
Faire de la recherche clinique en dehors du CHU c'est possible et probablement souhaitable !
Pourquoi continuer à en faire ?
Lors du cursus universitaire des études de médecine, chacun de nous participe de façon plus ou moins importante à l'activité de recherche du service. Cela peut être à travers la collecte et l'analyse de données cliniques ou la publication d'articles dans le cadre d'un mémoire ou d'une thèse. Certains d'entre nous vont également se former à la recherche fondamentale en laboratoire à l'occasion d'un master 2 de sciences ou d'une thèse de médecine. Cependant, à la fin de l'internat et du clinicat, du fait de nos choix professionnels et des opportunités, nous ne travaillons pas tous en CHU. Pourtant, l'intérêt que nous avions porté vers la recherche clinique ou fondamentale peut perdurer. On peut donc continuer parce qu'on en a envie ! C'est probablement le plus important. Il nous paraît également nécessaire que la recherche sorte des murs du CHU pour qu'elle soit le plus représentative possible de la diversité des patients suivis et que tous les patients puissent en bénéficier.
Que faut-il pour en faire ?
Des idées ! On ne peut pas chercher si on ne se pose pas de questions, si on ne garde pas son esprit curieux. Se poser des questions, avoir envie de découvrir des choses est indispensable pour faire de la recherche.
Ensuite, il est probablement important de ne pas s'inhiber. Débuter une activité de recherche dans son activité actuelle ne signifie pas débuter par un essai prospectif multicentrique randomisé ! Il faut évidemment être humble, débuter par de petits projets puis construire petit à petit. Cela peut être par exemple à travers des case reports en rapportant des cas patients inhabituels ou en continuant de soumettre des posters aux différents congrès nationaux.
Comment faire en pratique ?
Une première idée peut être la mise en place de séances de bibliographies au sein de son établissement ou avec les autres membres du cabinet, même si cela concerne des spécialités différentes. Le but est de poursuivre une activité régulière de lecture d'articles scientifiques et de les discuter à plusieurs. Pourquoi les discuter ? Parce que c'est le collectif qui permettra de donner des idées et d'avoir envie de monter des projets. L'idée n'est pas pour autant de mettre un cadre contraignant et scolaire. Le mieux ? un rythme pas trop soutenu, à définir ensemble, une fois par mois par exemple et un choix libre d'articles. Il est plus facile de lire quelque chose qui nous intéresse et il sera plus facile de monter un projet sur un sujet qui nous plait !
Une autre première étape dans la poursuite de la recherche clinique hors CHU, peut être aussi de collaborer avec de plus grands centres : expliquer que vous êtes intéressés pour inclure vos patients dans des protocoles de recherche par exemple. Les investigateurs cherchent toujours à inclure des patients et il n'est pas toujours facile d'atteindre le nombre de patients prévu. Il peut ensuite être intéressant de lancer des projets observationnels avec des idées simples, un petit nombre de patients, un suivi adapté et pas trop contraignant. Pour les projets plus compliqués, la création d'une unité de recherche clinique au sein de l'établissement où l'on travaille avec un ou deux attachés de recherche clinique sera probablement nécessaire. Cela permet de déléguer quelques tâches technico-réglementaires et d'avoir de l'aide pour planifier le suivi des patients et collecter les données. Enfin, il peut être intéressant lors des congrès de discuter avec des fondamentalistes pour s'associer à des laboratoires de recherche fondamentale et partager des projets ensemble.
Qu'avons-nous pu mettre en place au Médipôle de Lyon Villeurbanne ?
Le Médipôle Lyon Villeurbanne est un ESPIC, établissement de santé privé à but non lucratif, qui a ouvert en janvier 2019. Dès son ouverture, une unité de recherche clinique (URC) a été mise en place afin de favoriser la recherche clinique au sein de l'établissement auprès des praticiens. Cette URC est composée du directeur médical, Dr Carlos El Khoury, d'une coordinatrice de recherche clinique, Dr Laetitia Paradisi-Prieur, et de deux attachés de recherche clinique, Sévérine Burgain et Danaëlle Peninguy. Actuellement, 61 études différentes sont en cours au Médipôle hôpital Mutualiste avec 1417 patients inclus.

L'équipe d'endocrinologie du Médipôle Lyon Villeurbanne. De gauche à droite : Dr Vincent Mezzarobba, Dr Julie Beauvy, Dr Pauline Juttet, Dr Anne-Cécile Paepegaey, Dr Erika Cornu, Dr Jean-Philippe Le Berre.
Concernant le service d'endocrinologie, nous avons débuté par rapporter des cas cliniques inhabituels de patients dans des revues indexées Pubmed (1-3). Nous avons également participé à recueillir des données en vie réelles : nous avons ainsi pu participer à l'étude sur l'efficacité de l'osilodrostat dans les syndromes de Cushing secondaires aux corticosurrénalomes dirigés par les Pr Young et Tabarin (4).
Concernant les études initiées par notre équipe d'endocrinologie, nous avons pu mettre en place en tant qu'investigateur principal :
• Des évaluations professionnelles sur notre activité : nous avons évalué l'efficacité de notre prise en charge psycho-nutritionnelle sur les patients en situation d'obésité (5) ou encore nos choix de proposition de chirurgie métabolique aux patients diabétiques en situation d'obésité de grade 1.
• Des études randomisées en ouvert en unicentrique : une étude sur l'intérêt de l'évaluation nutritionnelle précoce dans la dénutrition en cancérologie (295 patients inclus), une étude sur l'intérêt de la rééducation du goût et de l'odorat pour les patients ayant des troubles du goût et de l'odorat post-chimiothérapie (54 patients inclus), une étude sur l'intérêt d'un programme d'activité physique avant et après chirurgie bariatrique pour la conservation de la masse musculaire post-chirurgie bariatrique (130 patients inclus).
• Une étude randomisée en aveugle multicentrique sur le choix de la technique chirurgicale dans la chirurgie métabolique (8 patients inclus à date).
Nous sommes également centre d'inclusion dans des essais contrôlés randomisés en double aveugle, internationaux de phase III et nous avons pu participer à l'accès précoce du WEGOVY.
Enfin, il peut être utile de réaliser des lettres à l'éditeur sur des sujets qui nous tiennent à cœur : nous avons par exemple réalisé cela pour discuter l'encadrement des patients sous traitements médicamenteux de l'obésité (6).
Quelles sont les limites et les difficultés ?
La première limite est bien entendu le temps ! En dehors du cursus universitaire, il n'y a en effet pas de temps consacré à la recherche pour les praticiens. En exercice libéral pur, prendre ce temps est à la fois difficile pour la gestion des patients et représente par définition un manque à gagner.
Cela est moins directement vrai en exercice salarié mais il sera néanmoins difficile de convaincre sa direction de vous laisser du temps pour faire cette activité de recherche. Cela est d'autant plus vrai que la règle concernant les points SIGAPS a changé depuis quelques années.
Pour rappel, une publication dans un journal rapporte des points SIGAPS et chaque point SIGAPS rapporte environ 530 euros à l'établissement et une revue en premier auteur dans une revue de catégorie C (catégorie intermédiaire) rapportera 16 points SIGAPS soit 8 480 euros pendant 4 années consécutives.
Or, depuis 2021, ces points ne sont versés qu'aux 2/3 des établissements qui réalisent le plus de recherche. Pour exemple, en 2021, un établissement devait avoir réalisé 120 publications pour pouvoir toucher le premier euro de ces points SIGAPS. Difficile dans ces conditions de motiver les établissements de santé privés à laisser du temps à leur praticien pour la recherche clinique ou à embaucher des attachés de recherche clinique. Cette nouvelle règle limite grandement la recherche en dehors du CHU et il sera nécessaire qu'elle soit rediscutée. Il faudra donc probablement prendre sur votre temps libre, en comptant sur votre motivation, pour poursuivre la recherche clinique. De la même façon, la reconnaissance que vous aurez de ces travaux sera votre satisfaction personnelle mais c'est néanmoins important.
Qu'est-ce qui pourrait faciliter la recherche en dehors du CHU ?
Les CHU, les établissements hospitaliers hors CHU et la médecine libérale pure ne devraient pas être opposés actuellement en France. Ils font partie du maillage de notre système de santé et essaient tous de répondre au mieux aux besoins de santé des populations.
Il nous parait donc important que la recherche soit présente dans l'ensemble de ce maillage pour être le plus représentative possible.
Une première étape pourrait être une intégration systématique de tous les modes d'exercice de l'endocrinologie lors de l'écriture des recommandations des sociétés savantes.
Comme expliqué précédemment, la remise en cause de la règle des rétrocessions financières selon les points SIGAPS mérite d'être rediscutée.
Références
1. Pembrolizumab-induced cyclic ACTH-dependent Cushing's syndrome treated by a block-and-replace approach with osilodrostat. Paepegaey AC, Dot JM, Beauvy J, Juttet P, Le Berre JP. Ann Endocrinol (Paris) 2021 Dec.
2. Closed-loop insulin delivery may help prevent metabolic complications during bariatric surgery in patients with type 1 diabetes: a case report. Cornu E., Gaulier C., Juttet P., Beauvy J., Mezzarobba V., Proust AL., Le Berre JP, Paepegaey AC. Diabetes Technol Ther Jan 2024.
3. To biopsy or not to biopsy adrenal mass: is that the question ? Purenne E., Cornu E., Mezzarobba V., Juttet P., Cimerelli S., Watkin E., Paepegaey AC. Acta Radiol Open Aug 2024. 4. Efficacy and tolerance of osilodrostat in patients with Cushing's syndrome due to adrenocortical carcinomas. Tabarin A, Haissaguerre M, Lassole H, Jannin A, Paepegaey AC, Chabre O, Young J. Eur J Endocrinol 2022 Jan.
5. Impact de la mise en place d'une prise en charge psycho-nutritionnelle sur la qualité de vie des patients obèses. Le Roy Feret E., Caron E., Hermann J., Proust AL., Gaulier C., Cornu E., Paepegaey AC. Médecine des maladies métaboliques octobre 2023
6. Don't these patients deserve better? Cornu E., Gaulier C., Proust AL., Paepegaey AC. Obes Surg Sep 2024.

Dr Anne-Cécile PAEPEGAEY
Endocrino-diabetologue

Dr Erika CORNU
Endocrino-diabetologue