Première télé-échographie dans l’espace

Publié le 13 May 2022 à 21:06

Décollage imminent avec le Pr Arbeille

Le 18 avril 2017, la première télé-échographie spatiale a été réalisée. A 400 km de la terre, à bord de la Station Spatiale Internationale (ISS), l’astronaute Thomas Pesquet a bénéficié d’une échographie entièrement télé-opérée par le Professeur Arbeille depuis le centre national d’études spatiales de Toulouse. Derrière cet événement se cache une carrière atypique alimentée par un souhait d’améliorer l’accès aux soins et une fascination pour la physiologie humaine dans l’espace.

L’échographie, une discipline en mouvement
Il peut paraître étonnant que ce soit un médecin non radiologue qui ait dirigé cette première mondiale. On a l’impression que l’échographie a toujours fait partie des actes de radiologie. Mais quand le Pr Arbeille s’y est intéressé, dans les années 80, l’échographie médicale n’en était qu’à ses balbutiements : "Les médecins ne croyaient pas à l’échographie, y compris les radiologues ! L’échographie est une discipline jeune dans la reconnaissance de ses performances". En quarante ans, elle est passée d’un acte accueilli avec scepticisme à une pratique démocratisée puis de routine, "et aujourd’hui, tout le monde veut faire de l’échographie, ce qui pose problème car tout le monde n’est pas qualifié". Le rôle du manipulateur a aussi évolué : "Quand j’ai appris l’échographie en 1982, ce sont les manipulateurs qui m’ont formé ! L’hôpital ne pouvait pas payer des médecins pour faire de l’échographie, donc les quelques échographistes présents déléguaient une partie de leur activité par secteur aux manipulateurs. J’ai fonctionné comme ça à l’hôpital pendant une trentaine d’années avec 3 manipulateurs pour le vasculaire, 2 manipulateurs pour l’échographie cardiaque et 2 pour l’échographie abdominale. Ils faisaient aussi bien que moi après un an de formation (500 examens). J’intervenais ponctuellement, je signais les comptes-rendus et cela permettait de couvrir 60 examens par jour pour un seul praticien".

Suite à des abus dans le secteur privé, la réalisation d’actes d’échographie par les manipulateurs fut expressément interdite par le Code de la santé publique en 1997 jusqu’au retournement de situation récent avec le décret paru au Journal Officiel du 6 décembre 2016 autorisant les manipulateurs à réaliser "le recueil du signal et des images en échographie".

L’atterrissage de la télé-échographie
Le téléphone sonne alors qu’il est d’astreinte d’échographie : encore un réveil et un déplacement à 3 heures du matin pour un globe vésical ?!... Ne serait-il pas possible de faire autrement ? En se promenant à l’Agence spatiale européeenne dans le cadre de ses recherches sur la physiologie humaine extra-terrestre, il aperçoit un robot capable de visser et dévisser des boulons à distance. Le concept de télé-échographie fuse : ‘on pourrait mettre une sonde d’échographie au bout !". Son souhait de réaliser des échographies à distance et son intérêt pour la recherche spatiale se rejoignent alors pour donner vie au projet.

Il raconte : ‘"e suis allé à la rencontre des enseignants  chercheurs de l’IUT « vision robotique » à Bourges en précisant ce que je souhaitais comme caractéristiques techniques (capacité d’inclinaison et de rotation, encombrement, poids). Ils ont réalisé un bras robotisé de la taille d’un sac-à-dos, au bout duquel on accrochait la sonde d’échographie. On faisait circuler l’information par ligne téléphonique RNIS ou par liaisons satellites." Grâce au financement de l’Agence spatiale européenne qui encourage l’utilisation de technologies de communication terriennes et satellitaires pour des opérations de santé, le premier essai est réalisé en 1997 au Népal avec trois alpinistes.

Le laboratoire du Pr Arbeille fait évoluer l’outil en 2013. Au lieu d’un bras robotisé - volumineux, lourd et difficile à manipuler - le robot est intégré dans la sonde : elle est équipée de transducteurs motorisés permettant de l’incliner et de la faire pivoter à distance. L’opérateur place la sonde audessus de la région d’intérêt grâce à des instructions simples ("ligne de l'épaule", "rebord costal", "sternum"...) puis l’échographiste l’oriente en manipulant une sonde fictive dont les mouvements sont reproduits en temps réel sur la vraie sonde. Les réglages (gain, profondeur, fonction Doppler, 3D, élastographie, signal RF...) s’effectuent en envoyant des informations à l’échographe à partir du clavier d’ordinateur.
Et qu’en est-il de la pression ? "On avait tenté de jouer sur la pression mais elle s’exerce avec un peu de retard, donc pour des questions d’éthique et de sécurité, on a décidé de ne pas l’intégrer dans le système de transmission de mouvements. On peut demander à l’opérateur d’appuyer et, s’il fait mal, il peut se retirer tout de suite : on le laisse à l’appreciation de l’humain à côté du patient. Il est préférable que ce soit un humain qui vous appuie sur le ventre plutôt qu’une machine".
"Le tout est un appareil d’écho portable de 6 kg (Sonoscanner Paris) avec une sonde de 400 g (Vermon Tours), télé-opérable grâce à 2 softs (Teamviewer Goppingen Allemagne, Optimalog Tours) et c’est ce qu’a emporté Thomas Pesquet". Il n’a eu qu’à positionner la sonde motorisée sur la partie du corps à analyser. L’échographie a été entierement télécommandée depuis le sol. Le délai de transmission des mouvements à la sonde était de l’ordre de 2 à 3 secondes et le débit supérieur a 1 Mbit/s.
Pour valider la méthode, le système a été testé au préalable avec la réalisation de 200 télé-échographies entre l’hôpital de Tours et la maison de santé de Richelieu, la maternité de Ceuta (enclave espagnole au nord de Maroc) et un dispensaire le long du fleuve Maroni en Guyane.

A bord de l’ISS - Houston we have a problem: we’re getting old!
L’usage des ultrasons à bord de la Station Spatiale Internationale n’est pas récent. Les échographes sont utilisés en mission spatiale depuis plusieurs années, permettant aux astronautes de réaliser eux-mêmes leurs propres échographies, guidés par la voix d’un médecin sur Terre. Cela exige cependant un temps de formation pré-vol non négligeable et n’élimine pas les difficultés de guider à distance un sujet non échographiste. La NASA a même envisagé de monter un appareil de lithotritie pour éliminer les calculs rénaux cristallisant dans l’espace !


Thomas Pesquet en face de l’échographe à bord de l’ISS

Les premières échographies ont mis en évidence que les missions dans la station spatiale s’accompagnent de modifications cardiovasculaires : "on a pu constater des variations de débit dans les gros vaisseaux et observer qu’il y avait des variations des paramètres cardiaques, mais les échographes n’étaient pas suffisamment précis pour nous montrer des variations au niveau de la paroi artérielle". "Quand les nouveaux appareils, de meilleure résolution, sont apparus à partir de 2010, on a pu mesurer l’épaisseur myocardique, l’épaisseur intima-media... Dans notre étude (Prog Nasa Vessel Imaging), on a effectué des mesures avant, pendant et 4 jours après des vols de 6 mois. En vol spatial l’épaisseur intima-media carotidienne est augmentée de 15 à 20 % et la paroi artérielle se rigidifie, comme chez un sujet terrien qui a vieilli de 30 ans ! Au bout de 4 jours, on s’attendait à ce que tout se normalise, mais elle reste très augmentée et personne n’avait prévu que la paroi artérielle ne se normaliserait pas ! Les modifications de la paroi artérielle sont d’ordre cellulaire, et 4 jours ne suffisent pas pour effacer le remodelage architectural".
Mais pas de panique pour les futurs Martiens : "Aucune étude ne prouve que l’augmentation de l’épaisseur intima-média ou la rigidification des artères conduit à l’athérome. C’est un facteur de risque, mais le lien de cause à effet n’a jamais été démontré. Et puis nous travaillons à la mise au point de mesures prophylactiques qui pourraient réduire, voire empêcher ces modifications".

Un voyage personnel singulier
"Je dis toujours à mes jeunes étudiants soucieux de leur avenir : arrêtez de penser au lendemain ! Et je raconte mon histoire. Je ne pouvais absolument prévoir ce que j’ai fait. Il faut savoir attendre. Le choix se fait souvent sur des épiphénomènes". Après une thèse en physique et une année de service militaire au Togo, aucun poste n’attend le jeune diplômé. Par chance, la faculté de médecine de Poitiers lui ouvre ses portes quelques mois plus tard pour enseigner la biophysique en première année. Il survit aux tomates et confitures volantes des amphis d’antan, et la faculté accepte de prolonger son contrat, à condition d’entreprendre des études de médecine en parallèle. La décision semble aller de soi. A la fois enseignant et étudiant en première année, il se présente au concours, mais sans succès : "à 27 ans, avec ma femme qui était enceinte et la maison qui venait d’être achetée, c’était dur...". Sa deuxième année est une réussite et lui permet de mener de front poste d’assistant hospitalier dans les ultrasons, cours de médecine et stages cliniques. A 34 ans, il poursuit une formation en médecine nucléaire. Quand les agences de la Station Spatiale Internationale lancent un appel d’offres pour l’échographie, seuls deux centres français s’occupent des ultrasons, à Tours et à Besançon. L’équipe du Pr Arbeille répond à l'appel et s’associe à des équipes américaine, canadienne et suisse pour s’occuper de l’étude cardiovasculaire des astronautes. Actuellement, les équipes du Pr Arbeille, du Pr Hughson (University of Waterloo, Canada) et du Pr Hargens (University of California, San Diego) sont engagées dans trois programmes majeurs de la NASA à bord de l’ISS.

Conclusion
Malgré la rampe de lancement médiatique offerte par la première mondiale et s’il semble naturel que la télé-échographie vienne à terme élargir les rangs de la téléradiologie, les débuts semblent difficiles. "J’ai contacté l’ARS plusieurs fois pour faire chiffrer l’acte mais ils n’ont pas donné suite parce que ce n’est pas un problème majeur. L’acte de télé-échographie n’est pas répertorié par l’Assurance maladie, donc il n’est pas remboursé. Or, un acte médical gratuit n’est pas couvert par les assurances medicales. C’est un cercle vicieux".

Et le mot de la fin pour nous encourager à voyager hors des sentiers battus ? "La radiologie est un beau métier, mais de mon point de vue, pour l’instant, ce n’est pas un métier géré par des gens très curieux. Peu des radiologues de ma génération ont essayé de faire quelque chose de nouveau en échographie".
A nous la première imagerie sur Mars ?!

Article paru dans la revue “Union Nationale des Internes et Jeunes Radiologues” / UNIR N°30

Publié le 1652468774000