Modèle de l’une des plus grandes plateformes d’enseignement par simulation en France : « iLumens »
Interview du Pr Antoine TESNIERE, Vice-doyen de la faculté Paris Descartes, Co-fondateur et Directeur scientifique d’iLumens.
Par Fabien PICARD (CCA à Paris) et Théo PEZEL (interne à Paris),
membres de la Commission d’Enseignement par Simulation (COMSI)
de la SFC sous la présidence du Pr Pascal GUERET.
Il existe de nombreux centres de référence pour l’enseignement par simulation en France comme par exemple le GIS ALPHUSS du CHU d’Angers, le CUESiM de la Faculté de Nancy, le SimUSanté de la Faculté d’Amiens ou encore le Medical Training Center du CHU de Rouen…
Afin d’illustrer au mieux ce nouveau mode d’enseignement, nous vous proposons de découvrir le département iLumens de l’Université Sorbonne Paris Cité, et développé initialement au sein de l’université Paris Descartes.
A quoi correspond l’enseignement par simulation en pratique ?
L’enseignement par simulation est une approche qui permet de reproduire des conditions réelles d’apprentissage grâce à différentes techniques et outils pédagogiques, dans le but de former des soignants à des prises en charge clinique. C’est une réponse pédagogique à plusieurs problématiques majeures, et notamment la qualité et la sécurité des soins. « 500 000 évènements indésirables graves surviennent annuellement en France, dont au moins 70 % sont liés à des facteurs humains, générant au total plus de 40 000 décès par an dus aux risques liés aux soins ».
Le rationnel est que la simulation répétée de cas permet de corriger un grand nombre de ces erreurs et défaillances, notamment grâce à l’apprentissage des compétences non techniques et a la formation aux facteurs humains. En effet, notre cursus médical traditionnel mais également notre formation médicale continue n’intègrent pas suffisamment les notions de gestion des risques en médecine, notamment. Au cours de la gestion de situations d’urgence, la mise en oeuvre rapide, sinon instantanée de stratégies diagnostiques et thérapeutiques nécessite souvent un travail en équipe, dont les spécificités propres ne sont pas enseignées actuellement dans nos facultés (les cursus médicaux et paramédicaux étant par ailleurs dissociés).
L’enseignement par simulation cherche donc à mieux former aux gestes techniques, aux approches interprofessionnelles et aux aspects relationnels du soin pour mieux préparer les personnels médicaux et paramédicaux à travailler en équipe, en tentant d’apporter une réponse à ces lacunes de l’enseignement traditionnel concernant la gestion de situations de crise, dans des conditions très proches du réel sans contrainte pour les patients.
Quels sont les outils de ce mode d’enseignement en Cardiologie ?
En cardiologie, l’enseignement par simulation correspond essentiellement à l’apprentissage de la gestion de situations d’urgence en équipe (arrêt cardiaque...), de gestes techniques interventionnels invasifs en coronarographie ou électrophysiologie, de techniques d’échocardiographie trans-oesophagienne, ou d’approches relationnelles.
En effet, des mannequins plus vrais que nature qui respirent, saignent et réagissent aux soins selon un scénario pédagogique préalablement défini, permettent un entraînement répété sur des mannequins de plus en plus techniques et variés.
Cela permet d’entraîner les apprenants et de recommencer à l’infini la pratique de certains gestes, encadrés par des formateurs experts : pose de voies centrales, intubation, introduction de l’ETO, ponction radiale ou fémorale…
Ces séances d’apprentissage sont associées à un retour direct des formateurs, et à une auto-évaluation grâce à des grilles standardisées vous permettant de situer très rapidement les points à améliorer dans votre pratique.
En tant que co-fondateur de ce centre pouvez-vous nous raconter l’histoire et le principe de cette plateforme iLumens ?
Le centre a été créé en 2011, orienté autour de la formation des professionnels de santé. Progressivement, de nombreuses spécialités médicales, de nombreux métiers, et de nombreuses thématiques ont intégré les programmes de formation en simulation. Les activités se sont rapidement développées, et le concept a été étendu à partir de 2015 aux universités partenaires au sein de notre Comue Sorbonne Paris Cité. Il existe donc maintenant 3 plateformes de simulation iLumens qui fonctionnent sur le même modèle sur les universités Paris Descartes, Paris Diderot et Paris Nord.
Notre département dispose de différentes salles de simulation équipées avec tout le matériel standard que l’on trouve dans un hôpital :
- Plusieurs salles de simulation haute fidélité.
- De nombreux mannequins, adultes, pédiatriques, obstétricaux, nouveaux-nés, prématurés, etc.
- 1 salle de simulation virtuelle.
- De nombreux simulateurs avancés comme par exemple des simulateurs d’échocardiographie cardiaque (ETT et ETO).
- 1 bloc opératoire de chirurgie lourde et de radiologie interventionnelle.
Le centre dispose également de nombreuses salles de débriefing modulables grâce à des cloisons amovibles.
Mais finalement l’enseignement par simulation ça sert à quoi ? Avons-nous des preuves concrètes de son intérêt en pratique pour les patients et les étudiants ?
Il existe en effet de nombreuses preuves scientifiques dans la littérature de l’impact clinique de l’enseignement par simulation à la fois sur les apprentissages mais surtout sur l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins. Nous pourrions citer par exemple la méta-analyse publiée en 2013 dans le JAMA (1) proposant une synthèse de 609 études traitant du sujet avec un effet bénéfique systématique de la formation en simulation assistée par ordinateur en comparaison à l’absence d’intervention : effets importants sur l’amélioration de l’acquisition des compétences et des comportements, ainsi que des effets modérés sur les résultats des patients. De la même façon, une expérience récente au sein du service de Cardiologie de l’hôpital Cochin, présentée cette année à l’EuroPCR, nous a permis de démontrer que l’apprentissage de la coronarographie à l’aide du simulateur était plus efficient par rapport à un enseignement traditionnel.
Quelle est la place officielle de l’enseignement par simulation aujourd’hui en France pour les internes ?
Il faut savoir que l’enseignement par simulation fait aujourd’hui partie intégrante des textes régissant la nouvelle Réforme du 3e cycle pour les différentes maquettes des DES. Bien conscients d’une réelle hétérogénéité de l’accès à cet enseignement en France, nous sommes impliqués pour réussir à homogénéiser cette formation sur l’ensemble du territoire, notamment grâce à une approche permettant la définition de programmes communs.
Localement, les équipes universitaires de Cardiologie de l’université Paris Descartes proposent déjà un enseignement par simulation dans différentes spécialités cardiologiques. Ainsi, tous les internes bénéficient d’une formation sur simulateur au rythme de 4 à 5 séances par semestre. En fonction des spécialités de chacun, cette formation est orientée vers l’ETT et l’ETO ou vers les techniques de cardiologie interventionnelle (coronarographie simple, angioplasties, désocclusions chroniques). Par ailleurs, il est possible que dans les années à venir, une part pratique sur simulateur rentre dans l’évaluation de la formation théorique des internes de chaque sous-spécialité (imagerie, interventionnel, rythmologie). A plus grande échelle, pourquoi ne pas imaginer qu’il soit un jour obligé de valider sa formation continue sur simulateur, à l’image des pilotes d’avions qui doivent effectuer un certains nombre d’heures par an pour pouvoir continuer à piloter ?
Comment faire si en tant qu’assistant ou chef de clinique, on souhaite se former pour devenir formateur de manière à pouvoir encadrer nos étudiants sur plateforme de simulation ?
Il existe aujourd’hui différents modes de formation dédiée au futurs formateurs en simulation : Diplômes Universitaires (DU), Diplômes Inter-Universitaires (DIU), ou encore des « MasterClass iLumens » que l’on organise à travers une formation de 5 jours, organisée plusieurs fois par an au sein de nos locaux.
- Pour plus d’informations sur ces MasterClass : www.ilumens.fr rubrique « formations »
Le but étant de pouvoir participer à l’implantation et à l’extension de ce mode d’enseignement qui représente une réponse concrète et efficace pour améliorer la formation des professionnels de santé, et faire diminuer le nombre d’évènements indésirables graves liées à des facteurs humains !
L’enseignement par simulation peut-il également être un sujet de recherche clinique ?
Tout à fait !
L’environnement proposé par les plateformes de simulation est propice à des projets de recherche de grande envergure, avec d’une part les matériels et logiciels les plus récents en matière de simulation physique et virtuelle, et d’autre part l’intégration de ces plateformes au sein de centres universitaires reconnus au plan international. Le recrutement de participants pour ces projets est facilité par cette collaboration avec l’université quand il s’agit d’évaluer par exemple un nouvel outil de simulation.
Ainsi, iLumens accueille chaque année plusieurs chercheurs en Master 2, un à deux étudiants en thèse de science, et un post-doc.
Ces projets de recherche portent notamment sur l’évaluation des nouveaux outils de simulation, la définition de programmes pédagogiques intégrant ces nouveaux outils, l’identification des mécanismes d’apprentissage permettant de maximiser l’efficacité de la simulation et notamment le transfert des compétences à la vie réelle. Ces recherches effectuées au sein de notre centre ont une portée internationale avec de nombreuses publications dans des revues de référence (2).
Si vous êtes intéressés pour travailler sur le sujet : vous êtes bien évidemment les bienvenus !
Le CCF est en train de vous préparer des événements sympas autour de l’enseignement par simulation dans les prochains mois autour de l’ETO, de la cardiologie interventionnelle coronaire et de la rythmologie !
Références
Article paru dans la revue “Collèges des Cardiologues en Formation” / CCF N°4