Point sur les CBNPC avec réarrangement ALK

Publié le 23 Jan 2024 à 16:16


Le cancer du poumon avec réarrangement ALK concerne 4 à 5 % des cancers bronchiques non à petites cellules (CBNPC). Le profil des patients est classique des addictions oncogéniques : on retrouve une majorité de femmes (60 %), non fumeuses (60 %) et plus jeunes que les CBNPC sans mutation ciblable (55-58 ans). Histologiquement, on retrouve plus de 90 % d’adénocarcinome, essentiellement mucineux (1). Classiquement, on décrit trois sites métastatiques préférentiels : le cerveau (25 % à 40 % de métastases cérébrales inaugurales), les ganglions lymphatiques et les séreuses (pleurale, péricardique et péritonéale).

Physiopathologie et voies de signalisation

Le gène ALK, pour Anaplasic Lymphoma Kinase, est un gène situé sur le chromosome 2 qui code pour une protéine membranaire avec un domaine intracellulaire à activité tyrosine kinase. Le récepteur ALK active plusieurs voies de signalisations intracellulaires essentielles au développement embryologique et à la neurogenèse mais aussi à l’homéostasie cellulaire, telles que la voie des MAP kinases, de PI3K/ AKT/mTOR ou encore de JAK2-3/ STAT3 (Figure 1) (2).

Figure 1 : Voies de signalisation intracellulaire de ALK. À gauche, récepteur natif et physiologique ALK dont le domaine intracellulaire est autophosphorylé après fixation d’un ligand spécifique, permettant d’activer de nombreuses voies de signalisation. À droite, création d’une protéine de fusion ALK après réarrangement du gène ALK (domaine c-Ter codé par le gène ALK et domaine n-Ter codé par un gène partenaire). Cette néo protéine intracellulaire possède une activité constitutive qui va promouvoir les voies de l’oncogenèse.

Un réarrangement (une translocation ou une inversion) du gène ALK, le plus souvent avec le gène EML4 sur le bras court du chromosome  2, crée un transcrit de fusion, permettant la synthèse d’une protéine de fusion ALK ayant une activité constitutive.  La cassure intervient toujours au niveau de l’exon 20 du gène ALK, mais peut concerner différentes zones du gène EML4 (variant 1 avec l’exon 13 ; variant 2 avec l’exon 20  ; variant 3a/b avec l’exon 6 qui sont les trois plus fréquents). Il existe une vingtaine de variants connus avec EML4, et d’autres encore avec d’autres partenaires tels que KIF5B, KLC1TFG ou encore PTPN3 (3).

Techniques de détection

La technique la plus rapide et la moins chère est l’immuno-histochimie sur un prélèvement tissulaire, qui détecte la présence de la protéine ALK. Le résultat rendu varie entre 0 et 3+. Ce test présente une excellente valeur prédictive positive pour la détection du gène ALK (moins pour ROS1 par exemple) et peut suffire à l’indication d’un traitement par thérapie ciblée anti-ALK. Cette méthode peut être confirmée par hybridation in situ fluorescente (FISH) en cas de résultat douteux notamment (+ ou ++). En effet, la FISH confirme le réarrangement si on retrouve au moins 15 % de cellules positives sur un minimum de cent noyaux. Cependant, ces techniques ne peuvent pas détecter précisément le variant en question, information qui pourrait à l’avenir avoir son importance dans le choix des thérapies ciblées (2).

Pour pallier ce défaut, il est possible d’avoir recours à la RT-qPCR (Reverse Transcription quantitative Polymerase Chain Reaction) qui permet de mettre en évidence les réarrangements de ALK à partir des transcrits de fusion d’ARN. Cette technique ne permet cependant de ne rechercher que les variants de gènes partenaires connus dans la littérature et ciblés par un panel de gènes exhaustif qui varie selon les laboratoires. Lorsque le variant n’est pas encore décrit dans la littérature ou non ciblable par le panel de la RT-qPCR, il est alors possible d’avoir recours à la Next Generation Sequencing (NGS) ou séquençage à haut débit. Le NGS permet d’analyser des panels très larges de gènes (voire tout le génome si un Whole Genome Sequencing (WGS) est demandé) à partir d’ADN après une étape d’amplification. C’est la meilleure technique pour détecter avec précision la mutation en cause. C’est une technique désormais relativement rapide et qui peut être moins coûteuse que la multiplication des recherches, gène par gène.

Séquence thérapeutique

Trois traitements sont aujourd’hui indiqués en première ligne métastatique du CBNPC avec réarrangement ALK  : l’alectinib et le brigatinib, inhibiteurs de 2e génération, et le lorlatinb, de 3e génération. Ils ont tous fait preuve d’une efficacité supérieure par rapport au crizotinib en première ligne de traitement  (4–6) :

→ Essais ALEX, J-ALEX et ALESIA pour l’alectinib.

→ Essai ALTA-L1 pour le brigatinib.

→ Essai CROWN pour le lorlatinib.

Ci-dessous deux tableaux récapitulatifs des comparaisons entre les différents essais.

Étude Alectinib
ALEX Brigatinib
ALTA-1L Lorlatinib
CROWN Test diagnostic IHC IHC/FISH/autre IHC % de métastases cérébrales tout au long de l’étude 40 29 26 Radiothérapie cérébrale antérieure (%) 38 13 6 Chimiothérapie antérieure (%) 0 27 0 HR de SSP (BIRC) 0.50 [0.36 – 0.70] 0.48 [0.35 – 0.66] 0.27 [0.18 – 0.39] HR de SSP (investigateurs) 0.43 [0.32 – 0.58] 0.43 [0.31 – 0.58] 0.19 [0.13 – 0.27] HR de SSP : présence de métastases cérébrales 0.37 [0.23 – 0.58]
(Investigateurs) 0.25 [0.14 – 0.56]
(BIRC) 0.21 [0.10 – 0.44]
(BIRC) HR de SSP : absence de métastases cérébrales 0.46 [0.31 – 0.68] 0.65 [0.44 – 0.97] 0.29 [0.19 – 0.44] Taux de réponse objectif (%) 83 74 76 Taux de réponse intracrânien (%) (BIRC) 81 78 82 Taux de réponse cérébrale complète (%) (BIRC) 45 45 60 Taux d’incidence cumulative de progression SNC
comme premier événement à 12 mois (%) 9.4 9 2.8   ALEX ALTA-1L CROWN Données d’effi cacité Alectinib Crizotinib Brigatinib Crizotinib Lorlatinib Crizotinib SSP médiane (mois) 34.8 10.9 24.0 11.1 Non atteinte 9.3 HR (IC 95%) 0.43 (0.32 – 0.58) 0.48 (0.35 – 0.66) 0.27 (0.18 – 0.39) Taux SSP à 3 ans (%) 46.4 13.5 43.0 19.0 63.5 18.9 Durée médiane de suivi (mois) 37.8 40.4 36.7

IHC = Immuno-histochimie  ; FISH = Hybridation in situ fluorescente ; BIRC = Blinded Independent Review Comittee = Comité indépendante et centrale d’évaluation ; SSP = Survie sans progression  ; SNC = Système Nerveux Central  ; HR = Hazard Ratio  et IC  95  %  : Intervalle de Confiance à 95  %

Ces essais mettent en évidence des profils de tolérance satisfaisant, notamment pour l’alectinib. Les effets secondaires suivants sont plus spécifiques de chaque traitement et à surveiller en particulier  :

→ Brigatinib : symptômes gastro-intestinaux, hyper-amylasémie, hyper-lipasémie  ; quelques cas de pneumonies interstitielles ayant conduit à l’arrêt du traitement ont été décrits. 

→ Alectinib  : perturbation du bilan hépatique avec hyperbilirubinémie, constipation, myalgies.

→ Lorlatinib  : atteinte du système nerveux central avec hallucinations sensorielles, terreurs nocturnes et troubles cognitifs, notamment à la mise en route du traitement, hypercholestérolémie et hypertriglycéridémie. Ce sont des effets indésirables moins classiques et dont la prise en charge est moins codifiée. Par ailleurs, nous avons moins de recul sur l’utilisation du lorlatinib en vie réelle.

Nous l’avons vu, les CBNPC avec réarrangement ALK ont un tropisme cérébral préférentiel. Ainsi, l’efficacité de chaque TKI au niveau cérébral est une priorité. On observe dans le tableau précédent que les trois molécules ont un taux de réponse cérébral majeur autour de 80 %. Cependant, le lorlatinib semble présenter de meilleurs résultats, à la fois sur la progression cérébrale à 1 an mais aussi sur l’apparition de métastases cérébrales chez des patients initialement indemnes.

Pour le choix de la deuxième ligne, il faut savoir que plusieurs mécanismes de résistance sont possibles :

→ Des mécanismes dépendants de la voie ALK, dits “ON-target”, dont le plus fréquent est la mutation G1202R à la suite de la prise de TKI de 2e génération. Cette mutation est sensible au lorlatinib, ce qui explique que le lorlatinib soit souvent prescrit après une première ligne par alectinib ou brigatinib.

→ Des mécanismes indépendants de la voie ALK, dits “OFF-target” ou “bypass”, tels que les mutations et/ou amplifications de MET, les mutations de l’EGFR et les réarrangements de RET… Ces mécanismes de résistance seront traités par des TKI ciblant les voies de signalisation correspondantes, avec toujours en association un TKI anti ALK, qui est souvent celui précédemment utilisé.

→ Des transformations histologiques, notamment en carcinome à petites cellules (CPC) ont été rapportées. En effet, certains cases reports retrouvent la persistance d’un contingent réarrangé ALK avec une partie transformée en CPC justifiant le traitement conjoint par TKI et chimiothérapie (7).

Pour cette raison, il faut dans l’idéal rebiopsier les patients au moment de la progression pour identifier avec précision les mécanismes de résistance. Si la résistance est liée à une nouvelle mutation sur la voie ALK, on peut utiliser un autre TKI anti-ALK adapté au profil moléculaire à la progression et non utilisé au préalable.

Il est important de noter que l’on observe un moins bon taux de réponse en 2e ou 3e ligne avec les TKI anti-ALK si des inhibiteurs plus puissants ont été utilisés en première ligne auparavant. Ainsi, les différents traitements indiqués en première ligne ont tous été comparés par rapport au crizotinib et non les uns avec les autres, il est donc difficile de conclure sur des comparaisons historiques d’essais quant à la supériorité de l’un des TKI de 2ème ou 3ème génération (8). Le choix du TKI anti ALK en première ligne dans les CBNPC métastatiques réarrangés ALK reste à la discrétion du prescripteur et devra être adapté aux caractéristiques du patient.

Les perspectives thérapeutiques

Les nouvelles perspectives thérapeutiques sont nombreuses, avec par exemple l’arrivée des TKI de 4e génération qui semblent actifs sur l’ensemble des mutations de résistance connues, tels que le TPX-0131 et le NVL-655 (9, 10). En parallèle, plusieurs études évaluent les associations de différentes modalités de traitement, notamment la combinaison TKI et chimiothérapie comme dans le cadre de l’étude Masterpro-tocol-ALK mené par l’Intergroupe Francophone de Cancérologie Thoracique (IFCT) comparant le Brigatinib et l’association Brigatinib + Pemetrexed + Carboplatine (11). Enfin, de la même manière que l’osimertinib est désormais validé pour les patients ayant un CBNPC localisé avec mutation commune de l’EGFR dans certaines situations, des essais sont en cours pour évaluer l’intérêt des TKI anti-ALK en adjuvant. Récemment, l’étude de phase III, ALINA, ayant comparé l’Alectinib (600 mg 2 fois par jour) contre 4 cycles de chimiothérapie à base de platine a démontré la supériorité de l’anti ALK en termes de survie sans maladie chez les patients CBNPC stades IB – IIIA mutés ALK avec résection R0. Les résultats sur la survie globale sont donc très attendus (12).

Conclusion

En conclusion, les CBNPC avec réarrangement ALK traités par l’un des trois TKI anti ALK possèdent de très bonnes survies sans progression à 3 et 5 ans  ; les traitements de deuxième ligne n’ont pas la même efficacité selon les mécanismes de résistances développées. Le défi est donc d’identifier les mécanismes mais aussi les causes de résistances aux traitements de première ligne afin d’adapter au mieux la séquence thérapeutique. Il est primordial d’inclure ces patients dans les essais cliniques afin d’optimiser leur prise en charge thérapeutique.

Bibliographie

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  • Intergroupe Francophone de Cancerologie Thoracique. A Phase II Randomized, Open-Labelled, Multicenter Study of Safety & Efficacy of Combination Brigatinib and Carboplatin-Pemetrexed Therapy or Brigatinib Monotherapy as First-Line Treatment in Advanced ALK-Positive Non-Small Cell Lung Cancer [Internet]. clinicaltrials.gov; 2023 Feb [cited 2023 Aug 1]. Report No.: NCT05200481. Available from: https://clinicaltrials.gov/study/NCT05200481
  • Solomon BJ, Ahn JS, Dziadziuszko R, Barlesi F, Nishio M, Lee DH, et al. LBA2 ALINA: Efficacy and safety of adjuvant alectinib versus chemotherapy in patients with early-stage ALK+ non-small cell lung cancer (NSCLC). Ann Oncol. 2023 Oct 1;34:S1295–6.

  • Gaspard NAULEAU
    Interne, Paris


    Pascal WANG
    Interne, Paris

    Relecture
    Pr Marie WISLEZ
    CHU Cochin, Paris

    Article paru dans la revue « du Jeune Pneumologue » /AJP02 N°03

    L'accès à cet article est GRATUIT, mais il est restreint aux membres RESEAU PRO SANTE

    Publié le 1706023007000