Prise en charge endovasculaire des valvulopathies

Publié le 1685966007000

 

Depuis une dizaine d’années, la prise en charge des valvulopathies de la personne âgée connaît une révolution. L’avènement des remplacements valvulaires percutanés a profondément modifié l’approche de ces pathologies chez les patients âgés. Ces techniques repoussent constamment les limites de faisabilité et d’âge. Dès lors, le rôle du gériatre est prépondérant dans la décision multidisciplinaire.

Cet article a pour but de présenter à travers les études princeps les deux techniques les plus connues actuellement : le TAVI (Transcatheter aortic valve implantation ou remplacement percutané de valve aortique) et le MitraClip (réparation mitrale percutanée). La connaissance pratique des procédures et de leurs principales complications peuvent aider le gériatre dans son rôle de conseil à la décision pluridisciplinaire.

TAVI, Transcatheter Aortic Valve Implantation

Généralités

Le rétrécissement aortique (RAo), dont l’origine est le plus souvent dégénérative, touche majoritairement des personnes âgées, avec une prévalence estimée à 2,5 % à 75 ans et 8,1 % à 85 ans (1). Longtemps asymptomatique, le rétrécissement aortique a un pronostic rapidement défavorable après la survenue des premiers symptômes : le taux de mortalité atteint 50 % dans les deux ans qui suivent l’apparition d’un rétrécissement aortique serré.

Classiquement, les trois critères définissant un rétrécissement aortique serré sont échographiques et comprennent, lorsque la Fraction d'Ejection du Ventricule Gauche (FEVG) est normale, une Vmax > 4m/s, un gradient moyen > 40mmHg et une surface aortique < 1cm2 ou à 0,6 cm2/m2.

Ces critères peuvent différer, notamment lorsque la FEVG est altérée (RAo bas débit bas gradient).

Au-delà du mauvais pronostic, la sténose aortique limite l’autonomie du patient. Jusqu’en 2002, la seule option efficace en termes de mortalité était le traitement chirurgical. Cette année-là, apparaît le remplacement valvulaire aortique percutané appelé couramment TAVI ou TAVR selon l'acronyme anglais(« transcatheter aortic valve implantation/replacement »). C’est un traitement du rétrécissement aortique serré de l'adulte qui consiste à remplacer la valve aortique cardiaque par une prothèse valvulaire par voie artérielle(cathétérisme).

Cette technique a été développée par le Pr Alain CRIBIER dans les années 2000 au Centre Hospitalier Universitaire de Rouen. Initialement, elle était proposée aux patients jugés inopérables, ne pouvant pas supporter une chirurgie à cœur ouvert sous circulation extracorporelle (CEC) (2). Par la suite, cette technique a été étendue aux patients ayant un risque opératoire intermédiaire. Actuellement, elle est proposée en première intention aux patients de plus de 80 ans, quel que soit le niveau de risque opératoire. L’étude PARTNER a permis d’établir que le TAVI est supérieur au traitement conservateur médicamenteux et qu’il n’est pas inférieur au remplacement chirurgical de la valve aortique. Dans cette étude, la mortalité à un an sous traitement médicamenteux était de 50,7 % vs 30,7 % après TAVI. Les symptômes étaient nettement améliorés à un an après TAVI. Par ailleurs, la comparaison TAVI vs remplacement chirurgical a montré des taux de mortalité identiques à un an (3). Néanmoins, le bénéfice en termes de mortalité ne peut être le seul critère envisagé pour entreprendre un TAVI chez les patients âgés fragiles. La qualité de vie est un enjeu crucial. La sténose aortique symptomatique est responsable d’une limitation fonctionnelle altérant significativement la qualité de vie de ces patients ; des études ont montré une amélioration de la qualité de vie après TAVI et remplacement chirurgical (4).

En pratique

Le bilan pré TAVI comprend une coronarographie systématique : les lésions coronaires détectées doivent être traitées (le plus souvent les lésions les plus proximales) avant le geste de remplacement valvulaire. Un angioscanner de l’aorte et de ses branches complète le bilan. Il permet de déterminer la voie d’abord : l’abord artériel fémoral est la première option. Les voies sous clavières, carotidiennes et transapicales sont choisies en deuxième intention. L’équipe opératoire se compose d’un chirurgien cardiaque avec un cardiologue interventionnel (ou 2cardiologues interventionnels) sous contrôle scopique.

L’intervention est réalisée sous anesthésie générale ou locale : ce choix dépend des centres et du patient. La valve est positionnée à travers la valve aortique native, préalablement dilatée sous contrôle angiographique (figure 1). Elle est déployée par gonflement d’un ballon de dilatation sous stimulation cardiaque rapide à 150-200 bpm grâce à une sonde de stimulation Deux valves sont actuellement reconnues : la valve française EDWARDS SAPIENS (bovine) et la valve CoreValve (porcine).

Complications

Les troubles de conduction per ou post procédure sont les principales complications actuelles, bien que rares. Une méta-analyse récente comptabilise un taux de troubles conductifs nécessitant l’implantation d’un pacemaker permanent dans les 24-48h proche de 13 % (5). Si un bloc auriculoventriculaire(BAV) apparaît pendant la procédure, la sonde de stimulation peut être laissée en place jusqu’à l’implantation d’un pacemaker. Parfois, un bloc de branche gauche post procédure apparaît de façon transitoire ou définitive. Le risque de BAV paroxystique est à surveiller pendant la première semaine.

Les accidents vasculaires cérébraux sont de plus en plus rares ; ce risque ne doit pas limiter l‘accès à cette technique pour les patients âgés. Ils sont souvent infra cliniques, seulement mis en évidence à l’IRM cérébrale (6).

Les complications concernant la voie d’abord vasculaire sont de plus en plus rares (hématome...).

La dilatation/valvuloplastie au ballon n’est quant à elle plus indiquée sauf cas exceptionnel (choc/insuf-fisance cardiaque réfractaire).

Place du gériatre : concept de « heart team »

hez la personne âgée, la décision doit être discutée de manière pluridisciplinaire. Le concept de « Heart Team » est au centre des recommandations européennes. L’approche multidisciplinaire est nécessaire et fondée sur le respect des recommandations des sociétés savantes, l’évaluation globale du patient (comorbidités, préférences) et les risques et bénéfices à long terme du traitement choisi (7). Elle se compose au minimum de 3 membres : un cardiologue interventionnel, un cardiologue non-interventionnel  (souvent un spécialiste en échographie cardiaque) et un chirurgien cardiaque. Peuvent se joindre à cette équipe un radiologue, un anesthésiste, un gériatre, le médecin traitant...

Les scores de risque procéduraux classiques sont calculés par l’équipe de cardiologie (STS Score, EuroSCORE 2 (cf. encadré)). Il est toutefois admis que ce score surestime la mortalité opératoire et que ces scores ne doivent pas à eux seuls guider la décision (8).

L’espérance de vie estimée doit certainement être prise en compte dans la décision. Si l’âge avancé est associé à une mortalité plus élevée, plusieurs études ont montré de bons résultats du TAVI chez des patients de plus de 90 ans, aussi bien en termes de mortalité, de morbidité que de qualité de vie (10).

Pour une évaluation optimale, le gériatre fera appel à l’évaluation gériatrique standardisée, pour déceler des critères de fragilité. Les questions pertinentes à prioriser pourraient être les suivantes (recueil non exhaustif proposé dans la revue « Réalités cardiologiques », octobre 2015).

Le patient est-il à haut risque opératoire ? Quelle est la voie d’abord qui pourra être utilisée ? Quels sont les risques de la procédure ? Le rapport bénéfice/risque est-il favorable ? Quelle sera l’espérance de vie du patient une fois la maladie valvulaire corrigée ? Le patient est-il demandeur ?

L’évaluation gériatrique globale permet donc d’identifier les patients âgés les plus vulnérables et préciser ainsi, en complément aux scores spécifiques (STS et euroSCORE), le profil de risque des candidats à un TAVI.

MITRACLIP

Généralités

Cette technique existe depuis une dizaine d’années. Il s’agit d’une réparation et non d’un remplacement valvulaire. Il s’agit d’une sorte de « pince » qui rapproche les feuillets de la valve, pour une réparation bord à bord de la valve.

Les patients concernés sont :

  • Les personnes âgées jugées inopérables ;
  • Avec une fuite (insuffisance) d’origine organique sur prolapsus de la valve mitrale par rupture de cordage (sur dégénérescence fibroblastique ou maladie de BARLOW) ;
  • Ou avec une fuite mitrale dite secondaire (anciennement fonctionnelle), qui correspond aux fuites mitrales observées dans certaines cardiopathies dilatées, sous réserve d’un certain nombre de critères échographiques ;
  • Symptomatiques (insuffisance cardiaque).

Le résultat est jugé comme étant satisfaisant si la correction même partielle permet d’améliorer les symptômes.

Deux études récentes ont analysé cette technique et son efficacité dans la fuite mitrale secondaire : l’étude COAPT (américaine) et l’étude MITRA-FR (française) (11). Les résultats de l’étude MITRA-FR sont neutres, l’étude COAPT à l’inverse est positive pour des patients bien sélectionnés.

Le critère de sélection des patients qui semble le plus important correspond à une insuffisance cardiaque peu avancée (fraction d’éjection du ventricule gauche modérément altérée, ventricule gauche modérément dilaté).

En pratique

Le bilan avant MitraClip comprend une Echographie Trans-Œsophagienne (ETO) afin de s’assurer que la technique est faisable et de choisir le type de clip en fonction des paramètres échographiques de l’insuffisance mitrale. Une coronarographie est classiquement réalisée afin de s’assurer de l’absence de lésions coronaires critiques ou très proximales.

L’intervention se réalise sous anesthésie générale exclusivement. Il s’agit d’une procédure ETO guidée. Le cathéter est introduit par voie veineuse fémorale. Une fois dans les cavités droites, le cathéter passe dans les cavités gauches par le septum interatrial pour intervenir sur la valve mitrale (figure 2).

Par la suite, une simple anti-agrégation plaquettaire est introduite. Les complications post MitraClip sont rares mais comprennent la déchirure de valve et la migration du clip.

Pour l’instant, la réparation chirurgicale reste le gold standard. La mise en place d’un Mitraclip permet tout de même à certains patients que l’on ne peut pas opérer d’avoir une correction partielle de leur fuite.

Perspectives

D’autres techniques sont amenées à se développer.

Le TRICLIP est un système de correction de la fuite tricuspide par voie percutanée.

Le TVMR (Transcatheter Mitral Valve Replacement) est une prothèse de remplacement valvulaire mitral. Les technologies de TVMR sont différentes selon

la cible anatomique visée. On peut citer plusieurs techniques selon le site de réparation (12) :

  • Feuillets : réparation bord à bord de la valve mitrale (MitraClip) ;
  • Anneau : annuloplastie directe ou indirecte ;
  • Corde : implantation cordale percutané.

Conclusion

Le TAVI, développé depuis une vingtaine d’années, est devenu le traitement de référence du rétrécissement aortique serré chez la personne âgée. Le MITRACLIP nécessite d’être plus étudié pour en conclure un bénéfice net dans la population âgée et fragile.

L’évaluation gériatrique permet d’identifier les syndromes gériatriques et les patients fragiles. Le partenariat gériatre-cardiologue permet de contribuer à améliorer l’identification des patients âgés susceptibles de tirer le plus de bénéfices d’un remplacement valvulaire.

La « heart-team » décrite dans les recommandations européennes et américaines est étoffée par la présence des gériatres. Ce concept illustre le partenariat toujours plus ténu entre gériatre et « spécialistes d’organe ».

En ajustant les possibilités d’intervention sur nos patients âgés, la cardiologie interventionnelle pousse les gériatres à étendre et affiner leurs connaissances pour permettre une décision adaptée au patient. Car pour résoudre un problème cardiaque, replacer le patient au cœur de la décision est bien le minimum à faire !

Dr Sophie MASSART
Gériatre, CH de Douai

Dr Bertrand BOUTIE
Cardiologue, CH de Lens

Pour l’association des Jeunes Gériatres

Article paru dans la revue « La Gazette du Jeune Gériatre » / AJG N°33

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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