Pleins phares sur « le rire médecin » : des clowns qui soignent ?

Publié le 07 May 2022 à 12:32


Quand on travaille dans un service de pédiatrie à l’hôpital, on est amené faire des rencontres de tous les genres. Et on ne sait pas toujours à quoi s’attendre. Quelles sont ces silhouettes étranges qui se profilent dans l’ombre avec d’énormes pieds et des chapeaux bizarres, mais qui pourtant portent des blouses blanches ? Quel est ce tintamarre, bruit de fanfare qui résonne dans les murs ? Ces gens-là dénotent complètement avec l’environnement qu’est l’hôpital. Et pourtant ils y travaillent comme nous. Ce sont les nez rouges du Rire Médecin, qui viennent répandre leur effetclown. En quoi consiste l’association ? Et qui sont-ils vraiment ? Et vous, l’effet-clown, vous y croyez ?

 Déjà 20 ans qu’ils chahutent…
Mais leur histoire commence encore plus tôt… En 1988, à New York, une jeune comédienne américaine découvre le métier de clown à l’hôpital.

« Des clowns du Big Apple Circus se rendaient deux fois par semaine dans les hôpitaux de Harlem. J’ai été foudroyée d’amour par ce projet. J’ai passé une audition, dans un service de soins intensifs devant une vingtaine d’enfants très malades ; certains dans le coma, d’autres intubés. Je suis arrivée dans mon costume de girafe, un personnage que j’avais déjà développé dans un spectacle au zoo du Bronx. À la flûte, j’ai joué l’air du Magicien d’Oz pour une petite fille endormie qui s’est réveillée peu à peu le sourire aux lèvres ; puis j’ai poursuivi tout doucement avec une boîte à musique que j’ai plaqué sur sa perfusion… Elle était tellement étonnée qu’on désacralise ainsi le matériel médical ! Cela a été un grand moment d’émotion pour moi. Oui, j’avais les chromosomes et les bases techniques pour ce métier, mais j’ai alors compris que le voyage ne faisait que commencer. »

Cette jeune femme enthousiaste n’est autre que Caroline Simonds, alias Docteur Girafe, qui ne passe pas inaperçue du haut de ses 1.84m. Riche de son expérience New Yorkaise, elle décide en 1991, de fonder sa propre association en France, sa terre d’adoption.

Elle discute de son projet avec un éminent médecin, le Professeur Jean Lemerle, alors chef du service d’oncologie pédiatrique à l’Institut Gustave Roussy. Après deux heures d’entretien, il est irrémédiablement conquis et lui offre d’être un service pionnier.

C’est alors que commence le grand vacarme qui depuis, investit deux fois par semaine un nombre croissant de services de pédiatrie, d’abord à Paris, puis dans les régions. L’association prend vie et s’étoffe de nouveaux clowns professionnels, qui sont aujourd’hui environ 90. Sa notoriété grandit, et fait même l’objet d’une publication dans la revue médicale The Lancet en 1997. (http://www.leriremedecin.asso.fr/medias/presse/ pdf/The%20Lancet.pdf). A l’occasion des dix ans de l’association, un livre est publié chez Albin Michel en 2001, et réédité en livre de poche.

 L’Association vient de fêter ses 20 ans. A cette occasion, ont été organisés spectacles, expositions et colloque pour parler du rire à l’hôpital avec le grand public.

Qui fait le clown ?
Fin 2010, Le Rire Médecin réunissait 87 clowns professionnels. Ce sont des intermittents du spectacle, des comédiens, qui décident de s’engager dans la quête du rire des enfants à l’hôpital. Après un casting très sélectif, ils suivent une formation intensive où sont abordés tous les enjeux du travail des clowns : travailler main dans la main avec les équipes hospitalières, développer les techniques artistiques pour élargir leur palette de jeux, aider les enfants hospitalisés et leurs familles à mieux vivre la maladie. Ils sont rémunérés par les fonds de l’association, provenant essentiellement de généreux donateurs et de mécènes.

Parallèlement à ses actions hospitalières, l’association milite depuis sa création pour la reconnaissance du métier de clown à l’hôpital.

En septembre 2010 est née l’Ecole Internationale du Rire Médecin, qui est destinée à former ces clowns-soignants, mais aussi fournir des conseils experts et développer des techniques artistiques en collaboration avec d’autres associations de clowns à l’hôpital, en France et à l’étranger. On y propose également des formations « ludosoignants » destinés aux professionnels de santé, afin de promouvoir l’approche ludique de l’enfant hospitalisé.

Témoignage du Dr. Grégory Harvet : « J’ai adoré la formation ludo-soignant. C’était une expérience vraiment extraordinaire et je pèse bien mes mots. C’est difficile à expliquer, mais j’ai toujours eu l’intime conviction qu’une des spécificités de la médecine de l’enfant c’est justement cette approche-là, autour du jeu. La pédiatrie sans cette approche devient souvent dénaturée et inadaptée aux besoins de l’enfant. J’ai vraiment eu ce que j’attendais en venant à cette formation. Cela m’a permis de lever quelques blocages qui restaient en moi pour intégrer pleinement l’attitude ludo-soignante au quotidien au sein d’une équipe et d’insuffler au mieux la "bonne parole" ».

Et comment ça marche ?
Les clowns interviennent toujours en binômes, formant des duos cocasses et contrastés. Ce travail leur permet de rester créatifs, y compris dans les moments difficiles.

Ils interviennent 2 jours par semaine, et durant toute l’année, dans chacun des services où ils sont présents. Ainsi, la présence des clowns reste un événement spécial au cours de la semaine : ni trop extraordinaire, ni trop quotidien. Les enfants, leurs parents et tout le personnel les attendent ! Leurs visites bihebdomadaires contribuent à donner des repères lors d’une hospitalisation de longue durée.

Les clowns proposent à chaque enfant un spectacle improvisé et personnalisé : chansons, musique, tours de magie, les clowns arrivent avec leur personnage, leurs accessoires et leur sens de l’improvisation pour aller à la rencontre des enfants, des parents et des soignants. Aucun spectacle n’arrive préfabriqué. Chaque intervention se fait dans le respect de l’enfant, de son état, de son humeur, de son rythme. Une chanson d’amour, un simple bonjour ou un vrai scénario : tout est possible. Le clown stimule, mobilise l’attention, fait travailler l’imagination créatrice de l’enfant. A chaque rencontre, il propose un jeu, un univers que l’enfant s’appropriera.

Les comédiens travaillent main dans la main avec les équipes soignantes et médicales.
Le moment des transmissions est un moment d’échange privilégié entre les comédiens et les soignants : un membre de l’équipe soignante communique aux comédiens, qui sont soumis au secret professionnel, le maximum d’informations sur l’état psychologique et médical de chaque enfant présent dans le service. Ces informations permettent aux clowns de doser et d’ajuster leur jeu et d’éviter des gestes ou des paroles inappropriées. D’une certaine manière, c’est le moment où les professionnels de santé et les professionnels du spectacle s’allient pour le bien-être des enfants. Les soignants peuvent, selon leurs souhaits, être invités à participer au jeu, et ainsi se découvrir sous un autre jour auprès de l’enfant. Tout le monde y gagne, à commencer par l’enfant et sa famille, qui se détourne un instant de sa maladie, et pour les soignants, qui apprennent à soigner autrement.

Alors, au final, ça donne quoi ?
Bien sûr tout le monde n’est pas toujours réceptif au rire à l’hôpital. Parfois le rejet est une réaction contre la situation, qu’il est difficile de contrer. Mais finalement, ce rejet concerne bien rarement les clowns, qui savent s’adapter aux enfants, mais aussi à leur état de santé et psychologique de l’instant.

Les témoignages parlent d’eux-mêmes…
 « Les clowns savent s’adapter à l’humeur et à l’âge des enfants du service. Pour les plus petits, ils privilégient le visuel et le confort d’écoute. Un petit spectacle de marionnettes improvisé, un morceau de flûte… ils ont un répertoire de chansons étrangères très apprécié. Avec les adolescents, les clowns sont pleins de ressources pour susciter une réaction de leur part. Ils jouent l’indifférence ou au contraire la provocation. Il n’est pas rare qu’ils soient mis à la porte par l’enfant, à la grande joie de ce dernier ! Les parents sont aussi du spectacle. Voir leur enfant rire, c’est pour eux d’un grand soutien. Nous pouvons être amenés à demander aux clowns d’accompagner un enfant au bloc opératoire. Lorsque les parents ne peuvent plus passer la fameuse porte réservée aux membres du service, ils se sentent relayés par l’action des clowns. Les clowns, ils apportent du lien entre nous, les parents et les enfants.»

Bénédicte Poli, éducatrice au sein du service de pédiatrie du CHR d’Orléans

« Je me rappelle parfaitement le premier jour où j’ai vu les clowns à l’Institut Gustave Roussy. Nous étions encore sous le choc d’apprendre la maladie de notre petite fille, âgée de 7 mois à l’époque, quand tout d’un coup je vois rentrer dans sa chambre deux clowns qui chantaient et rigolaient avec nous. C’était comme un rayon de soleil en plein milieu d’une énorme tempête. Pour quelques brèves minutes, nous avons réussi à oublier tout le contexte dur de la maladie et à profiter d’un temps vraiment très agréable avec eux.»

Rodrigo, Cintia et Aline, Institut Gustave Roussy Villejuif

 « MERCI…A tous ceux qui ont balancé le doudou de Laurène par la fenêtre pour le récupérer par la porte, pour votre musique douce au bon moment et vos folies quand on en avait besoin, à vous tous d’avoir été présents deux jours par semaine (même si parfois on vous recherchait tous les jours). Nous étions déjà confiants, mais c’est officiel : Laurène est guérie. Elle a oublié les malheurs, les douleurs et les quatre murs de sa chambre d’hôpital. Elle se rappelle surtout les bons moments passés avec les clowns. »

La famille de Laurène
Noémie Lavoine
(source témoignages et photos : http://www.leriremedecin.asso.fr/)

Article paru dans la revue “Association des Juniors en Pédiatrie” / AJP n°6

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