Prévalence et impact pronostique de la consommation de drogues illicites et de la mesure du CO expiré chez les patients hospitalisés en USIC

Publié le 05 Oct 2022 à 15:22

 

Étude présentée en Late-Breaking Science lors de l’ESC 2022 qui repose sur une collaboration entre le Collège des cardiologues en Formation (CCF) et le groupe USIC de la Société Française de Cardiologie.

           

Pourquoi proposer une étude sur la consommation des drogues illicites et la mesure du CO chez les patients fumeurs ?
La consommation de drogues illicites est l’une des causes les plus courantes de morbidité et de mortalité évitables dans le monde1, 2 . On estime qu’au cours de l’année écoulée, environ 275 millions de personnes ont consommé des drogues illicites, soit une augmentation de 22 % par rapport à 20103 . Aux États-Unis, la prévalence annuelle estimée de la consommation de drogues illicites est d’environ 16 % (53,2 millions de consommateurs)4, 5 . Le cannabis, la cocaïne, la 3,4-méthylènedioxyméthamphétamine (MDMA), les amphétamines et l’héroïne ou d’autres opioïdes sont les substances illicites les plus couramment utilisées3, 6.

L’utilisation chronique de ces substances peut provoquer un large panel d’événements cardiovasculaires aigus, notamment la mort subite, le syndrome coronaire aigu, l’insuffisance cardiaque aiguë, la dissection aortique, les événements thromboemboliques, la myocardite et les arythmies cardiaques7 . Des études antérieures ont rapporté que la consommation récente de cannabis ou de cocaïne chez des patients ayant subi un infarctus du myocarde était associée à une détérioration des résultats au cours du suivi12-16 . Cependant, ces études étaient souvent rétrospectives, généralement réalisées chez des patients jeunes, sans dépistage systématique des drogues illicites par un test sanguin ou urinaire. En effet, la quasi-totalité des études réalisées jusque-là reposent sur des données déclaratives sur la consommation des drogues illicites, avec donc un risque de biais de mémorisation important. Ces limites atténuent bien évidement l’exactitude des données actuelles évaluant la prévalence de la consommation de drogues illicites.

Alors que le taux de sous-déclaration de ces substances illégales reste élevé (40- 60 % dans la littérature), les lignes directrices actuelles recommandent uniquement une enquête déclarative pour rechercher la consommation de drogues illicites, mais sans dépistage systématique dans l’urine ou le plasma17, 18 . Bien que de nombreux événements cardiovasculaires aigus puissent impliquer la consommation de drogues illicites, sa prévalence chez les patients hospitalisés dans les unités de soins cardiaques intensifs (USIC), ainsi que ses conséquences cardiovasculaires à court terme, restent inconnues.

Par conséquent, l’étude ADDICTO-USIC (Addiction in Intensive Cardiac Care Units, ADDICT-ICCU study) a été conçue pour évaluer de manière prospective la prévalence de la consommation de drogues illicites et son association avec la survenue d’événements indésirables majeurs (MACE) à l’hôpital chez des patients consécutifs admis dans des USIC pour des événements cardiovasculaires aigus. De plus, une première étude ancillaire a été réalisée pour évaluer l’impact pronostique de la mesure du CO expiré, marqueur de la quantité de cigarettes consommées dans les 24 dernières heures.

Quel est le design de cette étude ?
Du 7 au 22 avril 2021, un dépistage des drogues illicites a été réalisé par analyse urinaire systématique dans une étude prospective incluant tous les patients consécutifs admis dans les USIC de 39 centres répartis dans toute la France.

Le résultat primaire était la prévalence des drogues illicites détectées. Les substances psychoactives suivantes ont été évaluées par NarcoCheck® (Kappa City Biotech SAS, Montluçon, France) : i) cannabinoïdes (tétrahydrocannabinol [THC]), y compris le cannabis et le haschisch ; ii) cocaïne et métabolites, y compris la cocaïne et le crack ; iii) amphétamines ; iv) MDMA ; et v) héroïne et autres opioïdes (Figure 1). Par ailleurs, une mesure du CO expiré a été réalisée chez tous les patients à l’aide d’un outil de mesure validé (CO-Check Pro device, Bedfont Scientific Ltd, Kent, UK). La mesure du CO expiré en ppm est corrélée à la quantité de cigarettes consommées dans les 24 dernières heures.

Le résultat clinique secondaire était les événements cardiaques indésirables majeurs (major adverse cardiovascular events, MACE) définis par le décès, l’arrêt cardiaque en réanimation ou le choc cardiogénique. Cette étude a été conçue pour évaluer prospectivement la prévalence de la consommation de drogues illicites et son association avec la survenue d’événements cardiaques indésirables majeurs à l’hôpital chez des patients consécutifs admis dans des unités de soins intensifs pour des événements cardiovasculaires aigus. (Enregistrement de l’essai : ClinicalTrials.gov Identifier : NCT05063097). Figure 1 : Test urinaire de détection des drogues illicites.

Quels ont été les principaux résultats de cette étude ?
• Parmi 1 499 patients consécutifs dépistés (âge moyen de 63 ans et 69,6 % d’hommes), 161 (10,7 %) ont eu un test positif pour des drogues illicites (cannabis : 9,1 %, opioïdes : 2,1 %, cocaïne : 1,7 %, amphétamines : 0,7 %, 3,4-méthylènedioxyméthamphétamine : 0.6 %).
• Les patients qui consommaient des drogues illicites étaient plus jeunes et plus souvent des hommes.
• La consommation actuelle auto-déclarée était de 56 % chez les patients dont le test était positif. Autrement dit 44 % des patients consommateurs de drogues illicites ne déclaraient aucune consommation lors de leur interrogatoire spécifique.
•  Après une durée médiane d’hospitalisation de cinq jours, 61 MACEs ont été enregistrés à l’hôpital (4,1 %). •  La détection de drogues illicites était indépendamment associée à un taux plus élevé de MACE après ajustement pour les tous prédicteurs connus de gravité. Après ajustement pour l’âge et le sexe, la détection de cannabis ou de cocaïne était significativement associée aux MACEs.
•  La détection de drogues multiples (28 % des patients positifs) était associée à une incidence plus élevée de MACE que la détection d’une seule drogue.
•  Le taux de CO expiré > 13 ppm chez les patients fumeurs était indépendamment associé à un taux plus élevé de MACE après ajustement pour tous les prédicteurs connus de gravité.

Présentation des données sur l’impact pronostique du CO expiré dans l’étude ADDICO-USIC, en Late-Breaking Science par le Pr Patrick Henry lors du congrès de l’ESC 2022.

Importance d’un financement institutionnel par Dotation recherche de la Fondation Coeur et Recherche
Ce projet a été rendu possible grâce à un financement à hauteur de 150 000 € de ce projet par la Dotation recherche de la Fondation Cœur et Recherche. Nous tenons ici à remercier de nouveau la Fondation Cœur et Recherche, ainsi que l’ensemble de ses donateurs et mécènes, sans lesquels ce projet n’aurait pas pu être imaginé et proposé aux jeunes.

Conclusion
Dans cette étude prospective multicentrique de patients consécutifs admis en USIC pour des événements cardiaques aigus provenant de 39 centres à travers la France, la prévalence des drogues illicites détectées dépassait les 10 %, alors que seulement la moitié d’entre eux déclaraient leur consommation. Les patients dont le test de dépistage de drogues illicites était positif avaient un moins bon résultat à court terme, indépendamment des facteurs de confusion, avec un taux plus élevé de MACE à l’hôpital. Il est intéressant de noter que les patients ayant fait l’objet d’un dépistage de drogues illicites multiples avaient le plus mauvais pronostic à l’hôpital, avec un risque de MACE doublé par rapport aux consommateurs uniques. Concernant les données du CO expiré chez les patients fumeurs, un taux de CO expiré > 13 ppm était indépendamment associé à un taux plus élevé de MACE suggérant une possible toxicité directe ou indirecte du CO chez un patient pris en charge avec un événement cardiovasculaire aigu. Enfin, une prise en charge spécifique de ces patients reste à investiguer. D’autres études internationales sont nécessaires pour confirmer ces résultats.

Références
1. Mokdad AH. Actual Causes of Death in the United States, 2000. JAMA. 2004;291(10):1238. doi:10.1001/jama.291.10.1238. 2. Murray CJL, Lopez AD. Measuring the Global Burden of Disease. N Engl J Med. 2013;369(5):448-457. doi:10.1056/NEJMra1201534.
3. World Drug Report 2021. United Nations : Office on Drugs and Crime. Accessed October 7, 2021. www.unodc.org/unodc/en/data-and-analysis/wdr2021.html
4. Rubin R. Use of Illicit Drugs Continues to Rise. JAMA. 2019;322(16):1543. doi:10.1001/jama.2019.16982.
5. 2019 National Survey of Drug Use and Health (NSDUH) Releases | CBHSQ Data. Accessed October 7, 2021. https://www.samhsa.gov/data/release/2019-national-survey-drug-use-and-health-nsduh-releases
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Auteur
Dr Théo PEZEL
Vice-président du CCF de la SFC
Co-investigateur principal de
l’étude « ADDICTO-USIC »
Cardiologue au CHU
Lariboisière à Paris

Relecteur
Pr Patrick HENRY
Past-président du groupe
USIC de la SFC
Co-investigateur principal de
l’étude « ADDICTO-USIC »
Cardiologue au CHU
Lariboisière à Paris

Article paru dans la revue “Collèges des Cardiologues en Formation” / CCF N°16  

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