Prise en charge des arythmies ventriculaires et la prévention de la mort subite

Publié le 05 Oct 2022 à 15:15

 

Introduction
Ces nouvelles recommandations actualisent celles de 2015 en y apportant les nouvelles données concernant l’épidémiologie de la mort subite, les nouveautés en termes de test génétique, d’imagerie et de stratification du risque, ainsi que les avancées diagnostiques et thérapeutiques dans le domaine.

Définitions des arythmies ventriculaires
Il existe différents types d’arythmie ventriculaire :
• Extrasystole ventriculaire (ESV) : survenue prématurée d’un complexe QRS d’une durée ≥120 msec et non précédée par une onde P. L’ESV peut être monomorphe ou polymorphe selon qu’une même morphologie se répète ou non ;
• Tachycardie ventriculaire (TV) : survenue d’au moins 3 battements consécutifs à une fréquence >100 bpm, en provenance des ventricules et de manière indépendante de la conduction atriale et atrioventriculaire. La TV est dite non soutenue (TVNS) si elle dure moins de 30 secondes ou soutenue (TVS) si elle dure plus de 30 secondes ou qu’elle a nécessité une intervention médicale pour l’arrêter. La TV peut être monomorphe ou polymorphe selon que la morphologie des QRS reste identique ou non ;
• Fibrillation ventriculaire (FV) : rythme anarchique avec ondulations irrégulières en timing et en morphologie ; • Orage rythmique : arythmie ventriculaire soutenue survenant au moins 3 fois en 24 heures à au moins 5 minutes d’intervalle, chaque épisode nécessitant une intervention médicale pour l’arrêter ;
• TV incessante : récidive de TV soutenues malgré des interventions répétées pour l’arrêter sur une durée de plusieurs heures ;
• Mort subite : décès soudain présumé de cause cardiaque survenant dans l’heure suivant le début de symptôme en cas de témoin ou dans les 24 heures après le dernier contact en vie avec un témoin.

Évaluation des arythmies ventriculaires Quels examens complémentaires ?
En plus de la clinique, l’ECG et l’ETT sont deux examens majeurs pour l’évaluation initiale des patients présentant des arythmies ventriculaires afin de dépister une cardiopathie structurelle sous-jacente. Le test d’effort possède également un rôle diagnostic et pronostic important, mais c’est l’IRM cardiaque qui est l’examen le plus rentable et précis dans le contexte d’arythmie ventriculaire. Le scanner apporte également des informations précieuses du fait de sa haute résolution spatiale. Les explorations électrophysiologiques endocavitaires, notamment la stimulation ventriculaire programmée, permettent une exploration invasive qui guide les indications d’implantation de défibrillateur automatique implantable (DAI). Concernant les tests diagnostiques de provocation, les tests à l’épinéphrine ne sont plus recommandés pour le diagnostic de syndrome du QT long en raison de nombreux faux positifs. Les recherches génétiques ont considérablement progressé (séquences nouvelles générations, meilleure disponibilité et moins chères). La réalisation d’un test génétique ainsi que le conseil génétique doivent être réalisés par une équipe d’experts multidisciplinaire (grade I-C) devant toute suspicion d’arythmie ventriculaire ou de mort subite d’origine génétique (grade I-B). Ils ne sont pas recommandés chez les patients index si les preuves d’une maladie génétique sont insuffisantes (grade III-C).

Quelle stratégie adopter en pratique ?
>> Scénario 1 : découverte fortuite d’une TVNS
La survenue d’une arythmie ventriculaire (ESV, TVNS, TVS) nécessite au minimum la réalisation d’un ECG 12 dérivations et d’une ETT (grade I-C). Un Holter ECG d’au moins 24h doit être envisagé (grade IIa-C). Ce bilan permet de rechercher une cardiopathie structurelle. Si une coronaropathie a pu être exclue, pourra être complété par une IRM (grade IIa-B).

Figure 1. Algorithme de prise en charge diagnostique devant la découverte d’une TVNS

>> Scénario 2 : premier épisode de TVS monomorphe
 La TVS monomorphe est la plupart du temps associée une cardiopathie structurelle sous-jacente. L’ECG et l’ETT sont donc systématiques (grade I-A) ainsi qu’une évaluation coronaire. En l’absence de coronaropathie, une IRM doit être envisagée (grade IIa-B).

Il pourra être discutée la réalisation d’une exploration électrophysiologique avec un mapping électro-anatomique, voire des biopsies guidées par le mapping selon la suspicion étiologique (grade IIb-C).

Figure 2. Algorithme de prise en charge diagnostique devant un premier épisode de TVS.

>> Scénario 3 : mort subite cardiaque récupérée
Dans un premier temps, il faut rechercher une coronaropathie sur l’ECG 12D (et réaliser une coronarographie en urgence en cas de sus-décalage du segment ST) et faire une ETT (grade I-C). L’analyse par une équipe multidisciplinaire en l’absence de cause extracardiaque évidente est recommandée (grade I-B). Si les caractéristiques cliniques, électrocardiographiques et échographiques n’orientent pas vers une cause cardiaque, un scanner thoracique et cérébral doit être discuté (grade IIa-C). En l’absence d’arguments pour une cause extracardiaque, il faut répéter les ECG avec réalisation d’ECG avec des dérivations hautes, et effectuer une surveillance télémétrique continue, ainsi que des prélèvements sanguins avec toxicologie sanguine et des tests génétiques qui devront être conservés (grade I-B). En cas de négativité de tous ces examens, il faut réaliser une évaluation coronaire si celle-ci n’a pas encore été réalisée (grade I-B). Si ces examens sont normaux, une IRM cardiaque est recommandée (grade I-B). Un test de provocation par un bloqueur des canaux sodiques (type Ajmaline) et un test d’effort seront recommandés si les examens précédents ne sont pas contributifs (grade I-B). Enfin, la recherche d’un vasospasme pourra être envisagée, avec un niveau de recommandation plus faible que les précédents (grade IIb-B) grâce à des tests de provocation adaptés. Si l’ensemble de ces examens revient négatif, le diagnostic de FV idiopathique pourra être retenu.

Figure 3. Algorithme de prise en charge diagnostique devant une mort subite récupérée.

>> Scénario 4 : mort subite non récupérée
Après une mort subite, il est important de connaître précisément les circonstances du décès ainsi que les antécédents personnels et familiaux (grade I-B). Une autopsie est recommandée ainsi que des prélèvements sanguins avec réalisation d’analyses toxicologiques pour toute mort subite « inattendue », en particulier avant 50 ans (grade I-B). Au décours de ces examens, on retient 3 possibilités : mort subite non cardiaque, mort subite cardiaque sans suspicion d’héritabilité, mort subite cardiaque avec suspicion d’héritabilité. En cas de suspicion de mort subite d’origine cardiaque, il est recommandé de conserver des échantillons avec possibilité d’extraction d’ADN par la suite, et de consulter un anatomo-pathologiste en cas de suspicion de cause héritable ou de mort subite inexpliquée (grade I-B). Des tests génétiques sont également recommandés en cas de suspicion d’héritabilité ou de mort subite sans cause évoquée. Une analyse génétique post-mortem à la recherche de maladies électriques primaires est recommandée chez les patients < 50 ans ou en cas de points d’appels (grade I-B). Si les tests génétiques reviennent positifs, il est recommandé que les apparentés du premier degré bénéficient d’une évaluation cardiologique (grade I-B).

>> Scénario 5 : apparentés d’une victime de mort subite inexpliquée

Une enquête familiale des apparentés d’une victime de mort subite inexpliquée est recommandée dans les situations suivantes (grade I-B) : apparentés au 1er degré, proches possiblement atteints de la mutation au vu de l’enquête familiale, proches avec symptômes suspects, suspicion d’héritabilité. Cette enquête familiale doit être complétée si possible par un test génétique post-mortem afin de détecter une éventuelle mutation pathogénique (grade I-B).

Traitements des arythmies ventriculaires

Traitement de la TV
En cas de TV soutenue avec instabilité hémodynamique, une cardioversion électrique est recommandée sans délai (grade I-B).

En cas de TV soutenue monomorphe bien tolérée, une cardioversion électrique est recommandée en première intention si le risque anesthésique ou de sédation est faible (grade I). Un traitement par bétabloquant IV est recommandé en cas de TV infundibulaire ou par vérapamil en cas de TV fasciculaire (grade I-C). Si une cardiopathie structurelle est connue ou suspectée, le recours au procaïnamide IV doit être envisagé (grade IIa-B). En l’absence de diagnostic clair, on peut discuter l’administration d’amiodarone IV (grade IIb-B). En l’absence de cardiopathie sous-jacente, on peut discuter l’administration de flécaïne, d’Ajmaline ou de sotalol (grade IIb-C).

Figure 4. Algorithme de prise en charge thérapeutique devant une tachycardie ventriculaire.

Traitement de l’orage rythmique
Il est recommandé d’avoir recours à une sédation douce à modérée, un traitement anti-arythmique par bétabloquant non-sélectif et amiodarone IV en cas de cardiopathie sous-jacente, une supplémentation en magnésium IV et à l’augmentation de la fréquence cardiaque par sonde d’entraînement ou par isoprénaline (grade I-C). Une ablation par cathéter est recommandée en cas de TV incessante ou d’orage rythmique sur TV monomorphe réfractaire aux anti-arythmiques (grade I). Si l’ablation n’est pas possible, une modulation du système nerveux autonome et une assistance cardiocirculatoire peuvent être discutée (grade IIb-C). Une sédation plus puissante avec intubation doit être envisagée en cas d’orage rythmique réfractaire (grade IIa-B). En cas de TV polymorphe ou de FV déclenchée par une ESV de morphologie similaire, l’ablation d’ESV par cathéter doit être discutée (grade IIa). La quinidine peut être envisagée en cas d’orage rythmique sur cardiopathie ischémique en cas d’échec des autres anti-arythmiques (grade IIb).

Figure 5. Algorithme de prise en charge thérapeutique de l’orage rythmique

Traitement au long cours
L’optimisation du traitement médical (incluant IEC, ARA2, Entresto, antagoniste des récepteurs aux minéralocorticoïdes, inhibiteur de SGLT2) est recommandée chez les patients avec insuffisance cardiaque à FEVG altérée (grade I-A). L’implantation d’un DAI est recommandée chez les patients ayant présenté une FV ou une TV mal tolérée hémodynamiquement, uniquement en l’absence de cause réversible et si l’espérance de vie est supérieure à 1 an (grade I-C). Un DAI sous-cutané doit être discuté dans les cas où la stimulation n’est pas nécessaire (bradycardie, resynchronisation, ATP) (grade IIa). Afin d’éviter les thérapies inappropriées, il est recommandé de recourir à une ablation des troubles du rythme supraventriculaires, en particulier de la fibrillation atriale (grade I). Le port d’un gilet de défibrillation doit être discuté en prévention secondaire chez un patient avec une contre-indication temporaire au DAI (endocardite par exemple) (grade IIa-C) et après un infarctus du myocarde chez des patients sélectionnés (grade IIb-B).

Focus sur deux situations particulières

Maladie coronaire
À la phase aiguë d’un infarctus du myocarde, le traitement d’une TV polymorphe récidivante ou d’une FV consiste en l’utilisation de bétabloquants IV (grade I-B), d’amiodarone IV (grade IIa-C) ou de lidocaïne IV (grade IIb-C). En dehors des bétabloquants, il n’est pas recommandé de recourir à un traitement anti-arythmique préventif en l’absence d’arythmie ventriculaire (grade III-B). La FEVG doit être évaluée systématiquement avant la sortie de l’hôpital et les patients avec une FEVG < 40 % doivent bénéficier d’une réévaluation 6 à 12 semaines après l’événement aigu pour évaluer l’indication d’un DAI (grade I-A).

Si une FV ou une TV mal tolérée hémodynamiquement survient plus de 48 heures après un infarctus, l’implantation d’un DAI est recommandée (grade I-C).

Chez les patients coronariens en dehors de la phase aiguë présentant des épisodes de TV soutenue monomorphe récidivants et symptomatiques ou avec chocs répétés par le DAI, malgré un traitement par amiodarone au long cours, une ablation de TV est recommandée plutôt qu’une escalade des traitements antiarythmiques (grade I-B). Chez les patients coronariens présentant une FEVG ≤ 35 % et une dyspnée NYHA ≥II malgré 3 mois de traitement médical optimal, l’implantation d’un DAI est recommandée (grade I-A). Elle doit être discutée en cas de FEVG ≤ 30 % en classe NYHA 1 (grade IIa-B) et peut être envisagée en cas de FEVG ≤ 40 % avec des épisodes de TVNS et une stimulation ventriculaire programmée positive (grade IIa-B). Chez les patients coronariens avec une FEVG > 40 % et des épisodes de TV soutenus monomorphes, l’ablation de TV dans des centres experts doit être considérée comme une alternative à l’implantation d’un DAI (grade IIa-C).

ESV et TV idiopathiques
En cas d’ESV ou TV symptomatique idiopathique infundibulaire ou fasciculaire gauche, une ablation est recommandée en 1ère intention (grade I-B) ou, si l’ablation n’est pas disponible, un traitement par bétabloquants ou inhibiteurs calciques non-dihydropyridines ou flécaïne (grade IIa-B). Pour les autres cas d’ESV, un traitement par bétabloquants ou inhibiteurs calciques non-dihydropyridines est recommandé en première intention (grade I-C) et la flécaïne ainsi que l’ablation doivent être discutées (grade IIa-B). Si la charge quotidienne d’ESV ou TV est supérieure à 20 %, une ablation peut être discutée même chez les patients asymptomatiques (grade IIb-B). L’amiodarone n’est pas recommandé en 1ère intention dans le traitement des ESV idiopathiques (grade III-C). En cas d’altération de la FEVG inexpliquée chez des patients présentant une charge en ESV > 10 %, le diagnostic de cardiomyopathie ESV-induite doit être envisagé et une IRM doit être discutée (grade IIa-B).

Auteur
Nabil BOUALI
Membre du CCF, Poitiers

Relecteur
Dr Antonin TRIMAILLE
Membre du CCF, Strasbourg

Article paru dans la revue “Collèges des Cardiologues en Formation” / CCF N°16

Publié le 1664975718000