Protection de la santé versus liberté d’aller et venir

Publié le 27 May 2022 à 09:04

Michel DAVID, Vice-président du SPH

« Loin qu’elle soit pour la liberté une insulte, la folie est sa plus fidèle compagne, elle suit son mouvement comme une ombre. Et l’être de l’homme non seulement ne peut être compris sans sa folie, mais il ne serait pas l’être de l’homme s’il ne portait en lui la folie comme limite de la liberté. ».

Jacques Lacan. Propos sur la causalité psychique.

Protection de la santé et liberté d’aller et venir sont deux droits fondamentaux intégrés dans ce qu’il est convenu de dénommer le bloc de constitutionnalité. Ils sont mis en tension permanente par les lois du 5 juillet 2011 et du 27 septembre 2013 ainsi que par les recommandations relatives à la contention et à l’isolement, à l’origine de situations complexes, aussi bien pour les patients que pour les soignants.

Pour le profane, la psychiatrie doit paraître bien archaïque pour recourir à ces dernières mesures, qui pour certains ne peuvent être jamais thérapeutiques. Aussi, plus que se demander, même si la question reste pertinente, quel serait l’impact thérapeutique de ces mesures, il conviendrait de rechercher pourquoi la restriction de la liberté, renforcée par des mesures d’isolement ou de contention, est encore appliquée en psychiatrie. Quelles sont donc les situations qui en exigent le recours que l’on ne peut pourtant pas qualifier systématiquement de « dernier » ? Les bonnes âmes ont beau jeu d’en dénoncer l’usage excessif sans pour autant se donner la peine d’en analyser les causes.

Bien entendu, ces restrictions ne peuvent être considérées comme anodines et en modérer l’usage ne peut être souhaitable, comme pour toute pratique médicale invasive. Les soignants ont la lourde responsabilité de s’occuper avec des moyens limités de situations cliniques complexes présentées par des personnes que bien souvent une société emprise de sécurité et pusillanime face aux prises de risque rejette sans grande hésitation. Il y a tout lieu de croire que les recommandations de la Haute Autorité de santé et par la suite celles de l’instruction du ministère de la Santé seront ressenties avec stupéfaction par des équipes soignantes qui vont se sentir accusées, bien que délaissées, d’autant plus qu’elles ont conscience que leurs interventions de dernier recours restent des pratiques et des choix douloureux, aussi bien pour les patients que pour elles-mêmes.

On ne peut donc qu’être perplexe face à nos capacités collectives de suivre les obligations légales ou les recommandations de bonnes pratiques en ce qui concerne les exigences procédurales des lois du 5 juillet 2011 et du 27 septembre 2013 et des recommandations de la HAS. D’autant plus que si nous nous sommes habitués et adaptés, bien qu’encore imparfaitement, aux lois sous contraintes, nous devons nous attendre à devoir répondre à l’intégration de la traçabilité de l’isolement et de la contention dans la procédure de contrôle par le JLD. Des situations commencent à faire l’objet de litiges.

Le législateur et les Pouvoirs publics se donnent bonne conscience en édictant des règles, mais sans donner aux professionnels les moyens de les appliquer. Il est d’ailleurs étonnant que l’exécutif n’ait pas soulevé l’article 401 de la Constitution lors des débats parlementaires sur l’isolement et la contention. En effet, les dispositions de l’article 72, non prévu dans le projet de loi, mais ayant fait l’objet d’un amendement par un député, imposent des moyens supplémentaires d’où souvent le rejet des amendements par l’exécutif dans le cadre de projets de loi. Les recommandations de la HAS et l’instruction du ministère de la Santé exigent sans contexte des moyens qui manquent par ailleurs, allant jusqu’à des propositions de formations coûteuses et à l’utilité douteuse, comme celle de former les médecins à l’utilisation du matériel de réanimation, alors qu’il est très probable que les psychiatres auront heureusement peu l’occasion de les utiliser. Il s’agit ici d’un exemple des positionnements contradictoires de notre société : d’un côté, des maternités sont fermées si un nombre d’accouchements annuels insuffisants ne permet pas aux praticiens d’exercer suffisamment d’actes pour rester compétents et de l’autre des psychiatres doivent être formés à intuber des patients...

Une dépêche de presse au cours du premier trimestre 2017 informait qu’un centre hospitalier était condamné suite à la fugue du service des urgences d’un patient présenté comme schizophrène. Il sera retrouvé décédé trois semaines plus tard dans une rivière. Le tribunal a considéré l’hôpital pleinement responsable, s’appuyant notamment sur un rapport d’expertise qui relevait « qu’aucune initiative de traitement ou de conduite médicale de nature psychiatrique ; telle que contention, traitement chimique ou surveillance intensive n’avait été prescrite ». Évoquer cette situation en introduction ne doit pas être perçu comme la crainte trop souvent fantasmée de la responsabilisation juridique des hôpitaux et des soignants, mais plutôt comme l’expression des injonctions contradictoires de notre société.

L’analyse des textes juridiques a montré le peu de références explicites dans les sources internes du droit à la liberté d’aller et venir, principe très général, mais qu’il faut appliquer aux situations spécifiques de notre champ professionnel.

La première réforme de la loi de 1838, celle du 27 juin 1990, avait complexifié les modalités administratives pour les hospitalisations sous contrainte, semblant ainsi indiquer qu’en psychiatrie, trop d’internements arbitraires pouvaient encore se perpétuer. A la fin des années 2000, un renforcement des concepts sécuritaires appliqués à la psychiatrie a été opéré, suite à des faits divers graves, avec notamment une circulaire de janvier 2009 incitant à la construction de chambres d’isolement et prévoyant même un ratio de chambres d’isolement rapporté au nombre de lits dans l’hôpital.

La loi de 2011 insiste sur le risque de privation de liberté d’où le contrôle par le magistrat, avec l’assistance, pour le patient, d’un avocat. Le suivi jurisprudentiel de la loi de 2011 montre le focus mis sur la liberté considérée, à juste titre comme un droit fondamental garanti par la Constitution, mais un autre droit peut s’y adjoindre, de même valeur constitutionnelle (Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946) : la protection de la santé.

À ce jour, ce droit paraît être en retrait par rapport à la liberté d’aller et venir. Il convient d’y porter pourtant attention, car de quelle liberté parle-t-on pour une personne souffrant de graves troubles mentaux, et qui va se retrouver à la porte de l’hôpital sans logement, sans entourage, sans revenus suite à une mainlevée pour une erreur de procédure.

Quel est le grief le plus important : la privation de liberté pour motifs thérapeutiques ou la négligence de la protection de la santé et la mise en danger du patient suite à une mainlevée pour erreur de procédure ? Et sans aller jusqu’à la mise en danger, il est aisé de multiplier les effets pervers d’une loi qui se veut protéger les droits du patient, mais dont la complexité en produit l’effet inverse. Récemment, un patient s’est vu refuser une autorisation de sortie de 48 h car n’ayant pu joindre le tiers demandeur qui doit être informé de la permission, le directeur a refusé de signer l’autorisation de sortie. Colère du patient, frustration des équipes, et une grande aide dans la qualité des soins, cette fameuse qualité si appréciée des décideurs, mais dont nous n’avons souvent pas la même définition !

La maladie mentale se trouve ainsi écartelée entre deux écueils : le déni ou la présomption de dangerosité exagérée. Le déni est facilité par une dilution euphémisante des troubles mentaux dans la santé mentale sous le prétexte d’une volonté de déstigmatisation de la personne souffrant de troubles mentaux en tentant d’instaurer des montages complexes dans la Cité, susceptibles d’inciter les citoyens à s’intéresser au fait psychique.

La dangerosité présumée des malades mentaux mène à leur rétention dans les hôpitaux ou les prisons (peu coûteuses financièrement) où ils sont « accueillis » après avoir été rejetés du reste de la société.

La pratique psychiatrique se trouve confrontée à des situations désespérées, pas forcément de son ressort, mais qu’on lui impose tout en lui reprochant de ne pas avoir de projets rapides, même non structurants, non adaptés, non nécessaires et non proportionnés à leur état, mais permettant un raccourcissement des durées moyennes de séjour, et se voit critiquer d’abuser de méthodes coercitives, comme l’isolement ou la contention, sans que les autorités veuillent bien regarder les conséquences de leurs politiques économiques néolibérales que d’aucuns appellent le « néoaliénisme » qui serait « la forme que prend la psychiatrie hospitalière dans la confusion et la démission qui caractérise notre société postmoderne » (Najman, 2016).

Les contraintes financières, les restructurations hospitalières, la dilution du Secteur d’abord dans les pôles, puis maintenant dans les GHT pour ne citer que quelques-unes des armes de destruction massive concoctées par les hautes autorités issues d’élections démocratiques, ont conduit à ne plus penser le soin. Le concept de psychothérapie institutionnelle n’est évoqué que par quelques seniors nostalgiques, ce qui n’est d’ailleurs guère étonnant étant donné les deux piliers théoriques (et chroniquement dérangeants) de ce concept : le marxisme et la psychanalyse. Le premier ne fait plus peur, mais le deuxième reste un épouvantail comme le montre l’attaque dont il a fait l’objet, de manière caricaturale, à propos de l’autisme2.

Il faudra pourtant redonner des outils à penser pour éviter routine, désengagement, épidémie de la peur, dépressivité collective qui ne peuvent que conduire à user (et parfois abuser), pas forcément en dernier recours à l’isolement et à la contention, même si l’isolement peut ne pas être systématiquement une pratique de dernier recours, ce qu’une analyse simpliste tend à ne pas pouvoir ou vouloir admettre. La nuance, l’accueil joyeux de la complexité et des disputes (prises dans leur acception académique) qu’elles pourraient susciter ne sont plus les bienvenus au temps du règne simpliste des protocoles et de la « functional stupidity », selon le terme bien vu de sociologues (Alvesson M., 2012). Une information et une formation, selon des modalités diversifiées, bien pesées et choisies, sont à imaginer afin que « la question fondamentale d’ouverture/fermeture pour l’avenir de la psychiatrie puisse le rester, à condition que les équipes et l’administration puissent se saisir des enjeux et risques attenants à ces questions » (Bantman, 2010).

La question du risque sous forme notamment des fugues, de l’auto ou de l’hétéroagressivité, avec les peurs exagérées d’une pénalisation des administrations et des soignants restent des obstacles importants à l’ouverture ou la fermeture des portes et au moindre recours à l’isolement et à la contention. Ils trouvent partiellement leur origine dans des traumatismes institutionnels passés toujours présents. Un engagement clair et lisible des médecins, des cadres et de la direction est seul susceptible de pouvoir redonner confiance, dans la prise de risque, bien pensée, bien calculée, et consubstantielle à toute démarche thérapeutique opérante.

Les décisions prises dans chaque hôpital devront aussi interpeller les autorités dites de contrôle et les décideurs politiques, en charge du financement, mais aussi du bon respect des « adoubements » des établissements selon différentes procédures et qui ne garantissent pourtant pas l’excellence des soins comme a pu le révéler un rapport du Contrôle général des lieux de privation de liberté en 2016. Il ne convient pas d’attendre de brusques renversements de tendance dans un monde qui se rassure par la construction de murs, de fermeture des frontières, d’un repli et d’un isolement qui lui semblent salutaires alors que le même isolement est ostracisé quand la psychiatrie y recourt et que certains patients y trouvent une protection et un apaisement face à la brutalité des « normaux ».

Ne finissons pas ce texte par nos propres mots, mais par ceux de collègues dont l’un est le président de la commission de la HAS sur l’isolement et la contention), écrit il y a 13 ans, et montrant que leur analyse pessimiste reste toujours actuelle (Alezrah, 2004) :

« Les résultats de cette enquête nous semblent être une bonne illustration des injonctions paradoxales auxquelles sont confrontés les personnels soignants. D’une part les notions de précaution et de sécurité pèsent de plus en plus dans l’organisation du système sanitaire, d’autre part, on ne cesse de réaffirmer, comme un principe intangible, parfois en méconnaissant totalement la dimension hautement spécifique du fait psychopathologique, que les patients sont et doivent demeurer libres. Au-delà d’un vécu culpabilisant projeté sur les soignants qui attenteraient à cette liberté, le risque nous semble exister d’un repli défensif vers une multiplication puis une stricte observance de procédures visant à protéger l’institution davantage que les patients en reléguant au second plan la prise en charge individuelle et sa dimension relationnelle.

Il nous semble important de garder à l’esprit que les troubles mentaux représentent bien une « pathologie de la liberté » pour reprendre le mot d’Henri Ey. C’est justement en soignant les patients, parfois malgré eux, que nous leur restituons cette liberté. Ce soin ne peut aller sans prise de risques, risques que les protocoles sécuritaires rendent de plus en plus difficiles à prendre. Jusqu’où le principe de précaution si fréquemment avancé peut-il s’appliquer à la psychiatrie ? »

BIBLIOGRAPHIE
1. Alezrah C, Bobillo JM, Portes ouvertes ou fermées en hospitalisation temps plein ? L’Information psychiatrique, Volume 80, N° 7, septembre 2004.
2. Alvesson M., Spicer A. A Stupidity-Based Theory of Organisations. Journal of management studies 49 :7 November 2012 doi : 10.1111/j.1467-6486.2012.01072.x
3. Anaes. L’audit clinique appliqué à l’utilisation des chambres d’isolement en psychiatrie, juin 1998. http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/CHISOL.pdf
4. Anaes — Fhf. Conférence de consensus. Liberté d’aller et venir dans les établissements sanitaires et médico-sociaux et obligation de soins et de sécurité. 24 et 25 novembre 2004. http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_272394/fr/liberte-d-aller-et-venir-dans-les-etablissements-sanitaires-et-medico-sociaux-et-obligation-desoins-et-de-securite
5. Assemblée Nationale. Commission des Affaires sociales. Robiliard D, Jacquat D. Rapport d’information de la mission d’évaluation des lois du 27 septembre 2013 et du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge. 15 février 2017. http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i4486.asp
6. Bantman P. La Liberté d’aller et venir en psychiatrie. Entre l’exigence de la loi, l’éthique et la réalité des pratiques. Cinq ans après la conférence de consensus, où en sommes-nous ? L’Information psychiatrique, vol 86, n° 4 — Avril 2010.
7. Barbier JP, Robiliard D. Assemblée nationale. Commission des affaires sociales. Rapport d’information n° 1662 « Santé mentale : quand la démocratie soigne », décembre 2013, www.assemblee-nationale.fr.
8. Dumont A, Giloux N, Terra JL. Observation et évaluation d’une pratique clinique : l’isolement à l’unité médicale d’accueil du Centre Hospitalier Le Vinatier, à Bron. L’Information psychiatrique 2012 ; 88 : 687-93 doi : 10.1684/ipe.2012.0972
9. Dupont M, Laguerre A, Volpe A. Soins sans consentement en psychiatrie. Comprendre pour bien traiter. Presses de l’EHESP. 2015
10. Fédération d’aide à la santé mentale Croix-Marine. De la contention à la contenance : la psychiatrie au risque de la liberté. Pratiques en santé mentale. Éditions Champ social, n° 4, Novembre 2014.
11. Finkelstein C. La contention en psychiatrie : il faut désormais respecter la loi. Droit Déontologie Soin 16 (2016) 132-141
12. Friouret L. L’antagonisme entre les exigences médicales et juridiques relevé par les conséquences de l’irrégularité des soins forcés. L’Information psychiatrique 2015 ; 91 : 449-54 doi : 10.1684/ipe.2015.1356
13. Haute Autorité de santé. Recommandation de bonne pratique. Isolement et contention en psychiatrie générale. 2017. http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_2055362/fr/isolement-et-contention-en-psychiatrie-generale
14. Najman Thierry. Lieu d’asile. Manifeste pour une autre psychiatrie. L’hôpital menacé par l’enfermement abusif. Odile Jacob. 2015.

Participez à l’enquête en ligne du SPH « Dotation Annuelle de Fonctionnement, gels et disparitions des postes » Allez sur le site https://sphweb.fr/dotation-annuelle-de-fonctionnement-gels-disparitions-postes/

Chers collègues,
Fin 2016 la nouvelle feuille de route nationale pour les hôpitaux exigeait une réduction de 3,5 milliards des dépenses de santé dont 1,7 milliards de moins pour les hôpitaux publics pour 2017. Aucun élément ne laisse espérer une volonté politique de desserrer l’étau des restrictions.
Au fil des réductions, la cible des économies au sein des établissements finit toujours par porter sur les effectifs : il est à prévoir qu’il en découlera pour la psychiatrie un appauvrissement de la diversité des offres de soins et l’instauration de conditions de travail de plus en plus éprouvantes.
La perte des solidarités et le naufrage des engagements de service public sont au cœur des luttes du Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux portées auprès des instances et des tutelles de la discipline. La question des moyens et les modèles de financement de la psychiatrie font partie des travaux du syndicat depuis plusieurs années, et le SPH se devait de réagir au récent rapport Véran chargé de faire des propositions sur le financement des hôpitaux.
Face aux indicateurs économiques trop généraux utilisés par les ministères pour justifier des choix aux conséquences lourdes pour les soins et les soignants, il est utile d’apporter une illustration concrète des effets dans les régions : c’est ce que peut permettre votre contribution, grâce à ce questionnaire qui prend moins de 5 minutes.
Merci d’y contribuer.
Bien syndicalement

Marc Bétrémieux
Isabelle Montet

Article paru dans la revue “Le Syndical des Psychiatres des Hôpitaux” / SPH n°13

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