Portraits : ces patients qui s'engagent

Publié le 10 May 2022 à 20:38


Depuis toujours, le patient est naturellement le premier acteur de sa prise en charge. L’évolution de la relation entre soignant et soigné ces dernières années permet aujourd’hui au patient de participer plus activement et plus largement à sa prise en charge, mais également de s’engager pour celles des autres. Patient partenaire ou représentant des usagers, mais aussi chercheur ou entrepreneur, les portraits, témoignages et exemples ci-dessous illustrent les différentes facettes que peuvent prendre ces engagements.

TÉMOIGNAGES 

SYLVIE FAIDERBE :
 Il me plaît à dire que j’ai deux nationalités : je suis citoyenne d’une part et cancéreuse d’autre part.  C’est en partie pour concilier ces deux parts de moi que je suis devenue patiente experte.

Il y a près de 15 ans au détour d’une classique et annuelle consultation gynécologique un fibrome utérin a été diagnos- tiqué. Suite à son exérèse, ce fibrome s’est avéré être un léiomyosarcome de grade 3. Une radiothérapie, trois réci- dives, deux opérations pulmo- naires, une chimiothérapie, une radio interventionnelle, des scanners, des IRM,  des « pet-scan » et une perte d’emploi plus tard, je me suis dit que ce cancer qui avait chambou- lé ma vie ne pouvait uniquement me  nuire. Il fallait que  j’en tire profit aussi. J’ai décidé de valoriser cette expérience en devenant experte, j’avais besoin que mon savoir expérientiel soit conforté et reconnu, d’où le DU (diplôme universitaire).

Quel est ce savoir ? Celui de mon ressenti, d’un vécu de cancé- reuse. Savoir unique et univer- sel, savoir vécu dans ma chair, mon existence sociale, mais sa- voir réel. 

Être gravement malade c’est mi- grer sans visa dans un état in- connu qu’il nous faut visiter sans guide, sans carte. Aux malades de trouver les ressources pour ce voyage que l’on n’a jamais envisa- gé, donc absolument pas prépa- ré. On bascule dans cette errance la peur au ventre en un rien de temps : celui d’entendre le méde-  cin prononcer le mot « cancer ». Deux syllabes, deux secondes qui nous estomaquent, nous tuent. Oui, je peux dire qu’une part de moi est morte à cette annonce, une autre est née : « la cancéreuse ». Qui ne s’est jamais entendu dire « vous avez un can- cer » ne peut, au plus profond de lui, entendre ni comprendre. Au- cun médecin, aucune infirmière,  aucun aidant ne peut ressentir cela aussi intimement.  Trop de petites malveillances in- conscientes et in- volontaires de la  part de l’ensemble du personnel soignant m’ont en- combrée, embouteillée, blessée tout au long de mon parcours de soins pour ne pas tenter de faire comprendre aux autorités - autre- ment que par les enquêtes quali- tatives résumées en items alignés sur des grands tableaux XL re- quis par la HAS - à quel point ces multiples incidents sont difficiles à vivre pour le patient et qu’en améliorant cela, le médecin, l’in- firmière y trouveraient eux aussi leur compte. 

Il a d’abord fallu que je partage ces maux, cette « mort », mes souffrances avec d’autres cancé- reux. Les groupes de parole ont formé pour moi cette commu- nauté. Mais une communauté n’est pas un collectif et j’ai be- soin d’appartenir à un collectif  pour avancer, réfléchir, penser. Je l’ai trouvé auprès d’une partie de mes collègues patientes ex- pertes. Nous nous interrogeons collectivement sur notre savoir, sa durée, nos forces, notre de- venir, notre utilité, notre rapport aux autorités sanitaires, nous échangeons des informations, les commentons, les absorbons. 

Être gravement malade c’est migrer sans visa dans un état inconnu qu’il nous faut visiter sans guide, sans carte.

En m’engageant dans cette for- mation universitaire j’envisa- geais d’aider d’autres malades en les accompagnant durant ce voyage. Vite, je me suis aperçue que je n’étais pas très douée comme guide ou conseillère, pas assez de patience, de com- passion, d’empathie. Par ailleurs il n’y a pas encore de places re- connues pour cela ou alors trop rarement. Et je reste persuadée que sans place nous n’existons pas. La place des Représentants d’Usagers, ce que je fus, est re- connue, les RU existent. 

Il m’a donc fallu trouver un en- droit où j’avais ma place en qua- lité de patiente experte. J’ai pour l’instant choisi d’exercer cette expertise dans un projet de re- cherche aux côtés de médecins, chercheurs en sciences sociales qui porte sur les acteurs du par- cours de soin du cancer colorectal.  Mes compétences de binatio- nale - mes parcours de vie, de travail, de santé - peuvent s’y confronter et aujourd’hui je ne suis pas entière sans l’ensemble de mes visas. 

MARC RUYET
QUI SUIS-JE ? (Vaste question)... Plusieurs vies, plusieurs activités !

J’ai d’abord exercé le métier de Modéliste pendant de nom- breuses années dont plus de 12 ans à l’étranger. L’exercice consiste à construire des vête- ments en fonction de l’attitude et de la conformation d’une personne. Ainsi, c’est le rapport au corps qui caractérise mon domaine de prédilection. En ef- fet, mon activité étant celle de Sexothérapeute, je me définis donc comme un artisan sexo- thérapeute.

Pour répondre à la question pourquoi suis-je devenu sexo- thérapeute, et bien je dirais que… Cela débute en quelque sorte, en 1988, à Londres, par une première mise en relation auprès d’amis bénévoles du Terrence Higgins Trust pour des personnes fragilisées par le SIDA. Ils m’ont initié au counse- ling qui consiste à « offrir une présence, une écoute et une dis- ponibilité à l’autre, sans prendre le pouvoir sur sa détresse  » (Pr Catherine Tourette Turgis). 

En 2014, je rassemble ces com- pétences d’aidant et m’inscris à la fac. Je commence à suivre des formations de sexologie clinique puis de sexothérapie sexofonc- tionnelle auprès des Docteurs Alexandra Hubin, Pascal de Sutter et François de Carufel, de l’université catholique de Louvain. 

De 2016 à 2018, je suis béné- vole à Ligue contre le cancer et officie à l’hôpital Saint Joseph à Paris tous les jeudis, au chevet des patients malades du can- cer. Pendant deux ans je pra- tique l’écoute active dans le ser-    vice du Pr Salmeron auprès de Laurence Lecoq aux commandes de ce service de cancérologie très humain. Ponctuellement, j’apporte aux patients quelques explications physiopathologiques grâce à la formation de pratique auprès de l’Oncopsychologue Agnès Perpere. 

Orienté TCC (Thérapie Compor- tementale et Cognitive), depuis 2014 : je me forme à des outils complémentaires tels que : la sophrologie Caycédienne, la PNL (programmation neurolinguis- tique) et la relaxation de Schultz et de Jacobson. 

En 2017, je rejoins l’Université des patients du Professeur Catherine Tourette Turgis et me forme à la Mission d’accompagnant de par- cours du patient en Cancérologie et deviens patient partenaire. 

De 2019 à 2020, je suis avec beaucoup d’intérêt la formation en ONCOSEXOLOGIE à Paris DESCARTES puis à TOULOUSE PAUL SABATIER et obtiens en novembre 2020 le Diplôme Inter Universitaire en Oncosexologie. 

À la rentrée universitaire pro- chaine, je me prépare à pour- suivre mon parcours profession- nel de la santé par un master de psychosexologie à la Sapienza de Rome tout en continuant mon travail institutionnel notamment auprès de l’ONCORIF : Réseau Régional de Cancérologie d’Île- de-France qui a pour missions de favoriser l’accès aux soins, la coordination, la continuité ou l’interdisciplinarité de la prise en charge sanitaire des patients at- teints de cancer.   

L’oncosexologie est une nou- velle spécialité dont le but est de prendre en charge les patients susceptibles de voir augmenter leurs problèmes liés à la sexuali- té en raison d’un cancer. L’onco- sexologie nécessite une équipe de professionnels pluridiscipli- naire, intégrant idéalement uro- sexologue, gynécologue, psycho- sexologue et infirmier spécialisé.

 «  Mais sur le terrain, les soi- gnants rencontrent des difficul- tés pour aborder la question de la sexualité avec les patients et attendent souvent que ce soit eux qui parlent ». 

La conséquence du manque de temps, du manque de connais- sance est un inconfort à aborder ce thème. Les bénéfices d’une ac- tivité sexuelle satisfaisante sur la santé des patients ne sont pour- tant plus à prouver. Des forma- tions pour les soignants doivent être développées. Qu’il soit jeune ou âgé, le patient doit également être interrogé à intervalles régu- liers sur « les changements qu’il a observés dans ses fonctions sexuelles  », à toutes les étapes du parcours de soins et se voir proposer un accompagnement spécialisé en cas de besoin.

Sciences formelles, exactes, sciences du vivant, sciences hu- maines et sociales, mon travail de thérapeute consiste bien à réactualiser mes connaissances tout au long de ma pratique afin de disposer de connaissances pointues en matière de fonc- tionnement psychique, de psy- chopathologies et de relations interpersonnelles.

Le lien de ces deux vies profes- sionnelles, c’est la combinaison de mes trajectoires. Et ce que je développe à présent, c’est ce lien entre mon 1er métier du tertiaire et mon expérience de soignant, de patient partenaire sensibilisé à la fameuse chemise d’hôpital réactualisée.

Si la chemise d’hôpital n’inté- resse presque personne, elle a fait partie de mes recherches notamment pour la soutenance du DIU en oncosexologie.

De par mon expérience, l’idée d’intégrer des outils textiles comme outils médiateurs dans la relation d’aide, ont été pour moi la révélation de cette forma- tion en oncosexologie auprès du Pr Éric Huyghe, directeur de re- cherches. Ainsi, en tant que sexo- thérapeute/maître d’œuvre (mon corps de métier) et logisticien du textile, j’utilise depuis, dans ma pratique de sexothérapeute, une ligne d’outils textiles que j’ai nommée Al- côve adaptée MC.

Pour une personne en situation de han- dicap ou en perte d’autonomie, se vêtir peut relever du par- cours du combat- tant. En effet, pour enfiler un vêtement ordinaire, il faut être capable de se lever ou de se pencher, de basculer le corps dans un sens ou dans un autre, bref de réaliser des mouvements qui ne sont pas forcément possibles pour tous.

Il a donc bien un besoin d’adap- tation.

Je commencerai à industrialiser la ligne de sept pièces et propo- serai dès lors des adaptations de vêtements pour aider les couples à opérer un retour à l’intimité et/ ou en les adaptant également pour les patients hospitalisés en cancérologie en janvier 2022. Avoir travaillé longtemps à l’étranger et côtoyé des gens très différents permet de s’adapter plus facilement à la patientèle. La for- mation profession-

nelle puis univer- sitaire va dans ce sens. Je ne cherche pas à mettre mes patients dans des cases.

Conseiller conjugal, psychologue et psy- chothérapeute spécialisé dans les troubles sexuels je mets mon savoir-être et mon savoir-faire au service de ma patientèle. La communication respectueuse dans un climat rassurant permet de comprendre ce qui se passe et de contribuer à résoudre presque tous les problèmes.

Si ces troubles se trouvent être d’origine physiologique, dans ce cas, je conseille toujours de consulter un médecin.

L’UNIVERSITÉ DES PATIENTS ET LA NOTION DE PATIENT EXPERT
Réalisé avec l’aide d’Anne-Pierre Pickaert

L’université des patients
Fondée en 2010 par le Profes- seur Catherine Tourette-Turgis, intégrée à Sorbonne Universi- té et localisée à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, l’Université des Patients (UDP) a pour objectif de valoriser les savoirs et l’expé- rience de «  patients experts  », pris en charges et suivis pour une maladie chronique. Elle propose 3 diplômes universitaires. Le pre- mier, le DU « Patient.e Partenaire et Référent.e en Rétablissement en Cancérologie » a pour objectif de former à la pair-aidance et à la médiation de santé. Le second, le DU « Formation À L’Éducation Thérapeutique  » permet l’ensei- gnement de compétences en auto-soins, auto-surveillance et d’adaptation à la maladie. Enfin, le DU « démocratie en santé, s’ou- tiller pour construire l’expertise en santé » permet la formation en plaidoyer. Certains domaines d’engagement des patients ex- perts ne sont pas représentés à l’heure actuelle dans l’enseigne- ment. Il s’agit par exemple de la recherche, du développement des médicaments et dispositifs médicaux, mais aussi l’améliora- tion du parcours de soins.

L’UDP est ouverte aux patients et aux soignants avec un ratio 70/30. Plus de 200 patients ont été diplômés de l’Université des Patients depuis sa création.

« Patients experts », quelle définition :
Il existe plusieurs définitions du « patient expert » sans recon- naissance institutionnelle de son statut en établissement de san- té. La définition dépend de l’institution qui la définit.
Un patient expert est :
1 - « Un patient qui a acquis de solides connaissances de sa maladie au fil du temps, grâce notamment à l’éducation thé- rapeutique. Il ne remplace pas le soignant mais il favorise le dialogue entre les équipes médicales et les malades, faci- lite l’expression » (Haute Auto- rité de Santé, 2016).

2 - Celui qui, atteint d’une mala- die chronique, a développé au fil du temps une connais- sance fine de sa maladie et a appris à vivre avec. Le Patient Expert est avant tout acteur de sa propre santé mais il peut aussi intervenir en tant que personne ressource pour les autres et notamment en véri- table partenaire des soignants (Cercle de réflexion sur la place du patient dans la médecine de demain – 2017 (Pfizer)).

3 - « Un patient qui a acquis une ex- pertise ayant donné lieu à une validation, une qualification ou une reconnaissance l’autorisant à exercer des fonctions, réaliser des missions, délivrer des en- seignements, assurer différents rôles dans et hors du système de santé. » (O. Gross, MP. Pomey, K. Vignault et C. Tourette Turgis 2016).

4 - Il existe trois catégories de pa- tients experts selon Pr André Grimaldi (professeur émérite de diabétologie au CHU Pitié Salpêtrière) :
• Le patient « expert » de lui- même pour lui-même.
• Le patient «  ressource  » pour les autres.
• Le patient « expert » pour les autres.

Ainsi, pour l’Université des Patients la définition de patient expert passe par l’obtention d’un diplôme/ une reconnaissance, alors que pour la Haute Autorité de Santé cela passe par les savoirs acquis par l’expérience. La définition de la HAS reflète une typologie plus large de patients qui contribuent de longue date à la définition des soins et bien avant que l’Université des Patients n’ait été créée.

SOUTENIR ET VALORISER CET ENGAGEMENT DÈS L’INTERNAT
Voici quelques pistes 
• Les associations de patients : il en existe beaucoup, cou- vrant de nombreuses localisa- tions ou thématiques et avec des champs d’action diffé- rents. Chaque centre possède souvent les informations les concernant mais leur diffusion n’est pas toujours optimale. Etre proactif à la recherche de ces informations peut per- mettre de mieux connaître ces associations pour ensuite mieux en parler aux patients.

• Mieux dialoguer  : ces asso- ciations sont souvent en de- mande d’interactions avec les internes : cela peut-être dans les deux sens  : intervention d’internes auprès de patients, de l’association ou non ou in- tervention de l’association au- près des internes.

• Construction d’un projet  : Dans un projet de recherche, le regard d’un patient apporte un angle et un point de vue différent sur les probléma- tiques. Solliciter des patients lors de la construction d’une étude, voire intégrer des pa- tients aux équipe de recherche est une piste intéressante et bénéfique aux projets. C’est aussi finalement le moyen de mettre les patients au cœur de la Recherche, dont ils doivent être les premiers bénéficiaires.

• Sylvie, Marc et Anne-Pierre participent ou ont participé, par exemple, à la conception mais aussi au suivi de la réali- sation d’une étude sur le par- cours patient intitulée « 3P Pro- jet : Perception des acteurs du parcours de soin des patients atteints de cancer colorectal : une étude par et pour les pa- tients et professionnels  ». Ils sont totalement intégrés à l’équipe de recherche aux cô- tés de soignants et chercheurs.

• Être à l’écoute et suivre le mouvement qui est en cours, s’informer pour apporter de l’aide ou parfois au contraire la recevoir.

La cancérologie (et la médecine d’une manière plus générale) est animée et dynamisée depuis toujours par le compagnonnage. Voir, comprendre et soutenir l’engagement de ces patients n’en est, aujourd’hui, que la continuité logique et l’évolution naturelle.

Article paru dans la revue “Association pour l'Enseignement et la Recherche des Internes en Oncologie” / AERIO n°2

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