Pour les sages-femmes, « Ségur » d’avaler la pilule

Publié le 31 May 2022 à 16:53

Un an après le lancement du Ségur de la Santé, force est de constater que les sages-femmes font partie des professionnels dont la colère ne faiblit pas.

La crise sanitaire a touché l’ensemble des maternités, qui ont dû se réorganiser pour définir des circuits et secteurs Covid. Avec des effectifs réduits, les (nombreuses) sagefemmes enceintes ou présentant des facteurs de risque ayant été confinées comme cela était préconisé.

Les naissances ne pouvant être déprogrammées, les maternités (publiques et privées) ont renforcé la mise en place des sorties précoces, moins de 72 heures après l’accouchement, voire des accouchements ambulatoires, avec retour à domicile entre 2 et 6 heures après la naissance.

Grâce à une répartition relativement homogène sur le territoire, le relai a été pris par nos consœurs et confrères libéraux. Pourtant non dotés en masque, puis avec seulement 6 masques par semaine, les sage-femmes ont continué à aller au domicile des patientes, plus de 90 % des cabinets continuant à fonctionner.

L’Organisation Nationale Syndicale des Sage-Femmes est un syndicat professionnel créé en 1953 pour défendre tous les modes d’exercice. Nous avons donc vécu un printemps 2020 libéral, et avons bataillé pour obtenir des masques et équipements de protection individuelle, puis la possibilité de réaliser les tests PCR et antigéniques en étant rémunérés, plus tard nous avons dû rappeler nos compétences dans le domaine de la prescription et réalisation vaccinales. Car sachez que lorsqu’il s’agit des sage-femmes, le bénévolat semble de mise, comme au temps où les religieuses occupaient ces fonctions…

A suivi un été qui a embrasé l’ensemble des 14  000 sage-femmes des hôpitaux : profession médicale depuis 1803, aux côtés des médecins puis des chirurgiens-dentistes, nous avons rapidement compris que lorsqu’il était question des discussions pour les personnels médicaux, il fallait entendre « sauf les sage-femmes  ». Nous avons donc bénéficié nous aussi d’une augmentation de 183 euros, dédiée aux personnels non médicaux.

Depuis 2014, à la suite d’un mouvement de grève qui avait duré plus d’un an, nous avions obtenu un nouveau statut médical, toujours parmi les personnels non médicaux, au sein de la fonction publique hospitalière. Ce statut encore une fois hybride, qui devait permettre aux sage-femmes de gérer des unités physiologiques et d’asseoir le caractère médical de notre profession, n’a tenu aucune de ses promesses.

Aujourd’hui, notre profession est en crise : places vacantes dans les établissements de formation, et après 5 années d’études, dont la PACES depuis 2001 et jusqu’à l’an dernier, 12 à 15 % des étudiants en maïeutique feront le choix de ne pas terminer leurs études, ou de les poursuivre notamment via les passerelles vers médecine, odontologie ou pharmacie.

Ces étudiants se forment à nos côtés, le compagnonnage étant la pierre angulaire de notre formation clinique. Ils et elles nous aident à assurer quotidiennement la sécurité de plus de 2000 naissances. Ils n’ignorent rien de nos conditions de travail dégradées, et savent désormais que leur salaire sera au maximum de 2000 euros bruts par mois, avec une prime de 10 euros environ par nuit travaillée.

Notre profession, souvent citée comme « le plus beau métier du monde », n’attire plus. De nombreuses sage-femmes font le choix de la reconversion, y compris après des dizaines d’années d’exercice.

La périnatalité est régulièrement oubliée des politiques de santé et la santé génésique des femmes dégradée, en partie parce qu’elles méconnaissent les compétences des sage-femmes en gynécologie depuis 2009, en orthogénie depuis 2016. Les sage-femmes de PMI ne sont pas suffisamment nombreuses dans beaucoup de départements, leurs effectifs dépendent des politiques locales.

Notre profession, souvent citée comme « le plus beau métier du monde », n’attire plus. De nombreuses sagefemmes font le choix de la reconversion, y compris après des dizaines d’années d’exercice.

La spécificité de la formation des sage-femmes françaises, qui ont un droit de prescription, des compétences en gynécologie, obstétrique et pédiatrie qui ont été élargies au fur et à mesure des besoins, doit être reconnue.

A l’heure où l’OMS a déterminé qu’il manque 900 000 sage-femmes dans le monde, qui pourraient éviter 4,3 millions de décès maternels et néonataux, il est grand temps que les sage-femmes de France soient reconnues à la hauteur de leur compétences et responsabilités.

Cela doit nécessairement passer par des effectifs adaptés, par une reconnaissance de la profession par les instances et la population, par le statut des personnels médicaux et par une revalorisation salariale.

Camille DUMORTIER
Présidente de l’ONSSF

Organisation Nationale
Syndicale des Sage-Femmes

Article paru dans la revue « Intersyndicat National Des Praticiens D’exercice Hospitalier Et Hospitalo-Universitaire.» / INPH21

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