Radiologie : retour aux origines avec le « boss » de la discipline

Publié le 11 May 2022 à 15:56


Henri Nahum n’était pas né lorsque la radiologie a fait ses débuts mais il faut dire qu’il en connaît un rayon. Et pour cause , cet ancien professeur de médecine spécialisé dans le radiodiagnostic, membre honoraire du service de Radiologie de l’hôpital Beaujon de Clichy est également historien et auteur de plusieurs ouvrages. C’est dans son appartement chaleureux, niché en plein coeur de Montmartre, qu’il nous a reçus. Avec ses lunettes tantôt sur le nez, tantôt sur la tête, attablé à son bureau et entouré de livres, le « boss » de la radiologie française nous en parle avec des étoiles dans les yeux. La passion, ça ne s’explique pas, on le sent tout de suite. Il en a des choses à dire ! Mais il veut être précis afin que les débuts de cette discipline soient aussi limpides que captivants. Le Professeur Nahum nous raconte une histoire, celle d’une découverte hors du commun qui changera la médecine à tout jamais.

H.- Racontez-nous comment la radiologie est apparue...
Professeur Henri Nahum.- Tout commence avec un physicien allemand du nom de Wilhelm Röntgen. Il réalise des expériences sur les rayons cathodiques émis par une ampoule de Crookes. Un soir de novembre 1895, comme à son habitude, il enveloppe la fameuse ampoule pour qu’elle soit bien à l’abri et il s’aperçoit que dans un coin de son laboratoire il y a un petit amas de poudre de platino-cyanure de baryum qui est déposé là par hasard et qui s’illumine. « Comme c’est bizarre » se dit-il.. La photo étant son hobby, il photographie l’amas de poudre et il s’aperçoit qu’en effet, sur la plaque photographique, il y a des images. Il a tout de suite l’idée que ce n’est pas du tout par hasard et qu’il y a des rayons, inconnus jusque là, qu’il appelle tout de suite les rayons X. C’était donc le 8 novembre 1895. A vrai dire, il y avait déjà eu un certain nombre de physiciens qui avaient observé ce phénomène mais qui n’y avaient pas prêté attention, Röntgen lui, était un scrupuleux. Il répète ces expériences régulièrement entre le mois de novembre et le mois de décembre, il confirme que ces rayons traversent la matière et sont donc capables d’impressionner une plaque photographique.

H.- Comment cette découverte va-t-elle se diffuser ?
H.N.- Le 5 janvier 1896, le journal viennois Die Presse publie l’information sans avertir Röntgen. Une grande découverte a eu lieu et l’information filtre très rapidement. Elle se répand si vite, tant et si bien que l’empereur d’Allemagne Guillaume II invite Röntgen à Berlin pour faire la démonstration de l’existence des rayons X. Toutes les capitales mondiales sont au courant à peu près en même temps : Londres, Washington, etc. Ça fait la une de la presse partout mais dans le milieu médical, ça ne fait pas tout de suite un boom formidable. Certains sont dubitatifs, et n’hésitent pas à parler de mystification. Ce qu’il faut retenir c’est que la diffusion de l’information est fulgurante, une découverte fortuite en novembre 1895 et le monde entier est déjà au courant deux mois plus tard !

H.- Comment expliquer qu’à la fin du XIXème siècle, avec les moyens de l’époque, une nouvelle aussi importante soit elle, se répande aussi rapidement ?
H.N.- C’était un vieux rêve de l’humanité de voir à travers le corps humain. C’était quelque chose qui paraissait presque impossible, d’où le fait que certains médecins soient assez dubitatifs. Cette découverte était une révolution en terme de médecine, mais son côté « gadget », repris par la grande presse, a certainement joué quant à la diffusion rapide et importante de l’information. Des tas d’expériences « amusantes » pouvaient être tentées. Les magasins Dufayel, qui étaient basés Boulevard Barbès à l’époque, organisaient même des démonstrations gratuites de rayons X.

H.- Justement, parlez nous des débuts de la radiologie en France...
H.N.- Toussaint Barthélémy est un médecin français qui est abonné aux journaux allemands, il a donc rapidement connaissance de cette découverte formidable. Il en parle à son collègue Paul Oudin, et tous les deux contactent Henri Poincaré qui présente à l’Académie des Sciences le 20 janvier 1896 une communication avec une radio de main. Mais c’est Antoine Béclère, qui va pour- suivre l’aventure de la radiologie en France. Ce médecin des hôpitaux de Paris, spécialisé en pédiatrie et maladies infectieuses, comprend très vite que c’est une découverte importante pour la médecine. Il installe à ses frais au cours de l’année 1896 un laboratoire de radiologie dans son service à l’hôpital Tenon et il organise tout de suite un enseignement de la radiologie, qui sera le premier au monde. Ses collègues se moquaient beaucoup de lui, mais ça ne l’empêchera pas de réinstaller un laboratoire à l’hôpital Saint-Antoine, où il est muté. Seule la radioscopie était possible à l’hôpital donc les radiographies étaient réalisées au domicile de Béclère. On l’appelle à juste titre : « le Père de la radiologie française » puisqu’il crée la Société Française de Radiologie médicale et ne cesse de travailler sur le sujet durant toute sa carrière. Après avoir pris sa retraite, il reprendra du service durant la guerre 14-18, qui sera une période charnière pour le développement de la radiologie.


Wilhelm Conrad Röntgen (1845-1923)

H.- En quoi la Première Guerre mondiale est une période importante dans l’expansion de la radiologie ?
H.N.- D’autres guerres avaient déjà eu lieu ainsi que des expéditions coloniales et on s’était déjà aperçu que faire des radios pouvait être très intéressant pour déceler la présence de balles ou pour voir des fractures. Quand survient la Grande Guerre, côté français, on se rend compte que cela est vraiment très utile donc tous les radiologues sont mobilisés (à peine plus d’une centaine en France) pour s’occuper des services de radiologie de l’armée, on organise un enseignement pour eux, au Val-de-Grâce dirigé justement par Antoine Béclère. À ce moment là, Madame Curie jouera un rôle important dans l’essor de la radiologie, elle se dépense sans compter. Cette femme, déjà deux fois prix Nobel, parcourt le front dans tous les sens, avec sa fille Irène dans des ambulances qu’on appelle les « petites Curie » et s’occupe de radiographier des blessés. Si bien qu’à la fin de la guerre, plus personne ne doute de l’utilité de la radiologie, on peut dire qu’elle a acquis ses lettres de noblesse, c’est donc une étape considérable. Après la Seconde Guerre mondiale, les découvertes se sont enchaînées. Apparaissent successivement : l’échographie, la tomodensitométrie et l’imagerie par reconnaissance magnétique (IRM)..

H.- Où en était la radiologie quand vous l’avez « découverte » ?
H.N.- On peut dire que je suis arrivé à un moment « clé » car, à l’époque où j’ai commencé, la radiologie vasculaire faisait ses débuts. En introduisant un produit de contraste dans les artères, nous avions des images du système artériel. J’ai découvert la radiologie exactement au moment où l’imagerie médicale faisait un bond formidable grâce à l’échographie, grâce au scanner et grâce à l’IRM. J’ai d’ailleurs eu l’un des tout premiers scanners à l’Assistance Publique. C’était une révolution, on n’avait jamais pu voir à l’intérieur de cerveau. De même que grâce à la radiologie vasculaire, on a pu voir tout ce qui passait au niveau du foie et prévoir des actes chirurgicaux. L’imagerie médicale a bouleversé la médecine en général et permis des interventions chirurgicales qui ne pouvaient pas exister sans ça.

H.- Qu’est-ce qui vous a le plus marqué durant votre carrière ?
H.N.- Un jour, un de mes patrons à la retraite à ce moment là, me dit : « Il faut absolument que tu ailles à Wimbledon, il se passe quelque chose là-bas ». J’ai donc pris l’avion, et là effectivement le premier scanner avait été installé grâce aux Beatles, qui avaient donné un pourcentage de leurs revenus à la recherche. J’ai donc vu le tout premier scanner, et pour la première fois j’ai vu quelque chose à l’intérieur du crâne. Lorsque je suis rentré dans mon service, je suis allé voir le directeur général de l’assistance publique et j’ai dit que je voulais que le scanner soit ICI ! (rires). Même si ça ne s’est pas passé exactement comme ça, disons que le moment était historique. Au début, des chiffres de densité s’affichaient, je voyais des colonnes de chiffres et en rejoignant ces colonnes on pouvait voir l’intérieur du crâne. Quelques temps après, les images sont apparues. C’était véritablement historique et c’est ce qui m’a le plus impressionné durant ma carrière.

Article paru dans la revue “Le magazine de l’InterSyndicale Nationale des Internes” / ISNI N°18

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