Quelle psychiatrie dans un système de santé moderne ?

Publié le 26 May 2022 à 13:38

 

Nous avons tous essayé de suivre les différentes réécritures du projet de loi de santé porté par Mme la ministre Marisol Touraine, ses évolutions, ses multiples amendements et ce jusque dans les dernières heures.
Ce texte a commencé son parcours parlementaire, et fait l’objet d’une décision de procédure d’urgence à la demande de la ministre.
Le débat de la loi en séance publique, devenue entre-temps « de modernisation de notre système de santé », devrait achever une étape avec un vote solennel le mardi 14 avril 2015 à l’Assemblée Nationale avant de passer au Sénat.

La Stratégie nationale de santé
A été présentée en septembre 2013 par la ministre, avec pour ambition de définir un cadre à l’action publique pour la décennie à venir.
Je cite : « Il s’agit à la fois de faire enfin de la prévention une priorité, de combattre les injustices et les inégalités de santé et d’accès au système de soins, d’adapter le système de santé français aux besoins des patients, ainsi qu’aux mutations qui sont à l’œuvre, comme par exemple le vieillissement de la population, le développement des maladies chroniques, l’exigence d’information, la proximité territoriale… ». A l’issue de différents débats publics et dans les régions, le projet de loi de santé a été présenté en Conseil des ministres le 15 octobre 2014.

Les psychiatres des hôpitaux se sont émus dès l’annonce de ce projet, du peu de place consacrée dans le texte à la psychiatrie et la santé mentale : un seul article dans un projet de loi qui en comprenait alors quarante sept, et sur moins de deux pages !
Le gouvernement ayant oublié les promesses du candidat Hollande en 2012 de faire aboutir une loi cadre de psychiatrie et de santé mentale, nous avions dû nous contenter en 2013 d’un début de réforme de la loi de 2011 et dans ce projet de santé d’un simple volet d’organisation !

Est-ce que ce volet allait réconcilier la psychiatrie avec les réformes ?
Est-ce que l’article 13 de la loi de santé pouvait concrétiser les attentes des usagers, familles et professionnels en termes d’organisation de la psychiatrie au sein de la santé mentale ?
Les annonces de la ministre de la Santé le 24 septembre 2014 à Saint Anne, faisant référence au « secteur de psychiatrie » ainsi qu’au rétablissement des chefs de secteurs que la loi HPST avait supprimés, pouvaient en effet présenter des avancées significatives.
Il fallait que cette reconnaissance affichée se traduise dans la clarification de plusieurs articles du projet de loi de santé.

Le projet de loi de modernisation du système de santé
Globalement, c’est une loi de santé publique qui comporte des orientations intéressantes concernant la santé de nos concitoyens et pour l’hôpital public.
Notamment, elle doit restaurer le Service Public Hospitalier qui avait été gommé par la loi HPST. Elle rétablit la notion de Service (de Secteur ?) comme facteur structurant de l’activité hospitalière, en laissant au pôle un rôle essentiellement médico-économique.
Elle oblige à revoir le maillage territorial qui peut être aujourd’hui inadapté aux besoins de la population et à la démographie des soignants, via les Groupements Hospitaliers de Territoire (GHT).

Après le service territorial de santé au Public, place aux Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (Article 12)
Quelques points paraissaient essentiels dans la première version du projet comme le concept de service territorial de santé au public. Il a fait long feu et sa disparition a été annoncée le 13 mars 2015 par la ministre de la Santé car symbolisant aux yeux de la médecine libérale le contrôle des Agences Régionales de Santé.
Pour rappel, dans chacun des territoires, le service territorial de santé au public devait « concourir à la réalisation des objectifs du projet régional de santé et avait pour objet, par une meilleure coordination des acteurs intéressés, l’amélioration et la protection de l’état de santé de la population ainsi que la réduction des inégalités sociales et territoriales de santé. ».

Cet article 12 maintenant réécrit, a pour objet de « promouvoir les soins primaires et favoriser la structuration des parcours de soins ».
Seront créées des « communautés professionnelles territoriales de santé », outils « à la main des professionnels de santé pour montrer qu’il n’y a pas de recherche d’étatisation de la médecine libérale ».
La ministre a ainsi présenté le 18 mars 2015 en commission des affaires sociales les amendements spécifiques après l’article 12 :
Le rôle central du médecin généraliste est affirmé, tant au sein des équipes de soins primaires que dans le cadre des délégations de tâches.
L’équipe de soins primaires est ainsi définie comme « un ensemble de professionnels de santé constitué autour de médecins généralistes ».
La structuration des parcours de santé et la coordination entre les acteurs de premiers recours devant revenir aux généralistes. Ceux-ci seront chargés de coordonner les auxiliaires médicaux en pratique avancée.

Dans ses derniers amendements, le 18 mars, la ministre Marisol Touraine propose de « promouvoir les soins primaires et de favoriser les parcours de santé, sur la base des communautés professionnelles territoriales de santé constituées des acteurs de premier et de deuxième recours ainsi que des acteurs médico-sociaux. ».
« Elles doivent permettre de structurer les parcours de santé, notamment pour les patients atteints d’une maladie chronique, les personnes en situation de précarité sociale et les personnes en situation de handicap ou de perte d’autonomie. ».

Les secteurs de psychiatrie ont, depuis leur création, occupé une place de soins primaires de premier recours ainsi que de second recours. Ils ont également été à l’origine de multiples actions de prévention et d’accompagnements coordonnés.
L’accès direct et gratuit aux structures ambulatoires pour la totalité de la population, a permis le développement d’un dispositif de soins psychiatriques exemplaire pour l’ensemble des autres disciplines car connecté avec l’ensemble des professionnels de santé et du réseau de structures médico-sociales.

La politique de santé mentale, évolutions, amendements et réécritures de l’article 13
Le ministère a réécrit intégralement l’article 13 avant son passage à l’assemblée. Le gouvernement introduit la notion de projet territorial de santé mentale, il qualifie la psychiatrie de secteur de mission qui se décline de manière particulière pour les enfants et adolescents.
L’article 13 du projet de loi de santé dans sa première version se proposait de donner un cadre à une politique de santé mentale :
Il est précisé que l’ensemble des acteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux concernés et notamment les établissements autorisés en psychiatrie contribuent à la politique de santé mentale.
Cette politique est mise en œuvre par des actions de prévention, de diagnostic, de soins, de réadaptation et de réinsertion sociale.

La politique de santé mentale avait été placée dans cette première version dans le cadre du « service territorial de santé au public » dont on a vu la disparition.
Elle est maintenant déclinée, dans l’amendement n°2217 du gouvernement en date du 27 mars 2015, selon un projet territorial de santé mentale, « dont l’objet est l’amélioration continue de l’accès des personnes concernées à des parcours de santé et de vie de qualité, sécurisés et sans rupture, est élaboré et mis en œuvre à l’initiative des professionnels et établissements travaillant dans le champ de la santé mentale à un niveau territorial suffisant pour permettre l’association de l’ensemble des acteurs ».
Il est précisé dans l’exposé des motifs que « le présent amendement met en place, en sus de la coordination organisée en proximité autour de la psychiatrie de secteur, une coordination de deuxième niveau nommée projet territorial ».

Coordination de proximité
La mission de psychiatrie de secteur située « au sein de l’activité de psychiatrie » doit garantir à l’ensemble de la population :
« 1° Un recours de proximité en soins psychiatriques, notamment par l’organisation de soins ambulatoires de proximité, y compris sous forme d’intervention à domicile, assuré par des équipes pluriprofessionnelles, en coopération avec les équipes de soins primaires et les communautés professionnelles de territoire ;
« 2° L’accessibilité territoriale et financière des soins psychiatriques ;
« 3° La continuité des soins psychiatriques, notamment pour les patients dont les parcours de santé sont particulièrement complexes, y compris par recours à l’hospitalisation, avec ou sans consentement, en assurant si nécessaire l’orientation vers d’autres acteurs afin de garantir l’accès à des prises en charge non disponibles au sein des établissements assurant la mission de psychiatrie de secteur. ».

Ce texte reprend le concept de mission de secteur qu’il globalise en le mettant au singulier plutôt que « d’activités » dont on critiquait le risque majeur de morcellement.
Nous rappelons que bien plus que la simple mise à disposition de moyens au sein d’un territoire, la sectorisation psychiatrique est un modèle thérapeutique, et ne peut être efficace que si les particularités de ses missions sont prises en compte dans son organisation :
- Mission de soutenir sur la durée la continuité des soins adaptée à la diversité et aux variations évolutives des troubles psychiques. Mais « la mission de psychiatrie de secteur » ne doit pas cliver d’un côté les soins ambulatoires dits de proximité et de l’autre, l’hospitalisation à laquelle de simples liens, fragiles, avec d’autres acteurs, permettrait d’avoir recours.
- Mission de favoriser la continuité relationnelle avec un patient, sa famille à partir d’une même équipe de soins et à toutes les étapes de la prise en charge de sa maladie, sans exclure la liberté de choix des usagers.
- Mission de rendre aisément accessibles et de manière cohérente plusieurs types de prise en charge pour répondre à la diversité des situations et à leur évolution. L’accessibilité aux soins en psychiatrie n’est pas limitée à la question de l’accessibilité géographique de territoire.
- Mission d’assurer l’articulation avec les autres domaines de la santé mentale liés aux besoins sociaux et sanitaires non psychiatriques.

Le secteur psychiatrique dans sa mission généraliste, doit véritablement lier, au sein d’un même dispositif de continuité relationnelle, coordonnée par un chef de secteur ayant autorité fonctionnelle, les soins ambulatoires et les soins hospitaliers.
Il doit favoriser le développement de partenariats intersectoriels ou supra sectoriels pour des prises en charge spécifiques, en structurant les liens avec les acteurs de santé mentale du territoire défini.

Le directeur général de l’agence régionale de santé devra désigner, parmi les établissements de santé autorisés en psychiatrie et « assurant le service public hospitalier » ceux d’entre eux qui assurent la psychiatrie de secteur et sa déclinaison pour les enfants et les adolescents.
Il devra leur affecter une zone d’intervention, afin que l’ensemble de la région soit couvert.
Le texte fait bien référence aux établissements chargés de la mission de psychiatrie de secteur sur une zone d’intervention, et non à une remise en place des secteurs.

Alors libre aux établissements d’organiser la réponse en soins psychiatriques sur une zone ? Est-ce que cela se fera sur la base des services dont le rétablissement fait également partie du projet de loi ?
« Chaque établissement détermine dans le projet d’établissement .../..., les modalités d’organisation et de fonctionnement de cette activité dans la zone qui lui a été affectée. ».
Il n’y a là plus d’ambigüité, ce n’est pas le projet médical mais bien le projet d’établissement déterminé par le directeur qui définira à partir de chaque établissement les modalités d’organisations et le contour des équipes.
L’amendement précise que la psychiatrie de secteur est « assurée par des équipes pluriprofessionnelles, en coopération avec les équipes de soins primaires et les communautés professionnelles de territoire ».

La reconnaissance de la Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent ?
Dans la dernière proposition une phrase fait état des spécificités de la psychiatrie infanto-juvénile :
« La mission de psychiatrie de secteur se décline de façon spécifique pour les enfants et les adolescents. ». Est-ce que cette ligne suffira à modifier les orientations évoquées depuis quelques années par les pouvoirs publics sur le découpage de la spécialité entre sanitaire et médico-social, ce dont le rapport Couty s’était fait l’écho ?

Coordination de deuxième niveau, le Projet Territorial de Santé Mentale
Le Gouvernement explique dans l’exposé des motifs que « le présent amendement met en place, en sus de la coordination organisée en proximité autour de la psychiatrie de secteur, une coordination de deuxième niveau nommée projet territorial ».

Le texte crée « l’obligation pour les projets territoriaux d’organiser un ensemble de dispositifs et services permettant de garantir aux personnes concernées l’accès à tous les soins que leur état de santé requiert et à l’accompagnement adapté à leur situation sociale, en répondant à des thématiques prioritaires déterminées par voie règlementaire (insertion des personnes handicapées psychiques, réponses aux troubles addictifs par exemple). ».

L’amendement prévoit que les établissements signataires d’un même contrat territorial de santé peuvent constituer entre eux une communauté psychiatrique de territoire pour la mise en œuvre d’un projet médical commun. L’amendement intègre également la contribution des conseils locaux de santé (mentale) dans l’élaboration des diagnostics et projets territoriaux.

La question essentielle de ces nouveaux dispositifs est celle du pilotage. Est-ce que cela se fera à partir des professionnels et des projets médicaux, mais coordonnés par qui ? ou sur l’injonction des différents hôpitaux et de leur directeurs sur la base de modèles d’économies d’échelles et de regroupements ? ou enfin sur décision descendante des ARS ?

Enfin, des imprécisions ou ambiguïtés doivent être levées sur d’autres sujets tels que la participation obligatoire de la psychiatrie à des GHT non spécifiques.

Les Groupements Hospitaliers de Territoire GHT (article 27)
La ministre précisait à l’automne que cet « article vise à conduire les établissements publics de santé d’un même territoire à se coordonner autour d’une stratégie de prise en charge partagée avec obligation d’adhésion à un groupement hospitalier de territoire. ».

« Ces groupements hospitaliers de territoire (GHT), qui se substituent aux communautés hospitalières, sont responsables de l’élaboration d’un projet médical unique entre les établissements publics de santé d’un même territoire, dans le cadre d’une approche orientée vers la réponse aux besoins de santé de la population et pas seulement de coordination de l’offre de soins ».

La lecture de l’amendement gouvernemental concernant les GHT a de quoi nous inquiéter. Nous qui avions imaginé des GHT constitués autour d’un projet médical commun, porté par les équipes médicales et validé par une Commission Médicale d’Etablissement commune !
Il n’est maintenant nullement question de CME commune, mais de “comité stratégique” constitué de directeurs, de présidents de CME et de directeurs des soins. Par contre, le « projet médical partagé » doit être dans la convention constitutive, alors comment est-il élaboré ? Par ce « comité stratégique » ?

Aucune chance qu’un projet médical conçu dans le cadre d’un « comité stratégique » ne rencontre l’adhésion des équipes médicales de terrain. C’est la raison même de l’échec des Communauté Hospitalière de Territoire qui restent très souvent des coquilles vides.
Le projet médical des GHT doit être élaboré dans le cadre d’une CME commune.

Les spécificités de la psychiatrie rendent impératif à tout établissement gérant un secteur de psychiatrie de pouvoir participer à plusieurs GHT dont au moins un de psychiatrie et de santé mentale.
Il faut penser la possibilité d’une organisation de la psychiatrie et la santé mentale sur un même territoire permettant une véritable politique déclinant des dispositifs sectoriels, intersectoriels, supra sectoriels. Ces dispositifs de soins doivent pouvoir associer, au gré des territoires, divers types d’établissements EPSM, Hôpitaux généraux, CHU, établissements médico-sociaux, ESPIC, …
Nous avions dit à l’époque l’intérêt de penser à un cadre juridique commun pour la psychiatrie et la santé mentale de type Groupement de Coopération Sanitaire Etablissement, cela semble toujours d’actualité.

Marc BÉTRÉMIEUX
Président du SPH

Article paru dans la revue “Le Syndical des Psychiatres des Hôpitaux” / SPH n°09

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