Rapport IGAS - Bilan et perspectives des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens avec les services de prévention et de santé au travail

Publié le 20 Nov 2023 à 10:37

Synthèse 

[1] Au moment de préparer l’ensemble des textes d’application de la loi du 2 aoû t 2021 pour renforcer la prévention au travail, et notamment le décret relatif aux contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) des services de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI), et l’instruction conjointe DGT-CNAM de préparation d’une nouvelle génération de contrats, une commande conjointe du ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion et du secrétariat d’État chargé des retraites et de la santé au travail a chargé l’IGAS d’un bilan de la contractualisation, dix ans après sa mise en place par la loi 2011-867 du 20 juillet 2011. 

[2] Levier important d’inscription des SPSTI dans les priorités nationales et régionales de prévention et santé au travail, le CPOM pâtit aujourd’hui d’un manque de visibilité concernant son usage et son impact. Il s’agissait, dès lors, de réaliser un bilan quantitatif et qualitatif de la contractualisation, en portant une attention particulière au respect du cadre juridique et à l’articulation entre CPOM, projets de service des SPSTI, Plans régionaux de santé au travail (PRST) et convention d’objectifs et de gestion (COG) de la branche AT-MP de l’Assurance Maladie. La mission devait, en outre, apprécier l’impact de la contractualisation en termes d’animation des SPSTI, au service d’objectifs de prévention au travail. Elle devait, enfin, préciser l’insertion des CPOM dans le nouveau cadre de régulation issu de la loi du 2 août 2021, avec l’introduction, notamment, d’une démarche de certification de la nouvelle offre socle de services, et d’un cahier des charges national des procédures d’agrément.

[3] Afin de satisfaire à ces différents volets de la commande, la mission IGAS a abordé le bilan des CPOM au travers de 3 approches conjointes : 
• Deux questionnaires nationaux à l’ensemble des directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS) d’une part, des caisses d’assurance retraites et de la santé au travail (CARSAT) d’autre part, pour obtenir un panorama national quantitatif et qualitatif des CPOM. 
• Des déplacements approfondis dans quatre régions. 
• Une analyse documentaire précise des liens entre PRSTCOG, projets de service et CPOM, pour les services auditionnés de chaque région. 

[4] L’ensemble de ces éléments la conduisent à un bilan qui dégage les enseignements de la période d’apprentissage des atouts et limites de la contractualisation (2012-2022), dans un contexte de profonds changements juridiques et institutionnels (partie 1) et qui confirme la pertinence du CPOM pour renforcer la coordination des acteurs de la santé au travail dans le nouveau cadre législatif et institutionnel (partie 2). Le rapport souligne, cependant, les conditions exigeantes de faisabilité et d’animation nationale et régionale nécessaires à une pleine mobilisation des CPOM au service de la prévention au travail et de l’ensemble des entreprises et de leurs salarié s (partie 3). 

[5] Conduit après une période de 10 ans de déploiement des nombreux outils novateurs instaurés par la loi du 20 juillet 20111, dont les CPOM, le bilan opéré par la mission fait état d’une montée en puissance hésitante, en partie lié e à l’évolutivité du cadre juridique et de l’organisation territoriale de l’État, comme à la recomposition du paysage des services de santé au travail. Il témoigne d’une appropriation encore inégale de la contractualisation, tant par les SPSTI, que par les acteurs institutionnels régionaux. Si l’adhésion reste parfois mesuré e, certaines expériences attestent, à l’inverse, de la dynamique susceptible de découler de CPOM bien menés, et des synergies entre acteurs qui peuvent en résulter, au profit d’actions de prévention mieux ciblé es et coordonné es, mutualisant les professionnalismes et les atouts des différents intervenants. 

[6] Outil nouveau d’animation des SPSTI, le CPOM nécessitait un temps inévitable d’appropriation par les acteurs de la santé au travail. Cette appropriation a été, en partie, compliqué e par l’incertitude créée, au tournant de la première génération de contrats, par les propositions de ré organisation radicale de la santé au travail du rapport Lecocq2 et par la préparation, ensuite, du nouveau cadre législatif issu de l’accord national interprofessionnel de décembre 2020. La publication d’une instruction d’attente en 2019 et d’une seconde en 2021, puis l’impact de la crise sanitaire, ont pesé sur le dynamisme de la seconde génération de contrats, moins conséquente que la première, avec un net attentisme dans certaines régions. 

[7] Les enseignements de la première période ont, toutefois, été mis à profit pour ajuster les contrats de seconde génération des régions qui ont poursuivi leur mobilisation. En particulier, la nécessité de limiter et prioriser les actions, pour garantir un investissement et un suivi approprié s ; mais aussi, l’importance clé d’une contribution réelle de chaque signataire, sous peine, sinon, de susciter un rejet lié à un caractère trop descendant et asymétrique de la contractualisation. Cette maturation collective aurait pu être féconde pour la deuxième génération de contrats, si la durée des CPOM V2 n’avait pas été limitée à deux ans et si le contexte juridique avait été stabilisé . 

[8] Parallèle à des ré formes significatives de la santé au travail comme de l’organisation territoriale de l’État, et marqué e par une crise sanitaire sans pré cé dent, cette période de monté e en puissance contrasté e, sur le territoire, comme entre les deux premières vagues, ne doit, dès lors, pas entraîner de conclusions trop hâtives sur l’intérêt de la dé marche de contractualisation. Elle permet, au contraire, de tirer des enseignements utiles pour la préparation d’une nouvelle génération de contrats, dont la mission confirme l’intérêt pour amplifier la dynamique partenariale initiée, parfois très fructueusement. Coopération qui a joué au profit, particulièrement, de la prévention de la désinsertion professionnelle (PDP), axe prioritaire de la contractualisation, et des coopérations dans la prévention des risques professionnels.

[9] Dans la mesure où les soubassements de la logique de contractualisation systématisé e par la loi de 2011 et l’instruction de 20123 demeurent (nécessité impérative de coordonner les efforts des acteurs pour conforter la prévention primaire des risques ou de la désinsertion professionnels), et où la loi d’aoû t 2021, basé e sur un accord national interprofessionnel, ré investit l’outil CPOM, la mission considère que le contrat conserve tout son sens dans le nouveau contexte issu de la loi. Pour autant, il est fondamental que soit clarifiée la place conféré e à la contractualisation parmi les autres leviers de régulation ou d’animation des SPSTI, et qu’il soit veillé à certaines conditions de pertinence et de succès. 

[10] Alors que le système de santé au travail peine encore aujourd’hui à juguler les altérations professionnelles de la santé et ne parvient plus à poursuivre la dé crue de la mortalité au travail, la mise en synergie des acteurs de la santé au travail est un impératif, pour accroître la performance de la prévention au travail. La mission préconise à cette fin une nouvelle vague de CPOM résolument partenariale, au service, tant de l’affirmation de l’offre socle des SPSTI, que des priorités régionales de santé au travail, dans un continuum qu’il faut conforter avec les PRST. Outre une clarification par l’instruction (et éventuellement les textes réglementaires) du positionnement des différents leviers d’animation des SPSTI, le succès de la nouvelle génération de contrats doit reposer sur un équilibre de l’apport des parties et sur un compromis raisonnable entre prise en compte des ré alité s locales et populationnelles des SPSTI et volonté de capitalisation régionale ; cela conduit à une approche conciliant prise en compte du PRST et des priorité s individuelles des projets de service, et combinant un recueil au moins minimal de donné es quantitatives communes avec une é valuation qualitative systématique des projets individuels. L’adaptation de chaque contrat aux capacité s à faire du service est un é lé ment dé terminant dans l’atteinte des objectifs fixés. Elle requiert une négociation individuelle de contrat, quand bien même un cadre régional est dé fini. 

[11] Cesché ma pragmatique, mais relativement ambitieux, ne peut, cependant, se concevoir sans conforter les moyens d’animation et de suivi de la contractualisation. Le renforcement des CPOM ne se fera pas sans un engagement fort des pouvoirs publics, tant régional que national, dans le pilotage de la contractualisation. Une monté e en puissance de l’animation nationale des acteurs régionaux est indispensable, comme un pilotage régional renforcé de la contribution des SPSTI aux politiques régionales de santé au travail, via les CPOM. Cela passe par un progrès indispensable des systèmes d’information et un renforcement au moins minimal des moyens humains que les DREETS, notamment, consacrent à cette animation (aujourd’hui inférieurs en moyenne à 0,5 ETP dans les DREETS). Cela suppose, également, une amélioration de la coordination entre les différents acteurs institutionnels, tant au niveau national que régional. Un dé cloisonnement est aussi souhaitable en leur sein, entre ré seaux professionnels en charge, pour les DREETS, des PRST et des CPOM et, pour les CARSAT, de la prévention des risques professionnels d’une part, de la prévention de la désinsertion professionnelle, d’autre part. Par ailleurs, une meilleure appropriation des tenants et aboutissants de la contractualisation par les partenaires sociaux, comme leur information, plus régulière, sur le cadre et l’impact des CPOM, leur permettraient de prendre toute leur place dans ce champ, et au CNPST d’être plus à même de jouer son rôle en la matière. 

[12] Modalité plus récente de l’action publique, moins directive et réglementaire que les modes d’action antérieurs de l’État, la contractualisation fait le pari du dialogue et des dé marches gagnant-gagnant. Pour la conserver dans son essence, qui est de ré pondre aux attentes de chacun des signataires et de les faire converger sur des objectifs partagé s, elle requiert, cependant, un investissement tant dans la négociation, que dans l’octroi de contreparties (qui, dans le cadre des CPOM avec les SPSTI, ne sont pas financières), que du suivi et de l’é valuation, enfin. Cela signifie qu’un minimum de moyens humains soient mobilisé s pour lui donner corps et sens. Et que les acteurs de terrain soient tout à la fois plus accompagné s dans la conduite de cette politique (boîte à outils méthodologiques nationale, issue, notamment, du partage de bonnes pratiques, systèmes d’information, animation dé cloisonné e) et doté s de marges de manœuvre régionales, pour pouvoir s’ajuster opportuné ment dans la négociation. La contractualisation doit en effet se distinguer d’approches plus impératives, telles que l’agrément et la certification. La mission souligne, à cet égard, l’intérêt d’envisager une instruction consolidant, comme cela avait é té fait en 2012, la vision d’ensemble de l’intégralité des textes issus de la loi d’août 2021. 

[13] Faute de ré unir ces conditions, les pouvoirs publics seraient contraints à deux solutions également insatisfaisantes : une contractualisation nationalement plus normé e et standardisé e ; un abandon des CPOM, actant la difficulté des acteurs à assumer l’investissement requis pour une dé marche contractuelle. 

[14] Pour la mission, une contractualisation normé e à partir du national est un scénario sub-optimal, bien qu’économe en moyens. Un pilotage renforcé et très descendant des SPSTI n’est pas cohérent avec la préservation de leur autonomie de gouvernance et de financement, ni avec les choix de conservation de la diversité des acteurs opéré s face aux propositions plus radicales du rapport Lecocq. Autant ce pilotage national renforcé apparaît légitime sur une, ou éventuellement deux priorité s, dont la PDP, autant la complète standardisation des contrats plaqué e sur des territoires, et des acteurs, extrêmement différents, pré sente un risque d’artificialisation de la logique contractuelle et de rejet de ce qui pourrait être perçu comme subordination ou instrumentalisation. Sauf à introduire des financements publics incitatifs, ce qui n’est pas sans risque d’effets pervers dans un contexte d’off re socle financé e par la cotisation des employeurs, et de moyens financiers globalement suffisants des SPSTI. 

[15] Abandonner la contractualisation, conduirait à se priver d’un levier d’implication des SPSTI dans les priorité s nationales et régionales de prévention au travail, sans disposer à ce stade d’instruments alternatifs crédibles. La mission privilégie la poursuite d’une approche raisonnablement ambitieuse de contractualisation, reposant sur un renforcement, au moins minimal, des moyens dédiés, sur une contractualisation fortement priorisée, sur une duré e suffisante (4 à 5 ans au moins, en lien avec la duré e des projets de service et des PRST) et sur une animation renforcé e et dé cloisonné e. Mieux outillés et animés, les acteurs régionaux seraient plus efficients. Une meilleure articulation entre travaux du PRST et élaboration des CPOM serait également source de gains d’énergie, comme une coordination renforcé e entre ré seau des DREETS et ré seau des CARSAT. Le bénéfice de la coopération des acteurs au service de la prévention des risques professionnels et de la désinsertion professionnelle parait légitimer un tel investissement, sauf à opter pour des modes de coordination plus organisationnels, non retenus jusqu’à présent.

1. Loi 2011-867 du 20 juillet 2011 relative à l’organisation de la médecine du travail.
2. « Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée », rapport demandé par le premier ministre, établi par
Charlotte Lecocq, Bruno Dupuis, Henri Forest, avec la collaboration d’Hervé Lanouziè re, membre de l’IGAS, remis le 28/08/18.
3. Circulaire DGT no 13 du 9 novembre 2012 relative à la mise en oeuvre de la ré forme de la médecine du travail et des services de santé
au travail.

Auteurs : 
Anne BURSTIN, 
Dr Julien EMMANUELLI,
Dr Claude GADY-CHERRIER
 

Membres de l’Inspection générale des affaires sociales
Rapport IGAS N°2022-043R
Janvier 2023

Article paru dans la revue « du Syndicat Général des Médecins et des Professionnels des Services de Santé au Travail » / CFE CGC N° 70

Publié le 1700473073000