Prise en charge des tachycardies supra-ventriculaires (TSV)

Publié le 24 May 2022 à 16:56

Auteur
Corentin CHAUMONT
Interne au CHU de Rouen

Relecture
Victor WALDMANN
CCA de rythmologie à l’HEGP à Paris

Les dernières recommandations ESC sur les tachycardies supra-ventriculaires (TSV) remontaient à 2003. Leur prise en charge optimale requiert une démarche diagnostique rigoureuse, une gestion adaptée des différentes thérapeutiques médicamenteuses et la connaissance des indications d’ablation par cathéter.
Ces nouvelles recommandations 2019 contiennent de nombreux arbres diagnostiques et thérapeutiques et constituent une aide précieuse dans la prise en charge des TSV. Les principales modifications et nouveautés sont résumées en conclusion de cet article.

Définitions et classifications
Pour rappel, on appelle une tachycardie supra-ventriculaire (TSV) une tachycardie dont le mécanisme implique par définition le faisceau de His et/ou le tissu supra-Hissien. Ainsi, les nouvelles recommandations précisent la classification de ces TSV en distinguant les tachycardies naissant à l’étage atrial, les tachycardies jonctionnelles atrio-ventriculaires et les tachycardies ré-entrantes atrioventriculaires (Tableau 1).

Démarche diagnostique

Partie 1 : orientation diagnostique sur tachycardie à QRS fins
Plusieurs points clés sont détaillés dans les nouvelles recommandations afin d’orienter le diagnostic dès l’analyse de l’ECG :

• Sur l’ECG de repos postcritique :

  • En l’absence d’ECG enregistré en tachycardie, la présence d’une pré-excitation de repos sur l’ECG en rythme sinusal oriente vers une tachycardie réciproque utilisant une voie accessoire.
  • Cependant, l’absence de pré-excitation n’élimine pas ce diagnostic notamment en cas de voie accessoire masquée, cachée, ou de voie accessoire atypique (fibres de Mahaïm).


Tableau 1 : Nouvelle classification ESC des TSV

• Analyse de l’initiation et de la réduction de la tachycardie :

  • Un allongement brutal de l’intervalle PR après une ESA oriente vers une réentrée intra-nodale typique (TRIN – AVNRT en anglais).
  • Les tachycardies atriales focales sont généralement caractérisées par une augmentation puis une diminution progressive de la fréquence cardiaque.
  • Le déclenchement de la tachycardie par une ESV oriente vers une TRIN atypique et plus rarement vers une TRIN typique.

• Analyse de la régularité en tachycardie :
Les tachycardies ré-entrantes sont généralement régulières.

• Analyse de l’activité atriale et des intervalles PR :
Voir l’algorithme ci-dessous (Figure 1).


Figure 1 : Orientation sur le type de TSV en fonction de l’activité atriale et l’espace PR

• L’analyse de la réponse aux manoeuvres vagales et à l’adénosine : voir l’algorithme ci-dessous (Figure 2).


Figure 2 : Orientation sur le type de TSV en fonction de la réponse aux manoeuvres vagales et à l’adénosine.

Partie 2 : orientation diagnostique sur tachycardie à QRS larges
Une tachycardie à QRS larges peut correspondre à une tachycardie ventriculaire, mais également à une tachycardie supra-ventriculaire avec aberration de conduction ou avec une tachycardie pré-excitée avec conduction antérograde par une voie accessoire.

Prise en charge en phase aiguë (en l’absence de diagnostic)
Tachycardies à QRS fins (Figure 3)

  • En cas d’instabilité hémodynamique, la cardioversion électrique par choc électrique externe est recommandée (grade IB).
  • Les recommandations insistent sur la réalisation de manoeuvres vagales en première intention (grade IB). En cas d’échec des manoeuvres vagales, l’injection d’un bolus d’Adénosine (6 à 18 mg IVD) est recommandée (IB). Enfin, l’injection d’un inhibiteur calcique bradycardisant (Verapamil ou Diltiazem) ou d’un béta-bloquant (Esmolol ou Metoprolol) peut être réalisée (IIa) en cas d’échec des étapes précédentes. Tachycardies à QRS larges (Figure 3)
  • Comme pour les tachycardies à QRS fins, la cardioversion électrique par choc électrique externe est recommandée en situation d’instabilité hémodynamique (grade IB).
  • Chez un patient stable, les manoeuvres vagales sont recommandées en première intention (grade IC). L’Adénosine ne devra être utilisée qu’en l’absence de pré-excitation visible sur l’ECG de base (grade IIa). Enfin, l’injection de Procainamide pourra être envisagée en cas d’échec des manoeuvres vagales et de l’Adénosine (grade IIa).
  • L’utilisation d’Amiodarone passe d’un grade I à un grade IIb.


Figure 3 : Algorithmes ESC 2019 résumant la prise en charge en phase aiguë des TSV à QRS fins ou à QRS larges.

Définition et prise en charge des différentes arythmies atriales

Tachycardies sinusales
Tachycardie sinusale inappropriée
Il s’agit d’une arythmie persistante définie par un rythme sinusal > 100/min au repos ou pour un effort minime, touchant principalement les femmes jeunes. La prise en charge consiste en des techniques de réassurance, d’entraînement à l’effort, d’expansion volémique avant tout traitement pharmacologique.

  • Ivabradine seul ou en association avec un bétabloquant peut être proposé chez des patients restant symptomatiques (grade IIa).

Tachycardie par ré-entrée sinusale
Elle est liée à un circuit de ré-entrée qui implique le noeud sinusal. Par opposition à la tachycardie sinusale inappropriée, elle est caractérisée par la survenue d’épisodes de tachycardies paroxystiques. Le traitement médical reste empirique. Ce type de tachycardie peut être efficacement traité par une ablation ciblant le premier site d’activation atriale.

Syndrome de tachycardie posturale orthostatique (POTS)
Syndrome défini par une augmentation de la fréquence cardiaque de plus de 30 bpm lors du passage à l’orthostatisme pendant > 30 s sans hypotension orthostatique associée.

Tachycardie atriale focale
Arythmie liée à une activité atriale organisée > 100/min naissant d’un foyer atrial et se propageant de façon centrifuge. Pour le traitement, l’ablation doit être proposée en premier (grade IB) (Figure 4).


Figure 4 : Algorithmes ESC 2019 résumant la prise en charge de la Tachycardie atriale focale.

Tachycardie atriale multifocale
Elle est définie par une tachycardie irrégulière avec au moins 3 morphologies différentes d’ondes P. Elle survient généralement dans un contexte favorisant (hypertension pulmonaire, coronaropathie, valvulopathie, hypomagnésémie). Le traitement consiste en la prise en charge du facteur favorisant et en l’administration d’un traitement par bétabloquant ou inhibiteur calcique bradycardisant (grade IIa). En cas d’échec du traitement médicamenteux, et d’altération de la fraction d’éjection, il faudra considérer une ablation du NAV avec mise en place d’une stimulation Hissienne ou biventriculaire (grade IIa).

Tachycardies par macro-réentrées
On distingue les macro-réentrées dépendantes de l’isthme cavo-tricuspide (flutter atrial typique) et les flutters atypiques.
Même en l’absence de FA concomitante, une anticoagulation curative doit être envisagée (grade IIa).
Une cardioversion médicamenteuse par Ibutilide IV ou Dofetilide (IV ou per os) peut être réalisée en milieu hospitalier (grade I). Si le patient est porteur d’un stimulateur cardiaque ou d’un défibrillateur, une stimulation atriale rapide peut être réalisée pour réduire le flutter en phase aiguë (grade I).
Les macro-réentrées ne dépendant pas de l’isthme cavo-tricuspide peuvent survenir le plus souvent après une chirurgie cardiaque ou après des procédures d’ablation. L’ablation par cathéter de ces flutters atypiques doit être réalisée dans un centre expérimenté (grade IB).

Prise en charge des tachycardies jonctionnelles

Tachycardies par ré-entrée intra-nodale
95 % des TRIN sont dites typiques (« slow-fast ») avec une descente par la voie lente et une remontée par la voie rapide.

En cas de crises de tachycardies récurrentes, les recommandations insistent sur la place de l’ablation par cathéter comme traitement de référence (grade IB). Un traitement par inhibiteur calcique bradycardisant ou bétabloquant peut être proposé en alternative (IIa).

A noter que le traitement « pill-in-the-pocket » a été abandonné dans ces recommandations !

Tachycardies jonctionnelles ectopiques
Il s’agit d’une arythmie liée une automaticité anormale du NAV ou du faisceau de His proximal, survenant plus fréquemment chez l’enfant. Les recommandations insistent sur l’efficacité du traitement par Amiodarone possiblement associé à l’ivabradine ou au Propafenone. L’ablation par cathéter est réalisable mais avec un taux de succès plus faible et un risque de BAV plus élevé (5-10 %).

Prise en charge des tachycardies re-entrantes atrioventriculaires
Il s’agit de tachycardies ré-entrantes utilisant le NAV et une voie accessoire. Dans de rares cas, le circuit peut utiliser deux voies accessoires. En cas de conduction antérograde, une pré-excitation peut être visualisée sur l’ECG de base. Si la voie accessoire conduit exclusivement de façon rétrograde, on parle de voie accessoire cachée.

  • Syndrome de Wolff-Parkinson White (WPW) : traitement de référence est l’ablation du faisceau accessoire par cathéter (IB).
  • Les PJRT (permanent junctional reciprocating tachycardia, ou tachycardie de Coumel) constituent une cause rare de tachycardie réciproque utilisant une voie accessoire cachée à conduction rétrograde décrémentielle, généralement localisée en région postéro-septale.
  • Chez un patient présentant une pré-excitation asymptomatique (Figure 5), il est recommandé de stratifier le risque de mort subite par la réalisation d’une EEP avec utilisation d’isuprel (grade IIa et même grade I en cas d’activités à risque ou de sport en compétition, cf. algorithme ci-contre). L’évaluation non-invasive du risque est moins fiable (grade IIb). L’ablation par cathéter est recommandée en cas de voie accessoire maligne avec une période réfractaire antérograde < 250 ms ou des voies accessoires multiples (grade I).
  • L’ablation doit également être envisagée chez les patients avec une pré-excitation asymptomatique et une dysfonction ventriculaire gauche en lien avec un assynchronisme électrique (grade IIa).


Figure 5 : Algorithmes ESC 2019 résumant la prise en charge devant une Pré-excitation asymptomatique.

Tachycardie supra-ventriculaire chez la femme enceinte

  • Durant le premier trimestre, il est recommandé d’éviter tout traitement anti-arythmique +++ (grade I).
  • Les béta-bloquants béta-1-sélectifs ou le Verapamil sont indiqués pour prévenir la survenue de TSV en l’absence de syndrome de WPW (grade IIa). En cas de syndrome de WPW, un traitement par Flécaïne ou Propafenone peut être considéré (grade IIa).
  • En cas d’échec des traitements médicamenteux, l’ablation par cathéter doit être retardée jusqu’au deuxième trimestre dans la mesure du possible et réalisée dans des centres expérimentés pouvant utiliser des systèmes de cartographie et de navigation sans scopie (grade IIa).

Cardiopathie rythmique

  • Les tachycardies supra-ventriculaires peuvent constituer une cause d’altération de la fonction ventriculaire gauche. Ce syndrome a initialement été décrit avec les PJRT mais peut intéresser tout type d’arythmie chronique.
  • Ablation par cathéter recommandée en cas de cardiomyopathie rythmique (grade IB). En cas d’échec de l’ablation, un contrôle de la fréquence cardiaque par bétabloquant est recommandé (grade IA).
  • En cas d’échec du contrôle de la fréquence cardiaque, les recommandations 2019 introduisent une nouveauté : l’indication à une ablation du NAV avec implantation d’un stimulateur cardiaque biventriculaire ou stimulation Hissienne (grade IC).

Synthèse des points clés à retenir de ces nouvelles recommandations ESC 2019

  • Manoeuvres vagales et Adénosine sont le traitement de choix de la prise en charge aigüe des TSV.
  • En cas d’échec, on peut utiliser bétabloquants ou inhibiteurs calciques bradycardisants (IIa).
  • A la phase aiguë d’une tachycardie à QRS larges, on peut utiliser Procainamide (IIa). L’Amiodarone passe en grade IIb.
  • Ablation par cathéter proposée comme traitement de premier choix de toutes les tachycardies ré-entrantes et de la plupart des tachycardies focales.
  • Sotalol non recommandé dans la prise en charge des tachycardies supra-ventriculaires.
  • Amiodarone, Digoxine, béta-bloquants et inhibiteurs calciques bradycardisants contre-indiqués en cas de FA avec pré-excitation ventriculaire. On peut utiliser de l’ibutilide ou de la procainamide ou une cardioversion électrique en phase aiguë avant l’ablation.
  • Exploration électrophysiologique recommandée chez les patients avec une pré-excitation asymptomatique (IIa) et ce d’autant plus s’ils ont un métier à risque ou pratiquent du sport en compétition (I).
  • Ablation par cathéter recommandée chez les patients symptomatiques ou si période réfractaire antérograde de la voie accessoire < 250 ms.
  • Chez la femme enceinte : il faut éviter l’utilisation de tout traitement anti-arythmique pendant le premier trimestre de grossesse. Si un traitement par béta-bloquant est nécessaire, il faut utiliser les béta-1 sélectifs. En l’absence d’alternative, on peut proposer une ablation idéalement à partir du 2ème trimestre (en centre expert pour limiter l’utilisation de scopie).
  • Ablation comme traitement de choix de la cardiopathie rythmique en lien avec une TSV. En cas d’échec, l’ablation du NAV avec implantation d’un stimulateur cardiaque bi-ventriculaire ou d’une stimulation Hissienne doit être envisagée.

Article paru dans la revue “Collèges des Cardiologues en Formation” / CCF N°9

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