Par Pauline CORBAUX
Article commenté : Survival and modelled cancer antigen-125 ELIMination rate constant K score in ovarian cancer patients in first-line before poly (ADP-ribose) polymerase inhibitor era: A Gynaecologic Cancer Intergroup meta-analysis. Corbaux et al., Eur J Cancer Oxf Engl 1990. July 4, 2023;191:112966.
La prise en charge initiale des carcinomes de l’ovaire de haut grade repose sur l’association d’une chirurgie de cytoréduction (première ou intervallaire) et d’un traitement systémique comportant une chimiothérapie à base de sels de platine, suivi d’une maintenance par thérapie ciblée. Si la valeur pronostique du stade FIGO et du caractère complet de la chirurgie de cytoréduction sont établis, des indicateurs de chimio sensibilité tumorale permettraient d’évaluer l’impact pronostique relatif du succès du traitement médical. Le critère de réponse du GCIG (Gynecologic Cancer Inter-group), basé sur le pourcentage de diminution du CA-125, n’est en effet validé qu’en situation de rechute (1).
Le paramètre modélisé d’élimination du CA-125 KELIM (K ELIMination rate) a été développé dans l’objectif d’évaluer la chimio-sensibilité tumorale intrinsèque des cancers de l’ovaire. Ce paramètre est déterminé par modélisation de la cinétique longitudinale du CA-125, à partir d’un minimum de 3 mesures plasmatiques pendant les 100 premiers jours de traitement systémique (chimiothérapie première ou adjuvante (2–3). Il représente une sorte de clairance du CA-125 sous chimiothérapie. Plus le KELIM d’une patiente est élevée, plus l’élimination du CA-125 est rapide, plus la tumeur peut être considérée comme chimio-sensible. Le paramètre KELIM a ainsi été identifié, à partir de l’analyse rétrospective de 7 essais thérapeutiques indépendants et d’un registre national de patientes, regroupant au total plus de 7000 patientes(4–9), comme associé à la survie sans progression et à la survie globale des patientes.
Dans cette étude, la cinétique du CA-125 plasmatique a été modélisée à partir d’une méta-ana-lyse sur données individuelles (c’est-à-dire une méta-analyse pour lesquelles les données de chaque patient sont disponibles, et non seulement les données résumées relatives à chaque essai). Les essais constituant cette méta-analyse étaient des essais thérapeutiques randomisés ayant évalué différents schémas de chimiothérapie dans le traitement initial des carcinomes de l’ovaire, avant l’avènement des inhibiteurs de PARP (10). Les objectifs de cette analyse étaient de confirmer et de quantifier la valeur pronostique du KELIM, et d’en évaluer la valeur substitutive par rapport aux critères de survie. La modélisation ciné-tique-pharmacodynamique du CA-125 consiste à représenter de manière schématique l’effet de la chimiothérapie sur le CA-125 plasmatique. À partir des dates d’administration des chimiothérapies des patientes, des valeurs et des dates de CA-125 plasmatiques renseignées dans le modèle, on peut déterminer des paramètres cinétiques de population (dont le KELIM) et des paramètres de variabilité interindividuelle, à partir desquels il est ensuite possible d’inférer une valeur de KELIM pour chaque patiente.
Parmi les 11 029 patientes de la méta-analyse, 5 884, issues de 8 essais randomisés, remplissaient les critères de détermination du KELIM. La base de données a été séparée en une cohorte d’apprentissage et une cohorte de validation selon un ratio 1:2 (respectivement 1 962 et 3 922 patientes). Le paramètre KELIM a été estimé dans la cohorte d’apprentissage, puis calculé dans la cohorte de validation à partir des paramètres de population déterminés dans la première cohorte. Pour chaque patiente, la valeur individuelle de KELIM a été standardisée par la valeur médiane dans la cohorte d’apprentissage, de manière à définir un KELIM score, favorable (≥ 1.0) ou défavorable (< 1.0).
Dans la cohorte d’apprentissage, tout comme dans la cohorte de validation, le KELIM score était significativement associé à la survie globale : la médiane atteignait 78.8 mois dans le groupe de patientes ayant un KELIM score favorable, contre 28.4 mois dans le groupe avec un KELIM score défavorable (cohorte de validation). En analyse multivariée, le KELIM score était toujours associé à la survie globale, de même que le stade FIGO et que le résultat de la chirurgie de cytoréduction. Le hazard ratio (HR) du KELIM score était de 0.46 (IC95 %, 0.41-0.50), traduisant une réduction de plus de 50 % de la probabilité de décès chez les patientes ayant une maladie chimiosensible définie par un KELIM score favorable. De même, le KELIM score était associé à la survie sans progression, dont la médiane atteignait 30.5 mois dans le groupe avec un KELIM score favorable, contre 9.8 mois dans le groupe défavorable, avec un HR à 0.49 (IC95 % 0.45-0.54). En combinant le KELIM score et le résultat de la chirurgie de cytoréduction (optimale dans le cas d’un résidu tumoral < 1 cm, suboptimale dans le cas contraire), trois populations de patientes au pronostic bien distinct ont été identifiées : la survie globale médiane atteignait 105.1 mois dans le groupe avec un KELIM score favorable et une chirurgie de cytoréduction optimale, 45 mois environ dans les groupes avec l’un des deux paramètres favorable, l’autre défavorable, et 22.1 mois chez les patientes avec à la fois un KELIM score défavorable et une chirurgie de cytoréduction suboptimale (Figure 1). De même pour la survie sans progression, avec des médianes respectives de 58.1 mois, ~15 mois et 8.0 mois (Figure 2).
La valeur substitutive du KELIM score par rapport aux critères de survie n’a pu être établie. Dans les essais inclus, le traitement expérimental n’avait pas d’effet thérapeutique par rapport aux groupes contrôles respectifs. Or, la détermination de la valeur substitutive d’un paramètre repose sur l’identification d’une corrélation entre l’effet du traitement sur le critère clinique à substituer, et l’effet du traitement sur le paramètre candidat à la substitution.
Cette étude a permis de confirmer la valeur pronostique hautement significative du paramètre KELIM par rapport à la survie globale et à la survie sans progression. Le KELIM score apparaît comme un paramètre complémentaire à la prise en compte des résultats de la chirurgie de cytoréduction dans l’estimation du pronostic des patientes prises en charge pour un cancer de l’ovaire. L’identification de trois populations de pronostic bien distinct lors de
la prise en compte combinée de ces deux facteurs souligne l’importance de la prise en charge à la fois chirurgicale et médicale des cancers de l’ovaire de haut grade, et la nécessité de proposer une intensification et des innovations thérapeutiques aux patientes dont le pronostic est le plus réservé. L’analyse rétrospective des essais GOG-0218 (11)et ICON-75 a notamment montré que ce sont ces patientes qui bénéficiaient le plus de l’ajout du bévacizumab, mais aussi du schéma de chimiothérapie do-se-dense (carboplatine AUC2 + paclitaxel 80 mg/m2 hebdomadaires) proposé dans l’essai ICON-87. Ce dernier sera évalué de manière prospective dans l’essai thérapeutique européen SALVOVAR, qui évaluera chez les patientes ayant un KELIM score défavorable après 3 cures de chimiothérapie standard (car-boplatine-paclitaxel/21 jours) et sans chirurgie de cytoréduction complète, le schéma dose-dense hebdomadaire par rapport à la poursuite du schéma standard.
En pratique, le KELIM score d’une patiente peut être calculé dès lors que l’on dispose d’au moins 3 valeurs de CA-125 durant les 100 premiers jours (ou 3 premiers cycles) de chimiothérapie, sur le site internet https://www.biomarker-kinetics.org/, qui propose également une interface mobile. Le KELIM score fait effectivement désormais partie des éléments de décision cités par les recommandations de Nice Saint Paul de Vence 2023 (12), pour orienter le choix de la maintenance chez les patientes sans anomalie de la recombinaison homologue vers le bévacizumab en cas de score défavorable, par rapport au niraparib.
Figure 1 : Survie globale selon le KELIM score (favorable ou défavorable) et le résultat de la chirurgie de cytoréduction (optimale ou non), dans les cohortes d’apprentissage et de validation.
Figure 2 : Survie sans progression selon le KELIM score (favorable ou défavorable) et le résultat de la chirurgie de cytoréduction (optimale ou non), dans les cohortes d’apprentissage et de validation.
Références
Article paru dans la revue « Association pour l'Enseignement et la Recherche des Internes en Oncologie » / AERIO RIO HORS SERIE N°3