Présentation du rapport parlementaire sur le BURN OUT

Publié le 27 May 2022 à 14:34

 

Commission des affaires sociales – Réunion du 15 février 2017

Gérard SEBAOUN,
Rapporteur de la mission d’information relative au syndrome d’épuisement
professionnel (ou burn out).

L’épuisement professionnel (ou burn out),
« Une réalité en mal de reconnaissance »

Mes chers collègues,

Notre rapport ne prétend pas à l’exhaustivité et il tente de mieux cerner la réalité complexe de l’épuisement professionnel dans une société en profonde mutation.

Alors que depuis des décennies la question cruciale de l’emploi et du chômage submerge jusqu’à l’étouffer, la question du travail, des chercheurs, des universitaires, les représentants d’organismes ou d’institutions publics ou parapublics, des praticiens travaillent sur la question de l’épuisement professionnel. Ils n’ont jamais cessé de réfléchir et d’étudier le travail et ses transformations profondes.

Dans le cadre de la mission, nous les avons entendus et interrogés lors de 35 auditions dont 12 tables rondes ou auditions conjointes. Au total c’est une centaine d’interlocuteurs représentatifs que nous avons rencontrés, et dont la liste figure en annexe du projet de rapport.

Nous faisons le constat que les bouleversements du monde ont charrié des changements profonds qui façonnent le quotidien de nos concitoyens. La mondialisation des échanges n’est ni heureuse, ni porteuse de tous les maux, c’est une réalité comme le sont la mécanisation, la robotisation, la tertiarisation de l’économie, la numérisation et les nouveaux modes de communication, l’apparition de nouvelles méthodes d’organisation du travail, son intensification et la généralisation de nouvelles méthodes de management.

Cette conversion de l’économie et des modes de production ne relève pas, dans l’immense majorité des cas, d’un choix des travailleurs, qu’ils exercent dans le secteur privé, au sein d’une des 3 fonctions publiques, qu’ils soient indépendants comme les agriculteurs exploitants.

La souffrance psychique au travail est une réalité grandissante qui ne s’est pas substituée à la pénibilité physique. En effet, celle-ci reste l’apanage de nombreuses branches professionnelles, mais bénéficie d’une prévention qui a progressé et s’est développée avec des protections individuelles ou collectives.

Rappelons une évidence, celle de la responsabilité de l’employeur, quel qu’il soit, de la TPE à la multinationale, prévue par l’article L 4121-1 du code du travail :

 « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Le code du travail précise les principes généraux de prévention, d’information, les relations sociales, l’organisation du travail et les conditions de travail, les nouveaux risques et notamment ceux liés au harcèlement moral, au harcèlement sexuel et aux agissements sexistes.

L’employeur a l’obligation d’évaluer les risques physiques et psychiques au travers du Document unique d’évaluation des risques (DUER), un préalable nécessaire à la mise en œuvre des actions de prévention.

Nous avons également été conduits à nous interroger sur l’effacement progressif et généralisé de la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle, facilité notamment par les nouveaux outils de communication avec des conséquences parfois dramatiques.

Nous avons ordonné ce rapport en 6 grands chapitres qui sont autant de questions et 27 propositions de portée inégale, j’y reviendrai.

Le premier chapitre vise à délimiter le champ de l’épuisement professionnel qui reste un syndrome, et non une maladie à ce stade.

Nous avons besoin d’approfondir et de stabiliser nos connaissances sur ce vaste champ dans tous les domaines, ce qui justifie :

  • La proposition n° 1 (page 26) appelant à la création d’un centre national de référence consacré à la santé psychique au travail, comme il en existe dans d’autres domaines.

Le second chapitre affirme la réalité de ce syndrome dans le monde du travail en revenant sur les chiffrages disponibles.

  • L’INVS, fusionné au sein de Santé Publique France, a évalué à 30 000 les personnes directement touchées dans une étude portant sur les salariés actifs entre 2007 et 2012 ; ce chiffre serait d’environ 100 000 si l’on suit le rapport de l’Académie de médecine publié en 2016.
  • En 2014, les médias avaient popularisé le chiffre de 3 millions, extrait de l’étude du cabinet spécialisé Technologia, réalisée à l’aide d’un questionnaire auprès de 1 000 salariés. Cette étude cherchait à évaluer le « risque de burn out » et non une mesure de sa réalité. Sa médiatisation aura eu le mérite de mettre dans le débat public la montée de la souffrance psychique au travail, avec à son paroxysme, les suicides survenus dans de grandes entreprises qui avaient profondément marqué les Français.
  • Ces chiffres sont à mettre en regard avec le nombre très limité de maladies psychiques reconnues comme maladies professionnelles par la voie complémentaire hors tableau, soit 223 en 2013, 315 en 2014 et 418 en 2015, très majoritairement des dépressions.

On rappellera brièvement que les maladies professionnelles sont les affections causées directement et essentiellement par l’activité professionnelle : comme elles se développent de manière continue, elles se distinguent des accidents du travail qui sont des traumatismes subis à l’occasion d’un évènement précis. Les maladies professionnelles sont reconnues lorsqu’elles sont prévues par l’un des 57 tableaux existants en annexe du code de la sécurité sociale ; elles peuvent également être reconnues selon la procédure complémentaire hors tableau, lorsqu’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles constate le lien direct et essentiel entre le travail et une pathologie entrainant une incapacité permanente d’au moins 25 %. Cette reconnaissance ouvre droit à une prise en charge à 100 % des conséquences médicales et salariales de la maladie, ainsi qu’à une rente dépendant du taux d’incapacité une fois la pathologie consolidée.

Le troisième chapitre constate que les réponses à cette réalité sont a minima insuffisantes voire inadéquates. C’est l’objet de nos propositions n° 2 (page 34), 3 (page 38), 4 (page 39) et 5 (page 41).

  • Nous proposons de mettre en place des outils pour améliorer le dépistage et la prise en charge rapide des victimes de burn out, avec l’élaboration d’un nouveau questionnaire au service des médecins, le renforcement du maillage territorial de consultations multidisciplinaires et un site internet public à destination de tous et des professionnels.
  • Nous abordons également le casse-tête des certificats remplis par les médecins face à des travailleurs fragilisés, souvent en détresse, devenus patients, qui établissent un lien entre l’état de santé et travail. L’attestation de ce lien et la mise en cause de l’activité professionnelle ont conduit environ 200 médecins à être poursuivis devant les juridictions ordinales. Nous proposons de reconnaître que les médecins du travail sont en capacité de faire le lien entre la souffrance constatée et le travail et n’ont pas à être déférés devant les juridictions ordinales pour cela.

Le quatrième chapitre traduit une évidence : il faut être en capacité de reconnaître avant d’envisager la réparation.

C’est un appel à un changement radical de la vision de la santé au travail et la santé psychique en particulier qui doit devenir un élément clé de la stratégie des entreprises. Le 3ème plan santé au travail 2016 – 2020, élaboré et adopté par consensus par l’ensemble des partenaires sociaux, va dans ce sens en insistant sur la prévention notamment des risques psychosociaux, avec une action spécifique sur le Burn out. Les travaux initiés par la branche accidents du travail – maladies professionnelles (AT-MP) vont dans ce sens. Dans ce chapitre se concentrent 15 des 27 de nos propositions.

En style télégraphique, les plus importantes concernent :

  • Le codage des arrêts de travail et leur analyse une fois anonymisés (page 56) pour mieux quantifier et territorialiser les pathologies psychiques.
  • L’élaboration de modèles types de document unique d’évaluation des risques (page 63) car, bien qu’obligatoires, ceux-ci ne sont élaborés au mieux que dans la moitié des entreprises. L’exemple donné par les sapeurs-pompiers professionnels qui ont, plus que d’autres, la culture de la gestion du risque, recoupait parfaitement cette réalité.
  • l’extension du droit d’alerte des délégués du personnel et des membres élus du CHSCT (page 64) à l’obligation de la réalisation ou d’actualisation du document unique.
  • L’inscription de la prévention des risques psycho-sociaux (RPS) dans le champ des négociations obligatoires annuelles (page 66), dans le bloc existant « Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et qualité de vie au travail ».
  • L’intégration des acteurs de la santé au travail dans l’élaboration des futurs accords collectifs ou chartes organisant le droit à la déconnexion (page 70).
  • L’octroi du statut de salarié protégé pour les infirmières en santé au travail, à l’instar des médecins du travail (page 74), car leurs missions ont largement évolué depuis le vote de la « loi Travail ».
  • L’amélioration de la formation (pages 71, 72, 76) :
  • Des futurs managers dès les bancs de leurs écoles ou de l’Université sur le plan théorique.
  • Avec une obligation de stages longs au sein de services opérationnels semblables à ceux qu’ils sont appelés à diriger ou à superviser.
  • Et de tous les acteurs susceptibles d’intervenir à toutes les étapes, de la prévention des RPS à la prise en charge des victimes d’épuisement professionnel.
    • La certification obligatoire des intervenants en entreprise sur le champ des RPS (page 72).
    • La réforme du processus de réinsertion professionnelle (page 78) des travailleurs atteints par le burn out, qui pêche actuellement avec des perspectives de retour à l’emploi très faibles.

    Dans les chapitres 5 et 6 du rapport, nous abordons la question de l’inscription du burn out dans un tableau de maladie professionnelle avant de terminer sur son coût économique et social.

    S’agissant de la perspective d’élaboration d’un tableau, nous proposons de procéder par étapes. En effet, les difficultés sont connues : la question de la définition d’abord, abordée au premier chapitre, et le cadenas réglementaire exigeant un taux d’IPP (Incapacité Permanente Partielle) minimal de 25 %, qui limite considérablement le nombre de dossiers éligibles par la voie complémentaire des CRRMP (comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles).

    Nous retenons qu’une majorité des personnes qualifiées auditionnées par la mission ont fait état des difficultés à construire un tableau qui, je le rappelle, repose sur 3 étapes : « désigner la maladie », « établir un délai de prise en charge » et « une liste limitative des travaux susceptibles de provoquer ces maladies ». L’examen des demandes de reconnaissance de pathologies relevant du burn out et acceptées par le CRRMP d’Île-de-France comme maladies professionnelles fait apparaître qu’elles concernent 95 professions distinctes. Ces rappels montrent la difficulté de la construction d’un tableau.

    • Nous proposons l’expérimentation de l’abaissement du taux d’IPP nécessaire à la reconnaissance d’une maladie professionnelle à 10 % voire de sa suppression (pages 82, 83) afin d’augmenter le nombre des dossiers éligibles tout en laissant inchangées les autres conditions.

    Deux informations pour bien comprendre cette proposition :

  • Un taux abaissé à 10 ou à 0 % pourrait être applicable à toutes les pathologies (même si le rapport ne le propose que pour les seules maladies psychiques).
  • Et un rappel : il n’y a pas de taux d’IPP minimal dès lors que la pathologie relève d’un tableau de maladie professionnelle.
    • Nous pensons qu’une fois définis les prérequis rappelés dans le rapport, l’intégration de nouveaux tableaux liés aux maladies psychiques devrait être possible, et reste ainsi une perspective à terme.

    En faisant la proposition d’abaisser le taux d’IPP, nous sommes conscients du risque réel de surcharge des CRRMP.

    • D’où notre proposition de renforcer dès maintenant leurs moyens, notamment en dédoublant les comités les plus chargés (page 98).
    • Par ailleurs, nous avons retenu la suggestion visant à renforcer la dimension contradictoire (page 98) de la procédure d’instruction des dossiers de MP par les caisses et les CRRMP.

    Quant au coût économique et social du burn out, il est certainement considérable même s’il peine à être quantifié, faute de définition.

    • Pour exemple, une étude multi-partenariale avait évalué le coût du stress au travail entre 1,9 et 3 milliards d’euros pour l’année 2007.
    • Une autre étude issue de la commission européenne avançait pour l’Union européenne à 15 membres et pour l’année 2002, la somme de 20 milliards d’euros.
    • En 2009, le rapport de l’agence européenne pour la sécurité et la santé au travail estimait que 50 à 60 % des journées de travail perdues dans l’Union européenne ont un lien avec le stress au travail.

    Ayons toujours à l’esprit le coût économique et social astronomique de l’ensemble des maladies mentales en France, quelle que soit leur origine. Il a été évalué par la Cour des comptes dans son rapport de 2011 à 107 milliards d’euros, et à 109 milliards d’euros dans une autre étude de 2012.

    • Nous proposons l’évaluation par la commission dite de l’article L. 176-2 du code de la sécurité sociale (page 89) du coût des maladies psychiques liées au travail, coût supporté actuellement par l’assurance maladie.
    • Nous souhaitons également la prise en charge par la branche AT-MP du suivi psychologique à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle (page 95) dès lors qu’il aura été prescrit, dans le droit fil de prises en charge expérimentales ou dérogatoires du suivi psychologique par un psychologue clinicien par l’assurance maladie.

    Voilà, mes chers collègues, résumés en quelques minutes les grandes lignes de ce rapport et les propositions que nous vous proposons d’autoriser à publier.

    Le burn out : un bon sujet

    Le burn out explose et envahit tous les métiers, il envahit également nos consultations de cette thématique, il nous faut rendre compte dans toutes les instances possibles de la société afin que chacun ait une vision réelle de l’impact et des conditions d’émergence de cette pathologie.

    Bénéfice secondaire c’est également l’occasion de montrer la richesse et l’originalité de l’intervention du médecin du travail.

    Il est également important de rappeler que le syndrome dépressif est déjà inscrit dans les tableaux des brucelloses (24) et du sulfocarbonisme (22) et dire qu’il n’y a pas de dépression dans les maladies professionnelles c’est faux cf. le tableau sur le bromure de methyle N° 26 au régime général.

    Article paru dans la revue « Syndical Général des Médecins et des Professionnels des Services de Santé au Travail » / CFE CGC n°55

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