Présentation d’une étude européenne qui évalue le risque de MICI à partir d’un score nutritionnel dans une grande cohorte en population (1).
Contexte
Personne n’a pu passer à côté des campagnes nutritionnelles telles que : « manger 5 fruits et légumes par jour », « Ne pas manger trop gras, trop sucré, trop salé », etc. L’alimentation a un impact sur notre santé : avec la « mal bouffe » et les aliments ultra-transformés, elle devient un enjeu de santé publique majeur pour prévenir un grand nombre de pathologies : syndrome dysmétabolique, maladies cardio-vasculaires, cancer et ce qui va nous intéresser plus particulièrement dans cet article est le lien avec le développement des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI). De nombreuses études ont déjà montré le lien entre certains aliments et le risque de développer une MICI. Ainsi les recommandations actuelles font la promotion du régime dit « méditerranéen ».
En pratique ça consiste en quoi exactement une alimentation équilibrée ?
Pour bien comprendre il faut avoir quelques bases en nutrition et bien définir ce qu’est une alimentation équilibrée. Les recommandations actuelles conseillent (2) :
- 5 fruits et légumes par jour soit 400g/j.
- 1 féculent complet par jour.
- 2 produits laitiers par jour.
- 5g de sel/j (la consommation actuelle de sel est autour de 9-12g/j).
- Privilégier huile de colza, de noix ou d’olives tous les jours.
- Légumes secs deux fois par semaine.
- Poisson deux fois par semaine dont 1 poisson gras.
- Limiter les apports de viande rouge et favoriser la viande blanche.
- Diminuer la consommation d’alcool, de graisses saturées, de produits industriels trop salés et/ou trop sucrés et de produits ultra-transformés.
La majorité des études actuelles se sont penchées sur les nutriments et les aliments pour définir le risque de MICI et moins sur le régime alimentaire global pour évaluer la qualité nutritionnelle de notre alimentation. Par exemple, les aliments riches en graisses saturées, en sucres rapides ou en sel ont une faible qualité nutritionnelle mais sont présents dans tous les régimes alimentaires.
Il est important d’avoir en tête 2 classifications nutritionnelles importantes.
Le nutri-score (3) : Il a été mis en place pour la première fois en France en 2017 en se basant sur les travaux du Pr Serge Hercberg. Il est visible sur les emballages alimentaires et permet de fournir une information simple sur la qualité nutritionnelle globale des produits que le consommateur achète, et aide à comparer les différents produits lors des achats. Il classe les produits selon une échelle de 5 couleurs (du vert au rouge) associée à des lettres de A « meilleure qualité nutritionnelle » à E « moins bonne qualité nutritionnelle ». Son calcul se base sur 100 g ou 100 ml de produit en attribuant des points entre les composantes jugées négatives (sucres, sel, acide gras saturés) et positives (fibres, protéines, fruits, légumes, légumineuses, fruits à coque, huile de colza, de noix, olive), afin d’attribuer une note.
L’objectif du nutri-score est l’information et la simplification pour accompagner le consommateur et favoriser l’amélioration des produits par les fournisseurs. Cet étiquetage est en développement et s’est généralisé dans toute l’Europe.
Le nutri-score est basé sur une méthode de notation nutritionnelle développée par la British Food Standard Agency connue sous le nom de Score FSA-NPS « Food Standards Agency Nutrient Profiling System ». Cet indice alimentaire a ensuite été adapté au niveau individuel pour donner le Score FSAm-NPS DI « The FSAm-NPS Dietary Index (DI) » qui résume la composition alimentaire moyenne d’un individu.
L’objectif de l’étude est d’étudier l’association entre le score FSAmNPS DI et les risques de maladie de Crohn (MC) et de rectocolite hémorragique (RCH) en utilisant les données de l’enquête prospective européenne sur le cancer et la nutrition (EPIC), une vaste cohorte prospective de volontaires sains qui utilise une évaluation validée de l’apport alimentaire.
Méthodologie de l’étude
Il s’agit d’une étude observationnelle multicentrique se basant sur une cohorte prospective, la cohorte EPIC créée en 1991 pour étudier le rôle de l’alimentation et des différents modes de vie dans divers cancers et maladies chroniques chez des patients sains d’âge moyen qui regroupaient plus de 520 000 personnes de 23 centres dans 10 pays européens. Les auteurs ont basé leur étude sur la cohorte EPIC IBD, un sous-groupe de la cohorte EPIC, qui comprend les centres qui ont accepté de collecter et de recenser les nouveaux diagnostics de MICI survenus après l’inclusion ce qui correspond à 437 972 participants.
Les données alimentaires ont été recueillies par des questionnaires validés sur la fréquence alimentaire soit par entretien soit par questionnaire administrés sur la fréquence des aliments sur 1 an, ce qui a permis de calculer les apports moyens individuels d’aliments ou de groupes d’aliments en grammes par jour.
À partir de ces données, le score FSAm-NPS DI a été obtenu, reflétant la qualité nutritionnelle du régime alimentaire d’un individu en se basant sur le score FSAm-NPS (calculé sur la teneur en nutriments de 100g d’aliment ou de boisson, en attribuant des points en fonction du type de nutriment consommé). Plus le score FSAm-NPS DI était bas, meilleure était la qualité nutritionnelle de l’individu. Pour affiner les résultats, les auteurs ont divisé les résultats du score FSAm-NPS DI en quartiles et en déciles, en fonction du sexe. Le quartile et le décile les plus bas ont été pris comme référence car ils correspondent à une meilleure qualité nutritionnelle.
Des questionnaires sur le mode de vie ont également été réalisés portant sur la consommation de tabac, l’activité physique et le niveau d’éducation. L’IMC de chaque participant a été calculé et inclus dans l’analyse de données.
Les participants ayant développé une MICI au cours du suivi ont été identifiés soit par des questionnaires de suivi, soit par les registres nationaux selon les centres. Pour chaque cas suspect, les médecins locaux ont confirmé le diagnostic de RCH ou de MC en examinant les dossiers des patients (clinique, radiologique, endoscopique, biologique…).
Les associations entre le score FSAm-NPS DI et les risques de MC/RCH ont été estimées à l’aide de modèles de Cox. Les auteurs ont limité les biais en réalisant une stratification par centre, par sexe et par âge et en ajustant les résultats en fonction de la consommation de tabac, l’IMC, l’activité physique, l’apport énergétique total et la consommation d’alcool. Pour limiter les bais de causalité et ne pas surestimer le risque de MICI, les patients qui ont développé une MICI dans les deux premières années de suivi ont été exclus. Une analyse complémentaire a également été réalisée en se basant sur les consommations de lipides, protéines et glucides.
Résultats de l’étude
Au total, 394 255 personnes ont été inclues dans cette étude dont la majorité étaient des femmes (68,1 %) avec un âge moyen au moment du recrutement de 52,1 ans. Après un suivi médian de 13,6 ans, 184 cas de MC ont été recensés et 459 cas de RCH, soit des taux d’incidence de 3,8 et 9,4 pour 100 000 personnes-années, respectivement.
Comparés au premier quartile, les résultats sont statistiquement significatifs avec une augmentation du risque de MC détecté à partir du troisième quartile (aHR 1.79 [IC 95% 1.09-2.92] p<0.01). Ces résultats sont cohérents avec l’analyse en déciles avec des résultats statistiquement significatifs à partir du 5ème décile p<0.01 (le 6ème décile étant exclu : aHR 1.84 [IC 95% 0.73-4.63]).
L’étude a mis en évidence que des scores FSAm-NPS DI élevés (moins bonne qualité nutritionnelle de l’alimentation) étaient associés à un risque accru de développer une MC (aHR: 2.04, [IC 95% 1.24-3.36] p<0.01), mais pas de RCH (aHR: 0.91, [IC 95% 0.69- 1.21] p=0.76).
De même, les résultats montrent qu’une augmentation d’une unité du score FSAm-NPS DI était associée à une augmentation de 13 % du risque de MC (aHR : 1,13 ; [IC 95% 1.05-1.22]), sans association avec le risque de RCH. Parmi les aliments pris en compte dans le calcul du score FSAm-NPS DI, les fibres alimentaires et les fruits/légumes/légumineuses/ noix étaient inversement associés au risque de MC (HR ajusté : 0,49, [IC 95% 0.28-0.85])
Conclusion
Le régime alimentaire a un impact important dans l’épidémiologie des MICI et notamment dans la survenue de maladie de Crohn, plus fréquente lors d'un régime alimentaire de mauvaise qualité associé à une faible consommation de fibres, fruits, légumes, légumineuses et noix.
Dans cette étude, les auteurs ont pu analyser un grand nombre de participants avec des régimes alimentaires divers en se basant sur un score alimentaire (le score FSAm-NPS DI qui est à la base du label Nutri-Score) utilisé dans de nombreux pays. Les scores les plus élevés pouvant être associés à un risque trois fois plus élevé de maladie de Crohn.
De nombreuses études ont déjà prouvé le risque de MICI associé à certains aliments (entre autres les aliments ultra-transformés), mais c’est la première étude qui évalue le risque de MICI selon un score nutritionnel. En accord avec ces résultats, une méta-analyse (4) récente a montré qu’un apport élevé en fibres alimentaires était associé à un risque plus faible de MC, mais pas de RCH. Une autre étude (5) a montré qu’une consommation élevée de fibres, de fruits et de légumes était associée à un risque plus faible de MC.
Cependant, cette étude a certaines limites. Le régime alimentaire n’a été mesuré qu’une seule fois au moment du recrutement alors qu’il a pu changer par la suite. Elle se basait sur la fréquence alimentaire plutôt que sur l’évaluation de l’alimentation détaillée et certains questionnaires pouvaient varier d’un centre à l’autre. L’âge moyen étant autour de 50 ans, ces données ne sont pas généralisables à un population plus jeune. De plus, les facteurs environnementaux et génétiques pouvant également influencer la survenue d'une MICI ne sont pas pris en compte.
Que ce soit en prévention de la survenue de la maladie, en prévention des poussées et durant le suivi de maladie active, l’alimentation joue un rôle central dans la prise en charge de la maladie de Crohn. Ceci renforce également la séparation en termes de facteurs de risque et d’étiopathogénicité entre la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique qui sont bien deux entités différentes.
Inès LEVEQUE
Un grand merci au Pr Lucine VUITTON
(Service de Gastroentérologie au CHU de Besançon)
pour sa relecture et ses corrections
References