Un édito - un texte court - sur la radiologie interventionnelle est mission quasi-impossible pour celui qui la pratique depuis 1988 (35 ans, merci les internes de me rappeler que le temps passe). Parler de quelque chose que l’on vit, qui nous transporte tous les jours, est à la fois magique mais aussi compliqué pour être objectif. Ce texte sera donc empreint de subjectivité que j’assume mais il relate un vécu et une vision que je souhaite partager avec vous.
Historique
Pour mieux comprendre mon choix de la radiologie dans les années 1980, la radiologie était principalement diagnostique. Certes l’embolisation avait démarré dans les années 1960 puis l’angioplastie en 1977 avec les ballons de Gruntzig. En France, Francis Joffre à Toulouse, Jean-Claude Gaux à Paris, Philippe Marache et Jean-Paul Cécile dans le Nord étaient parmi les pionniers dans ces gestes nouveaux avec des indications qui étaient réservées aux contre-indications chirurgicales ou aux impasses médicales. La radiologie interventionnelle était principalement vasculaire. N’oublions pas la neuroradiologie interventionnelle avec Jean-Jacques Merlan à Paris et Jean-Marie Picard à Nancy. Bien des innovations étaient françaises : dilatation des artères carotides (Jacques Théron), valve aortique (Alain Cribier), embolisation des malformations vasculaires puis des fibromes (Jean-Jacques Merlan et ses disciples), fenestration aortique par la technique des ciseaux (votre serviteur), etc.
Ma rencontre avec Jean-Claude Gaux, un des pionniers en France de la radiologie interventionnelle vasculaire, date de 1986 ; avec lui, en 1988, je démarre mon activité de radiologie interventionnelle, en salle de cathétérisme, à la MGEN de Maisons-Lafitte, où il me laissait faire des artériographies et coronagraphies (et oui à cette époque les radiologues réalisaient encore les coronarographies dans la plupart des centres). Je suis tombé sous le charme et son conseil a été de valider la cardiologie pour ensuite valider la radiologie (nous pouvions à l’époque valider deux ou davantage de spécialités). Découverte à Lille avec Philippe Marache des possibilités thérapeutiques, je fus comblé par le nombre considérable d’artériographies, de phlébographies et d’actes interventionnels que je réalisais - plus de 3000 par an. Le scanner hélicoïdal (années 1990) et l’amélioration des acquisitions par échographie doppler ont transformé le diagnostic vasculaire et réduit peu à peu le diagnostic interventionnel. À l’époque, la fibrinolyse veineuse avec filtre cave temporaire était l’intervention de toutes les nuits pour des indications de phlébite (pas d’héparine de bas poids moléculaire en prévention des opérations orthopédiques ou autres)… l’astreinte de radiologie interventionnelle était tenue par les internes, une fois les 6 mois de stages effectués en radiologie vasculaire. Nous n’avions peur de rien et les nouveaux dispositifs médicaux se perfectionnaient de jour en jour. Dans les années 90, les stents sont venus étendre nos indications d’angioplasties artérielles (puis veineuses) ; nous nous sommes attaqués ensuite à l’aorte avec les stentgrafts aortiques abdominaux (1996) et thoraciques (1998)… les anévrismes, les dissections aortiques, les ruptures isthmiques étaient autant d’indications nouvelles avec des études multicentriques françaises qui nous ont motivés. Les indications sont venues sur le terrain des indications chirurgicales (et les ennuis ont commencé)… nos gestes sont devenus progressivement la référence dans bien des domaines du vasculaire. Depuis les années 2000, les indications en cancérologie, en douleur, en ostéo-articulaire sont apparus et se sont développées avec des pionniers français (cimentoplastie à Amiens, Hervé Deramond), et avec l’apparition de nouveaux dispositifs médicaux implantables ou non.
Mais au fait, c’est quoi la radiologie interventionnelle ?
Le terme de radiologie interventionnelle est apparu dans les textes officiels avec le SROS 2 des ARS, soit dans les années 1993-1994, suivi de près par les décrets concernant le dispositif d’accréditation des médecins (1996). Nous devions d’un côté établir une organisation pour répondre aux besoins de santé dans le cadre du SROS (accès aux soins, PDS), surtout les embolisations périphériques pour hémorragies post-traumatiques ou du post-partum et d’un autre côté définir la radiologie interventionnelle comme spécialité dite à risque comme les chirurgiens (accréditation des médecins en lien avec les primes d’assurances professionnelles qui augmentaient considérablement).
La définition de la radiologie interventionnelle n’a pas été facile à établir entre nous avec des discussions entre les actes qui étaient thérapeutiques et ceux qui étaient diagnostiques, les actes vasculaires avec les autres qui étaient encore peu développés… au final, la définition était établie en fonction des risques engendrés par la pratique de l’acte. Toute effraction d’une barrière cutanée ou d’une muqueuse (hors la pose d’une voie veineuse pour injection d’un produit de contraste) était considéré comme étant un acte de radiologie interventionnelle. Les risques d’infection ou d’hématome étaient communs à tous les actes. Avec la sortie en 2022 des décrets d’activité de la neuroradiologie interventionnelle et de la radiologie interventionnelle (hors neuroradiologie), ces définitions ont été revues, très discutées par les chirurgiens et les instances, mais au final, nous avons pu enfin faire reconnaître cette activité (merci JM Bartoli). Nous devons maintenant détenir une autorisation d’activité de soins (dossiers ARS 2023) :
• En neuroradiologie interventionnelle : L'activité interventionnelle sous imagerie médicale en neuroradiologie concerne les actes diagnostiques et thérapeutiques qui portent sur la région cervico-céphalique et médullo-rachidienne et qui sont réalisés par voie endovasculaire ou par voie percutanée, hors localisation ostéoarticulaire. Les actes portant sur la thyroïde ne sont pas concernés.
• En radiologie interventionnelle, l’activité de radiologie interventionnelle comprend l’ensemble des actes médicaux à but diagnostique ou thérapeutique réalisés avec guidage et contrôle de l’imagerie médicale par accès percutané, transorificiel, transpariétal ou intraluminal, portant sur une ou plusieurs cibles inaccessibles dans des conditions de qualité et de sécurité satisfaisantes sans utiliser un moyen de guidage par imagerie.
Ces décrets d’activité de soins (références) s’accompagnent de plusieurs conditions d’équipements, d’organisation, de qualité, avec des mentions pour plusieurs options en radiologie interventionnelles. Nous pouvons nous féliciter que la radiologie apparaisse comme une activité de soins !
La radiologie interventionnelle : une spécialité à part entière ?
Les responsables de la radiologie et imagerie médicale dans les années 1980 (en France ou dans le monde) considéraient les radiologues interventionnels comme des « monteurs de nouilles ». Nous avons été malmenés pendant longtemps. Des projets en France de création d’une autre société savante, dédiée à cette activité, n’ont pas abouti et le courant en faveur de développer l’interventionnel à l’intérieur de notre spécialité, la radiologie et imagerie médicale, l’a emporté. Ce ne fut pas
le cas aux États-Unis ou en Angleterre où des sociétés spécialisées ont vu le jour. En Europe, le CIRSE fut le premier congrès européen de surspécialités radiologiques, qui réunissait les radiologues intéressés par ces approches nouvelles. Au départ, ce congrès réunissait 800 personnes dans des lieux improbables comme Madère et les discussions entre les équipes européennes étaient viriles mais avec le sentiment de participer à une révolution des pratiques. Maintenant le CIRSE rassemble plus de 10 000 personnes ; c’est un congrès mature mais qui a perdu son âme de jeunesse et qui est devenu standardisé et professionnel. Après quelques années, la radiologie interventionnelle est revenue dans le giron de la radiologie dans tous les pays avec un édito célèbre des anglais : « et si les Français avaient eu raison ? ». Raison de rester soudés, ensemble et solidaire dans la spécialité. Francis Joffre avait le leitmotiv : la radiologie repose sur ces deux jambes : une diagnostique et une interventionnelle. C’est dans cet esprit que la réforme du troisième cycle des études médicales en radiologie et imagerie médicale a été menée (merci Louis Boyer) afin que tous les radiologues sachent effectuer des actes de niveau 1 (exemple : infiltrations, PICC, artériographie, drainage, biopsies, …). L’option RIA (seule option de notre spécialité) est réservée aux actes plus complexes nécessitant un environnement particulier. L’année supplémentaire permet de mettre le niveau de formation à l’identique avec les formations chirurgicales. Il était même discuté avec un bureau de l’UNIR de simplifier la maquette de radiologie en passant toute la spécialité en 6 ans pour éviter les différences entre 40 % d’entre nous. Cela ne s’est pour le moment pas concrétisé.
Au final, la radiologie interventionnelle n’est pas une spécialité à part entière, c’est un regroupement de plusieurs activités que tous les radiologues doivent savoir pratiquer – au moins connaître les indications, les imageries post-interventionnelles et les actes de niveau 1 –. Elle est enseignée dès la phase socle. Pour rappel, les radiologues savaient mieux perfuser les malades que les anesthésistes car nous devions mettre des aiguilles ou cathlons dans des veines des pieds pour les phlébographies ; nous savions dénuder une artère ou une veine ou ponctionner directement une aorte selon la technique de Dos Santos. Avec l’arrivée de la technique de Seldinger et les progrès de l’échographie veineuse, nous avons modifié nos pratiques et notre savoir-faire s’est modifié.
La radiologie interventionnelle est développée par chaque spécialité d’organe de la SFR, et une Fédération de Radiologie Interventionnelle (FRI) permet de réunir les représentants pour articuler ensemble les actions pour la promotion de ces activités. La professeur Hélène Kovacsik en est la présidente actuelle.
Présent. Activité. Enquête FRI
L’activité actuelle est en croissance (plus de 700 000 patients/an ; tout dépend de ce qui est comptabilisé). Chaque année, la FRI, avec le soutien de la SFR et du CERF, réalise une enquête sur les pratiques via un questionnaire anonyme à remplir en ligne en début d’année (merci H. Kovacsik). Les activités sont variées avec notamment un fort développement de la destruction tumorale (> 10 000), des embolisations (>10 000) et de la thrombectomie cérébrale (>10 000). Il ne faut pas oublier que la radiologie interventionnelle est considérée comme une spécialité jeune au regard de pratiques chirurgicales ou médicales (Hippocrate). Nous devons toujours argumenter pour nous faire entendre et développer nos activités. Nous avons été entendus pour la thrombectomie cérébrale du fait des quatre publications princeps de cette technique parue en 2015 dans des revues internationales avec le stent retriever ou la thromboaspiration ; le remboursement de l’activité a commencé en 2018 et nous sommes actuellement à plus de 10 000 patients traités par an. Je vous remercie tous de remplir les enquêtes car les requêtes sur le PMSI, la CCAM ou autres bases institutionnelles n’identifient pas bien notre activité du fait de nombreux actes non reconnus.
Qualité / accréditation des équipes comme les chirurgiens
Nous sommes dans un monde où la traçabilité est obligatoire ainsi que de devoir démontrer d’une part nos pratiques mais aussi démontrer notre implication dans l’amélioration continue des pratiques. La radiologie diagnostique (radiographie et scanner) connaît bien les contraintes réglementaires de l’ASN concernant l’utilisation des rayonnements ionisants. En radiologie interventionnelle, les obligations sont identiques lors d’actes sous rayonnements ionisants. Une démarche qualité avec évaluation par les pairs est indiquée dans les décrets. La radiologie a la possibilité de valider ces obligations par l’adhésion à un programme d’accréditation des médecins ou des équipes – comme 16 spécialités chirurgicales et médicales dites à risques (décret sur l’accréditation des médecins impliquant la cardiologie interventionnelle, l’endoscopie, l’anesthésie réanimation, l’échographie obstétricale, …) –. Ce programme, à l’origine mis en place pour limiter l’augmentation des primes d’assurances (RCP) pour les médecins face au risque de complications est organisée par la Haute Autorité de Santé. Le programme par spécialité est confié à des organismes agréés par la HAS (ODPC-RIM pour la radiologie) ; le programme permet de valider les obligations des médecins pour le DPC et très prochainement de Certification Périodique des Professionnels de Santé (CPPS qui démarre en 2023). Ce programme consiste à suivre des recommandations, des actions et à participer à une déclaration anonyme d’EIAS (évènement indésirable associé aux soins) qui sont revus par un expert (coach) extérieur au centre où exerce le médecin, expert qui aide le radiologue déclarant et pour nous l’équipe radiologique à améliorer ses pratiques. Les EIAS sont analysés à l’échelle nationale pour faire émerger des Solutions Sécurité Patients (SSP) et nouvelles recommandations. Si au début, les EIAS concernaient uniquement l’activité de radiologie interventionnelle, l’accréditation en radiologie permet de travailler nos bonnes pratiques et la sécurité des soins dans l’ensemble de nos activités ; elle s’adresse à tous les radiologues et les pratiques diagnostique et/ou interventionnelle en établissement de santé. Je ne peux qu’inciter les internes dès qu’ils ont un numéro RPPS à s’inscrire dans les équipes qui sont dans ce dispositifs, notamment ceux qui sont inscrits dans l’option RIA.
Avenir de la radiologie interventionnelle
Prédire l’avenir… je vous ai décrit succinctement le passé, le présent (image dans un film qui se déroule à vitesse rapide) et l’avenir est votre ! Je ne peux que vous inciter à être innovant, proactif, visionnaire comme nous avons pu l’être.
Nos efforts actuels sont la poursuite de la réalisation des consultations pré-interventionnelles voire post-interventionnelles. Les consultations d’information pré-intervention sont obligatoires avant tout acte de radiologie interventionnelle. Des recommandations par la FRI existent sur la manière de les conduire. N’oubliez pas qu’en cas de souci, le juge ne regarde que celui qui a réalisé l’acte… vous ne pouvez pas vous retrancher sur la gestion des anticoagulants par l’anesthésistes ou les cardiologues ou bien dire que l’indications n’étaient pas adéquates mais que vous y avez été forcé. De même, le juge considèrera que vous devez vous assurer du suivi post-interventionnel immédiat, à un mois et jusqu’à ce que la pathologie soit réglée ou que vous ayez confié le malade à un autre médecin (oncologue par exemple). Des consultations d’avis sont également possibles.
Nos efforts se poursuivent pour obtenir des lits dédiés ou en lien avec les blocs de radiologie interventionnelle. Une partie d’entre nous gère déjà des lits comme souvent en neuroradiologie, d’autres ont des accès à des lits partagés au sein de leur structure, enfin certains ont des hospitalisations de jour rattachées à leur service/pôle. C’est une lutte organisationnelle primordiale à la fois pour réduire les complications post-opératoires (sécurité patient), mais aussi en termes d’image du radiologue et de son rôle dans les soins.
Les consultations et les hospitalisations nous font apparaître comme des soignants ; cela change le regard des directions à notre encontre ; nous sommes dans le parcours de soins non pas comme « prestataires » mais comme soignants. L’intérêt est également financier avec un regard positif pour l’optimisation des activités (d’un centre de coûts nous passons à un centre de recettes ; nous récupérons des GHS et non des actes CCAM).
Avoir son propre recrutement (pas habituel pour un radiologue habitué à attendre la demande), s’insérer dans les parcours, assurer la PDS en radiologie interventionnelle, développer les innovations en radiologie pour des indications curatives ou palliatives (oncologie, soulager les douleurs, sauver des vies, améliorer le confort des patients, …) sont autant de défis pour nous que beaucoup de spécialités nous envient.
La radiologie interventionnelle est une activité dite « mini-invasive » ; cela implique des croyances comme celle que cette activité est sans danger, facile à réaliser, accessible à tous les patients, réalisable par tous les chirurgiens, médecins et autres spécialistes auto-désignés ! Non, ce sont des activités de notre spécialité qui sont complexes, sources de complications, qui sont le fruit d’une connaissance fine de la radiologie et des imageries permettant de poser l’indication, de choisir sa voie d’abord, ses matériels et qui demandent beaucoup de pratiques et d’années de formation. Non, tout le monde ne peut pas le faire mais nous ne pouvons pas empêcher certaines spécialités de s’y intéresser. Nous ne les formons pas aux interventions mais ils doivent connaître nos indications et nous devons intégrer nos pratiques dans celle d’autres spécialités. Notre rôle est justement de collaborer avec tous sans être naïf.
Les salles hybrides ne servent pas à grand chose et nous devons nous organiser dans nos blocs de radiologie interventionnelle, avec nos matériels. Des centres de recherche collaborent avec des chirurgiens pour mettre en point des interventions qui ensuite seront miniaturisés (ou non) pour être transmises à des centres experts puis des centres de proximité. Certains actes resteront très centralisés compte tenu d’un nombre peu important de patient. Le nombre d’intervention est au final un des marqueurs de qualité. Au siècle dernier, un chirurgien se vantait de pouvoir réaliser 350 types d’interventions ; aujourd’hui le chirurgien doit en faire moins mais en nombre suffisant. Cela a conduit à une hyperspécialisation et également à forcer les indications… Il y a toujours des effets pervers dans toute décision, organisation, … Cette évaluation est vraie pour toutes les activités de soins, notamment les activités de radiologie interventionnelle.
Dans l’avenir, nous aurons également une assistance par des robots, de l’IA, des solutions de simulation, de guidage, des dispositifs médicaux connectés permettant de suivre la maladie, l’usure du matériel, des paramètres vitaux, fonctionnels, …
Ce serait trop long de faire une liste exhaustive des innovations et faux. Les innovations sont classées en 3 groupes : innovation de matériels (équipements, DM, …), numérique (imprimante 3D, simulation, IA, …) et organisationnelle. Elles sont de rupture ou incrémentales. Je vous invite à être souple pour intégrer ces innovations dans vos pratiques de demain. Le radiologue est un innovateur !
En conclusion, il me peine de terminer cet « édito » – cet article – que certains trouveront déjà bien long… j’aurais pu écrire un livre mais je dois m’adapter aux consignes ! Pas facile de synthétiser sur un sujet que vous aimez ! Ce que je vous souhaite, c’est de garder la passion de votre métier jusqu’au bout ! Soigner, enseigner, chercher sont des missions extraordinaires et vous devez vous battre pour les conserver alors que l’argent et la facilité vous entraînent dans des chemins parfois éloignés de notre métier. La radiologie interventionnelle regroupe des activités formidables au sein de notre métier et je souhaite à tous de l’apprécier notamment pour le bénéfice patient qu’elle apporte.
Références
Pr Jean-Paul Beregi
Président du CERF
Article paru dans la revue “Union Nationale des Internes et Jeunes Radiologues ”/RADIO ACTIF N° 47