut aller sans efficience, le contexte de cette réforme d’ampleur est celui rappelé par le tout récent rapport de la Cour des Comptes et par la Loi de Financement de la Sécurité Sociale : la ministre de la Santé vient de se féliciter du redressement spectaculaire des comptes de la sécurité sociale et annonce même le prochain comblement du trou de la Sécu pour 2017. Parmi les postes d’économies, les GHT sont gages de 505 millions d’euros d’économie sur l’optimisation des achats et de 80 millions d’euros sur les dépenses.

Cette nouvelle réforme hospitalière doit servir le redressement des dépenses sociales qui pèsent dans les débats sur la dette publique. La dette publique, royale ou républicaine, a une histoire : son échelle temporelle ne la réserve pas aux économistes et dépasse celle des carrières politiques des actuels candidats aux fonctions présidentielles : son histoire sociale et politique est aussi un mode d'approche de la construction des états. Désapprouvée au siècle des Lumières par Montesquieu dans « l’Esprit des lois », elle accompagne l’élaboration des démocraties qui en interrogent la légitimité pour l’intérêt du bien public. L’hôpital public, service non marchand est aussi facteur direct et indirect de croissance, et tient sa place dans le secteur de la santé dont les dépenses doivent trouver l’équilibre entre besoins forcément croissants, et modes de financement. L’hôpital tient de plus une place particulière que l’histoire de la médecine situe à la naissance de la médecine moderne : doté de fonctions dont l’importance respective a évolué au cours du siècle, il est producteur de soins et de savoirs, instrument de politique publique, mais également chargé d’une mission d’assistance aux démunis depuis qu’il a pris le relais des aumônes générales et des dépôts de mendicité.

La priorité donnée à l’évolution technologique et spécialisée des soins à l’hôpital mais aussi à la gestion de la production qui en découle, l’a éloigné depuis longtemps de ses fonctions originelles d’assistance aux indigents, mais sans pourtant parvenir à les gommer. La loi de 1998 sur la lutte contre les exclusions a tenté de rétablir et d’organiser le rôle social de l’hôpital en instaurant une obligation de Permanence d’Accès aux Soins de Santé (la Pass) pour les personnes en situation de précarité. Ce dispositif ne connaît pas de bilan d’ampleur nationale plus récent que celui fait en 2003 : le recoupement des enquêtes menées par l’IGAS, la DHOS et l’ANAES concluait alors à un bilan « contrasté ».

Depuis, les alertes sur la croissance des inégalités ne se démentent pas. Il y a quelques jours le rapport de la Cour des Comptes en signalait la croissance en matière d’accès aux soins, en rapport avec un report des coûts sur les charges individuelles par désengagement croissant de l’assurance-maladie. L’Observatoire des inégalités vient également de signaler que le taux de pauvreté augmente, et estime à plus de 1 million le nombre de nouvelles personnes pauvres depuis 10 ans, par l’extension de la crise financière aux couches moyennes.

La loi de santé a traité les inégalités d’accès aux soins sous l’angle du défaut de financement individuel, auquel sont supposées répondre la généralisation du tiers payant et l’extension de tarifs sociaux aux bénéficiaires de Aide au Complémentaires Santé. Mais du fait des fonctions sociales multiformes de l’hôpital public, les conséquences de ce redécoupage inspiré par la quête de l’efficience, ne sont pas encore éprouvées.

Cette fonction sociale de l’hôpital peut aussi se mesurer aux réactions de l’Association des Maires de France et de l’Association des petites villes de France qui ont exprimé leurs inquiétudes quant à la mise en place des GHT : sensibilisés par la carte judiciaire qui avait en son temps supprimé nombre de tribunaux locaux, ils craignent les répercussions négatives des GHT sur l’emploi et les services et manifestent donc peu d’enthousiasme pour des dispositifs qualifiés de « machines à broyer les hôpitaux locaux ». Ils réclament également une plus grande implication dans les instances, insatisfaits des rôles que leur prévoit la loi dans des assemblées aux influences limitées. La loi HPST avait lancé la tendance en modifiant leur place et leurs rôles au sein des établissements, quand les conseils d’administration ont été remplacés par les conseils de surveillance pour des rôles resserrés de simple contrôle et pour des domaines amoindris. Dans de nouveaux territoires dits de démocratie sanitaire, et au niveau de régions agrandies par la réforme territoriale, la loi les place au sein d’assemblées consultatives, les conseils territoriaux qui remplacent les conférences de territoire. Autant dire que du point de vue de l’élu local qui n’a pas la chance d’être celui de la ville de l’établissement support, l’éloignement des GHT frise l’abstraction.

Les risques de gigantisme associés au GHT touchent également les conditions de travail des personnels : d’un point de vue syndical, on peut emprunter au « roman d’anticipation » le pessimisme qui caractérise le genre pour imaginer les conséquence des mutualisations dans des territoires plus larges à couvrir. Les intersyndicales de praticiens exigent conjointement des garanties contre les atteintes aux statuts, des compensations et des mesures concrètes pour accroître l’attractivité professionnelle. On ne voit guère de raisons de se réjouir pour la place des médecins dans les GHT, tant les déséquilibres dus à la loi HPST sont déjà instructifs. Il est donc essentiel que la représentativité médicale et les instruments de contre-pouvoirs soient renforcées dans des espaces de service public toujours plus colonisés par les instruments des grandes entreprises.

A propos d’espace, ce que le mot territoire a gagné en force dans la réforme, il l’a, comme une langue étrangère sur une planète inconnue, perdu en signification. Omniprésent, il recouvre des sens multiples et c’est au domaine de la géométrie euclidienne qu’il faut pouvoir emprunter pour en imaginer les déclinaisons tant les projections multiples des territoires suggèrent des octachones et autres hypercubes.

En effet, on a déjà noté que les territoires de santé maintenant devenus territoire de démocratie sanitaire ne sont pas nécessairement les territoires ou périmètres que doivent circonscrire les GHT. Pour la psychiatrie l’organisation est une aventure à plusieurs dimensions :

- Ainsi, l’article L. 3221-4 désigne une « zone d’intervention » affectée aux établissements autorisés en psychiatrie par l’ARS pour assurer la mission psychiatrie de secteur.
- Mais aussi, le même article cite les « secteurs de psychiatrie » comme des territoires de proximité, qui seront déterminés par chaque établissement dans son projet d’établissement.
- Troisièmement, selon l’article L. 3222-1 c’est sur une zone géographique qui n’est pas nécessairement celle des secteurs de psychiatrie, que les missions de soins sans consentement sont réparties.
- Et également, l’article L. 3221-2 désigne un territoire de santé mentale dont la caractéristique principal est d’être « suffisant » pour associer différents acteurs dans un projet territorial de santé mentale.

Ces divers espaces doivent de plus trouver une articulation avec les territoires de démocratie sanitaire, les territoires de GHT, les territoire de CPT.

Les aires géographiques que les pionniers de la psychiatrie communautaire à la française pensaient avoir gravées en tant que secteurs dans le terrain de la désinstitutionnalisation pèsent donc peu face à la conquête de l’espace sanitaire par la Modernisation des Actions Publiques. Modernisation qui favorise la coexistence ou l’opposition d’univers parallèles.

Il y avait déjà ceux liés à l’histoire : la normalisation de la psychiatrie par l’affiliation des hôpitaux psychiatriques en 1970 dans le système hospitalier commun semblait en cohérence à l’époque avec le mouvement de désinstitutionnalisation et la fin des asiles. Au fil des réformes, la psychiatrie a régulièrement perdu les batailles de la prise en compte de ses spécificités. Si la pensée courte et gestionnaire servant l’efficience y est pour quelque chose, la nature même de la psychiatrie l’encourage, protéiforme et perméable aux évolutions du statut social de la maladie mentale, et au savoir scientifique dominant. Un rapide voyage dans le temps rappelle que dès sa naissance au monde de la médecine moderne, la psychiatrie a tenté de conquérir une identité et revendiqué des modernités périssables :
- À l’époque d’Esquirol, il était bien vu d’être aliéniste et membre du comité de rédaction des Annales d'hygiène publique et de médecine légale, représentant ainsi une psychiatrie médecine sociale. Quelques années plus tard, la neurologie l’emporte sur l’aliénisme avec l’élection de Benjamin Ball, soutenu par Charcot à la tête de la première chaire de spécialité des maladies mentales, contre le favori Magnan.
- La loi de 1838 synonyme aujourd’hui de réclusion asilaire a constitué la première loi du domaine maintenant incontournable de la santé publique.
- C’est au nom de l’hygiène mentale, expression détestable pour l’antipsychiatrie, qu’Édouard Toulouse a poussé à la création de services ouverts.
- Cures de Sakel et électrochocs constituaient les progrès scientifques de l’entredeux guerres et le prix Nobel a récompensé Egas Moniz pour la lobotomie en 1949.
- La psychanalyse, mais aussi le marxisme et la psychothérapie institutionnelle, ont innové dans la lutte contre la chronicité en renouvelant le regard clinique sur les déficients mentaux et la psychose.
- Le secteur constitue la plus importante réforme d’organisation de la psychiatrie publique moderne.

Ces regards multiples touchent aussi la construction de l’identité de psychiatre, médecin d’une spécialité qui tente de se définir en réaction à d’autres : aliénistes versus neuropathologistes, médecins des asiles périphériques versus patrons parisiens, médecins du Cadre nommés par l’état pour le contrôle social versus pratique libérale privilégiant l’intime de la relation, universitaires d’une spécialité de reconnaissance récente versus psychiatres des hôpitaux attachés à une histoire militante. Le nombre important de syndicats en psychiatrie qu’aucune autre discipline n’aura la prudence de nous envier, en est le fruit.

Flanquée de ces superpositions d’identités liées à son histoire, la psychiatrie doit aussi apprendre à cohabiter avec les acteurs mouvants de la santé mentale qui y dictent leurs influences.

Le succès de la démocratie sanitaire en psychiatrie appelle quelques observations :

- L’empowerment qui permet au patient de s’extraire du paternalisme médical rencontre aussi l’intérêt des pouvoirs publics désireux de contrôler les dépenses de santé : la responsabilisation du patient appuyée par l’éducation thérapeutique attend du sujet qu’il développe un pouvoir sur sa propre vie par des pratiques d’auto-santé. Les sociologues y voient le retour détourné du bio-pouvoir politique, également investi par le capitalisme : l’offre cet été de Generali France de proposer un programme d’assurance santé au comportement du client, à partir d’une analyse des données de santé renseignées en ligne et en contrepartie d’offres promotionnelles, en est une illustration. Le bon comportement de santé ainsi récompensé et préféré au sujet à risques annonce le spectre des inégalités en matière d’assurance santé et que condamnent les associations qui ont réagi à cette annonce. Quel comportement responsable est attendu du patient en psychiatrie pour être assuré ?

- L’application à la psychiatrie de la démocratie sanitaire fait aussi objet d’études sociologiques : ayant étudié la participation d’un usager dans un réseau de prévention en santé mentale, Erwan Autès en note les ambiguïtés et les paradoxes entre le rôle effectif de l'usager et ce qu’en présument les professionnels : il est en effet attendu de lui des capacités de participation et d'autonomisation qui peuvent rencontrer les limites de la pathologie et celle plus subtiles de l’assignation sociale faite au malade psychiatrique, et révélatrices dans les faits d’un défaut d’intégration.

- L’application à la psychiatrie de la démocratie sanitaire fait aussi objet d’études sociologiques : ayant étudié la participation d’un usager dans un réseau de prévention en santé mentale, Erwan Autès en note les ambiguïtés et les paradoxes entre le rôle effectif de l'usager et ce qu’en présument les professionnels : il est en effet attendu de lui des capacités de participation et d'autonomisation qui peuvent rencontrer les limites de la pathologie et celle plus subtiles de l’assignation sociale faite au malade psychiatrique, et révélatrices dans les faits d’un défaut d’intégration.

- Les expériences de patients experts, de pairs aidants ou les associations d’entendeurs de voix, viennent comme savoirs profanes appuyer, plus qu’ailleurs, la perte d’autorité scientifique des professionnels. Si à cette remise en cause de légitimité scientifique on adjoint le phénomène de déprofessionnalisation que décrit Lise Demailly pour la société qui procède au déclin des groupes professionnels et à leur perte d’influence sur l’action publique, les psychiatres hospitaliers n’auraient pas d’autres choix que de se démotiver.

D’autres influences s’invitent dans le rapport de force en relation plus ou moins lointaines avec le transhumanisme : l’anthropologue Baptiste Moutaud observe à partir du discours sur leur maladie de patients souffrant de TOC, un processus d’identification des sujets au discours des neurosciences ; en se créant un neurochemical self, leur identité est redéfinie en référence au fonctionnement de leur cerveau. Il suggère que la raison du succès des neurosciences dans la population n’est pas tant liée à la valeur scientifique ou à l’efficacité des pratiques mais à l’attente des sociétés contemporaines en matière de théories sur le pouvoir propre du sujet.

Il faut compter également avec la e-santé mentale : en psychiatrie, des applications sont développées pour que le patient procède seul au recueil et au suivi de ses symptômes, ou à des exercices de TCC, ou utilise des outils informatiques pour faciliter son observance comme le rappel programmé de ses prises de traitement. Il faut sans doute projeter sur le rôle de ces accessoires pour le suivi psychiatrique des patients, puisque 2/3 de l’humanité est diton dotée d’un ordinateur personnel de poche. L’emballement pour ces nouveaux instruments est à mettre en perspective avec l’enjeu sur le marché mondial que constitue l’exploitation des données personnelles et auquel la santé n’échappe pas. Google a annoncé en décembre la création d’une filiale regroupant ses projets dans le domaine de la santé. Si certains projets sont qualifiés de futuristes comme les lentilles de contact mesurant la glycémie, son ambition serait de faire évoluer la médecine vers une meilleure prévention et vers une offre de soins adaptée au comportement à partir des recueils et analyses de données du patient. Un certain émoi a accueilli cependant l’annonce début 2016 que les dossiers médicaux de 1,6 million de patients de trois hôpitaux de Londres avaient été transmis à une entreprise appartenant à Google, avec l’objectif de développer une application pour aider les médecins à surveiller les insuffisances rénales, mais sans que les patients ne soient informés de la transmission de données qui dépassaient le cadre de la recherche.

D’autres partenaires plus ou moins inattendus font partie du paysage actuel ou futur de la santé mentale : au Japon, le vieillissement de la population et l’aide aux personnes dépendantes constitue un enjeu sérieux qui pousse au développement de programmes de robots de services. Une trentaine de centres médicaux ont acheté des modèles de la gamme Partner Robot, capables de parler, apporter un objet, tirer des rideaux. Le robot émotionnel interactif Paro, bébé phoque doté de capteurs et recouvert de fourrure, produit au Japon, rencontre un franc succès en Europe et aux Etats-Unis, dans les EHPAD et les services de prise en charge de la maladie d’Alzheimer. Le robot Pepper a pris place quant à lui comme réceptionniste dans deux hôpitaux belges, à Liège et à Ostende.

Est-on autorisé à y voir la solution future aux problèmes de démographie médicale, aux problèmes de recrutement de personnels, à l’injonction paradoxale à assurer la sécurité des personnes sans avoir recours aux mesures coercitives comme la contention dont la loi attend maintenant qu’elle puisse être décidée, tracée mais non prescrite ?

En 1983, dans son rapport commandé par le ministre Jacques Ralite, Demay écrivait : « la psychiatrie est plus aliénée encore quand elle est fagotée dans les habits d’emprunt anatomo-clinique et hospitalo-centrique du modèle médical ». Ce propos du siècle dernier défendait le projet audacieux de créer une organisation détachée de l’hôpital en installant des établissements publics de secteur hors les murs et voulait donner de l’ampleur à la psychiatrie communautaire appuyée sur le secteur.

La Belgique qui nous accueille vient de faire le choix de concrétiser une réforme qui y fait songer : le projet Psy 107 doit transformer les lits d’hospitalisation psychiatriques dont le nombre est trop élevé pour la moyenne européenne, en circuits et réseaux avec l’objectif d’assurer des soins à domicile à l’aide d’équipes mobiles de traitement intensif et des traitements résidentiels, en réduisant le plus possible le recours à l’hôpital.

Comparativement, en France, si la communauté fait son retour, c’est vidée de son sens « hors les murs » puisque recentrée dans des Communautés Hospitalières de Territoires, sur des établissements partageant le même contrat territorial de santé mentale. En 2016, la psychiatrie moderne vue par le ministère renforce donc ses liens avec l’hôpital et se prive de secteur. Le SPH a combattu pour que les services de psychiatrie ne disparaissent pas dans le vortex des GHT et quelques dérogations ont été accordées. En reconnaissance des spécificités de la psychiatrie, le dispositif des CPT pouvait être un moyen d’exercer ses pratiques professionnelles en lien avec l’organisation sectorisée et dans la continuité des réseaux spécifiques de santé mentale qu’il s’agissait de stimuler. Loin de cela le décret proposé, est un assemblage de principes vagues dépourvu de mesure incitative pour ceux qui veulent continuer d’ignorer la psychiatrie. Il faut finalement lui souhaiter d’être assez vide pour que chaque psychiatre de secteur puisse l’utiliser pour formaliser les liens nécessaires à son action.

La psychiatrie publique est peut-être à un nouveau virage de son histoire, comme ont pu le connaître les promoteurs du secteur. Les temps ne sont plus les mêmes, le contexte politique, tourmenté par toutes les crises, n’est pas favorable aux expérimentations à contrecourant. Ce que le ministère promet pour la psychiatrie est fade, gêné aux entournures pour la ramener du côté médical, prêt à mêler sa part d’ONDAM à celui du MCO pour exécuter sa normalisation. Du côté santé mentale, le soutien est aléatoire, seulement local faute de mesure nationale, dans un contexte très demandeur et peu propice aux solidarités. Mais il faut se souvenir que c’est un mouvement conjoint d’influences et de volontés de réformes qui a constitué le mouvement de désinstitutionnalisation et que plus que des pouvoirs publics, les dispositifs novateurs sont venus du terrain.

J’emprunte à notre collègue Fabienne RoosWeil sa référence à René Char faite dans son article du dernier numéro de l’Information Psychiatrique en citant la « cascade furieuse de l’avenir », pour décrire malgré les obstacles la vitalité, l’engouement et l’acharnement à poursuivre, à propos de son travail en CMP infanto-juvénile : alors soyons furieux, soyons créatifs, recommençons !

Rapport moral adopté à l’unanimité par l’AG

Article paru dans la revue “Le Syndical des Psychiatres des Hôpitaux” / SPH n°12

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