« Place de la coronarographie en urgence après un arrêt cardiaque extrahospitalier »

Publié le 24 May 2022 à 20:19

Chaque année en France, on dénombre 40 000 à 50 000 arrêts cardiaques extra hospitaliers (ACEH), touchant majoritairement des hommes (65 %), âgés en moyenne de 65 ans)(1). Le taux de survie est de l’ordre de 5 à 7 %, mais tend à augmenter ces dernières années pour atteindre 10 à 13 % selon les séries (2). Si on considère les patients ayant présenté un ACEH secondaire à un rythme choquable, le taux de survie atteint même les 60 % (3). Les syndromes coronaires aigus étant une cause fréquente d’ACEH, est-ce qu’une une coronarographie urgente, en phase initiale de la réanimation d’un ACEH, améliore la prise en charge de ces patients graves dont le pronostic est conditionné par les séquelles neurologiques ?

Épidémiologie de la maladie coronaire et de l’ACEH
De nombreuses séries autopsiques ont rapporté la présence très fréquente d’une coronaropathie chez les patients décédés d’un ACEH (4–6). La maladie coronaire est d’ailleurs l’étiologie principalement retenue lorsqu’il n’y a pas de cause extracardiaque évidente (AVC, traumatisme, causes respiratoires, causes métaboliques ou toxicologiques…) avec, dans les dernières méta analyses, une prévalence de lésions coronaires aiguës dans 59 % à 71 % des ACEH (7).

Dans les ACEH par rythmes non choquables (asystolie ou dissociation électro-mécanique (DEM), l’imputabilité de la maladie coronaire (MC) est mal définie et des études principalement autopsiques semblent montrer que la prévalence de la MC est plus faible que dans les rythmes choquables, mais des données comparatives robustes sont très difficiles à obtenir (5,8,9), et il n’y a pas eu de grande série publiée de populations homogènes même chez les patients réanimés car l’accès aux salles de cathétérisation reste l’exception (9).

SPAULDING et al en 1997, réalisèrent un travail pionnier en faisant bénéficier d’une coronarographie à 84 patients consécutifs ayant présenté un ACEH sans cause cardiaque évidente indépendamment du rythme choquable (fibrillation ventriculaire ou tachycardie ventriculaire sans pouls) ou non choquable à la phase initiale et indépendamment de la présence d’un sus décalage du segment ST (présent chez seulement 40 % des patients). Dans cette étude, une coronaropathie était retrouvée chez 60 patients (71 %) et 40 (47 %) présentaient une occlusion coronaire aiguë. Chez ces 40 patients, un succès d’angioplastie était associé à une survie 5,2 fois plus élevée à la sortie d’hospitalisation en analyse multivariée (p=0,04) (10). Depuis cette étude, de nombreuses études observationnelles ont montré que l’évaluation coronaire par coronarographie, y compris les interventions coronaires primaires (ICP) étaient faisables chez les patients ressuscités après un ACEH (3, 7,11). Une étude issue du registre américain comptabilisant les sorties d’hospitalisation des hôpitaux publiques (Nationwide Inpatient Sample) a montré que les taux de coronarographie et d’angioplastie coronaire ont augmenté chez les survivants d’un ACEH par rythme choquable (407 974 patients) passant de 27,2 % en 2000 à 43,9 % en 2012 et que la réalisation d’une coronarographie était associée à une augmentation de la survie de 13,2 % (p < 0,001) chez les patients ressuscités d’un ACEH avec rythme choquable, indépendamment de la présence d’une élévation du segment ST sur l’ECG initial (3).

D’autres données observationnelles (une méta-analyse et une étude rétrospective récente avec score de propension) sont en faveur d’une stratégie invasive (c.-à-d. angiographie suivie d’une ICP immédiate si nécessaire) en montrant une augmentation de la survie associée à la réalisation d’une coronarographie rapide dans les ACEH sur rythme choquable avec ou sans ST+ à l’ECG (11,12).

Cependant, la prise en charge invasive systématique pour tous les patients est controversée car elle allonge les délais avant admission en réanimation, mise en oeuvre d’une neuro-protection efficace et nécessite de déployer des moyens humains et financiers importants (Tableau I).

 

Tableau I. Arguments pour et contre la réalisation d’une coronarographie immédiate après ACEH

Comment identifier les patients présentant une lésion coronaire instable comme cause de l’arrêt cardiaque ?
Afin que la coronarographie (et l’éventuelle revascularisation associée) puisse apporter un bénéfice aux patients en post-ACEH, il est impératif d’arriver à sélectionner les patients dont la cause de l’ACEH est une lésion coronaire (13 –15).

Le contexte clinique peut être très évocateur (douleur thoracique précédent l’ACEH) mais souvent difficile à obtenir dans cette situation d’urgence.

La présence d’un rythme choquable lors de la prise en charge est un argument fort en faveur d’un SCA de type 1 ; et cela d’autant lorsqu’il existe un sus décalage du segment ST au décours de la réanimation. Ces patients ont ainsi jusqu’à 80 % de risque d’avoir une lésion coronaire instable et 95 % d’avoir des lésions coronaires significatives (16).

Une étude de 2010 a étudié 435 patients sur 714 ACEH ne présentant pas de cause extracardiaque évidente admis en USIC et ayant bénéficié d’une coronarographie en urgence.

On dénombrait 31 % de SCA ST+ parmi lesquels 96 % (128 patients) présentaient une lésion coronaire et parmi les 69 % sans sus-décalage du segment ST on retrouvait tout de même au moins une lésion coronaire chez 176 patients (58 %) (13).

D’autres grandes séries observationnelles de patients post-ACEH ayant bénéficié d’une coronarographie ont montré que l’absence d’élévation du segment ST pouvait également être associée à une coronaropathie instable avec une prévalence évaluée entre 8 % et 42 % (17–19). Ces données montrent que la prévalence d’une MC instable dans la population ne présentant pas d’élévation du segment ST après un ACEH pourrait être suffisamment élevée pour que la coronarographie précoce systématique fasse partie de la stratégie thérapeutique initiale de ces patients mais n’aboutira pas à une intervention dans environ 1 cas/2.

Ainsi l’ECG reste l’outil fondamental, mais non exclusif, dans l’identification des patients qui bénéficieront le plus, d’une coronarographie en urgence après un ACEH sur rythme choquable (Figure 1).


Figure 1 : Répartition des atteintes coronaires en fonction de la présence ou de l’absence de retour à un rythme sinusal et de la présence ou de l’absence d’élévation du segment ST sur l’ECG après un ACEH. Adapté de Yannopoulos et al ; Circ 2019

Intérêt de la coronarographie chez les patients avec élévation du segment ST post-ressuscitation
Plus de 80 % des patients présentant une élévation du segment de ST ou un bloc de branche gauche sur leur ECG après ressuscitation présentent une occlusion coronaire aiguë (20) et de nombreuses études observationnelles rapportent une augmentation d’un facteur 2 à 5 de la survie et du pronostique neurologique associés à une prise en charge invasive (10, 18, 21). On comprend qu’aucun essai clinique randomisé ne pourra éthiquement être réalisé dans cette population.

Ainsi, il est recommandé par l’European Ressuscitation Council de réaliser une évaluation angio-coronarographique (et ICP immédiate si nécessaire) chez les patients avec ST+ post-ACEH.

De même l’apparition de signes d’instabilité hémodynamique, d’arythmie persistante menaçante ou d’ischémie récurrente sont des indications à la réalisation d’une coronarographie en urgence (22).

Les recommandations de l’European Society of Cardiology sur la revascularisation myocardique de 2018, retiennent quant à elles l’indication à une coronarographie en urgence au décours d’un ACEH en présence d’un SCA ST+ sur l’électrocardiogramme (Recommandation de Classe IB).

Intérêt de la Coronarographie chez les patients sans élévation du segment ST post-resuscitation
Déjà difficile en dehors du contexte particulier d’ACEH, l’identification des SCA sans sus décalage du segment ST est encore plus difficile en post arrêt cardiaque notamment du fait de l’impossibilité d’interroger le patient.  De plus, les bénéfices d’une coronarographie et d’une angioplastie d’une artère a priori non occluse sont incertains dans ce contexte.

La sensibilité et la spécificité des données cliniques, de l’ECG et des biomarqueurs pour prédire qu’une occlusion coronaire est la cause certaine de l’ACEH sont peu claires (23, 26).

Différents scores prédictifs ont ainsi été proposés pour prédire la présence d’une lésion coronaire instable responsable de l’ACEH. L’un d’eux se basait sur la présence d’un angor précédent l’arrêt cardiaque (1 point),

la présence de signe de congestion (1 point), la présence d’un rythme choquable initial (1 point) ou encore la présence de troubles de la repolarisation (2 points). En présence de 3 points, la probabilité d’avoir une coronarographie anormale était de 53 % (27).

En l’absence de consensus clair actuellement, on se basera ainsi sur différents facteurs prédictifs comme l’âge du patient, la durée de la réanimation cardiocirculatoire, l’instabilité hémodynamique, la présence d’un rythme choquable initiale, l’état neurologique à l’hôpital à l’arrivée, et la probabilité d’une étiologie cardiaque basée sur les prodromes ou les antécédents du patient.

De nombreuses études randomisées sont actuellement en cours pour répondre à cette question dans le NSTEMI (DISCO - NCT02309151 ; PEARL - NCT02387398 ; COUPE - NCT02641626 ; TOMAHAWK - NCT02750462 ; EMERGE - NCT02876458 ; ACCESS - NCT03119571 ; ARREST – NCT96585404). La première d’entre elles, COACT, a été publiée en avril dernier au congrès de l’American College of Cardiology (21) et avait pour objectif de répondre à la question suivante : doit-on proposer systématiquement une coronarographie en urgence aux patients survivant d’un ACEH sur rythme choquable ne présentant pas d’élévation de leur segment ST ?

De juillet 2015 à janvier 2018, cette étude hollandaise, multicentrique (19 centres) randomisée en 1/1 a comparé chez 552 patients une stratégie de coronarographie immédiate (dans les 2 heures maximum après randomisation) versus une stratégie de coronarographie retardée (après récupération neurologique – souvent en sortie de soins intensifs). En cas d’apparition de signes d’instabilité hémodynamique, d’arythmie persistante menaçante ou d’ischémie récurrente, une coronarographie était réalisée quel que soit le groupe de randomisation. Les modalités d’application des traitements anti-thrombotiques et per et post-procédure restaient à la discrétion du praticien réalisant la coronarographie. Enfin, la réanimation des patients des 2 groupes suivaient les recommandations européennes en termes de neuro-protection, d’hypothermie thérapeutique et de stabilisation hémodynamique.

Le critère de jugement principal était la survie à 90 jours. Dans le groupe « précoce » la coronarographie a été réalisée dans 97,1 % des cas avec un délai médian de 0,8 heures et dans 65 % des patients du groupe « tardif » (95 % des survivants) avec un délai médian de 120 heures.

Quand elle était réalisée, la coronarographie retrouvait une coronaropathie dans 65 % des cas, sans différence entre les 2 groupes. Une thrombose était retrouvée dans 3,4 % des cas dans le groupe précoce versus 7,6 % des cas dans le groupe tardif ; et une lésion instable était retrouvée dans 13,6 % des cas dans le groupe précoce versus 16,9 % des cas dans le groupe tardif.

Il n’était pas observé de différence significative sur la survie à 90 jours entre les 2 groupes (67,2 % versus 64,7 %, p=0,51) (Figure 2) ni sur la survie à 90 jours sans séquelle neurologique alors que le délai pour obtenir une hypothermie efficace était significativement plus rapide dans le groupe « tardif) (médiane de 5,4 heures dans le groupe « précoce » versus 4,7 heures dans le groupe « tardif »). Il est important de noter que la mortalité « neurologique » était plus de 3 fois supérieure à la mortalité cardiaque, suggérant l’urgence d’une prise en charge neuroprotectrice chez ces patients en post-ACEH.


Figure 2 : Courbe de survie des patients ayant bénéficié d’une coronarographie « précoce » ou « tardive » après ressuscitation. Adapté de Lemkes et al.; NEMJ 2019.

Ainsi, une stratégie d’angiographie immédiate n’a pas montré de bénéfice sur la survie ni sur le pronostic neurologique par rapport à une stratégie d’angiographie retardée.

Ainsi il semble raisonnable d’envisager une coronarographie différée chez la plupart des patients après prise en charge réanimatoire spécialisée.

En résumé
La place de la coronarographie après ACEH sur rythme choquable est en passe d’évoluer dans les prochaines années avec l’arrivée de résultats de nouvelles études randomisées.

Il semble certain qu’une coronarographie en urgence (< 2 heures) restera formellement indiquée en présence d’une élévation du segment ST.

En l’absence d’élévation du ST, les premiers résultats fournis par COACT ne permettent aujourd’hui pas d’établir une prise en charge codifiée en l’absence de différence observée sur la survie entre coronarographie « précoce » ou « tardive » (la survie étant chez ces patients étroitement liée à leur pronostique neurologique). Mais une prise en charge individualisée est indispensable et une stratégie invasive peut être envisagée au cas par cas, en cas de très forte suspicion de SCA sous-jacent.

Nous vous proposons l’algorithme décisionnel ci-dessous comme aide à la prise en charge (Figure 3).

Figure 3 : Algorithme décisionnel pour ou contre la réalisation d’une coronarographie rapide à la phase initiale d’un ACEH

Points Clés

  • 40 000 à 50 000 ACEH en France chaque année.
  • Lésions coronaires fréquentes chez les patients ressuscités.
  • Taux de survie en cas de rythme choquable élevé.
  • Présence d’une élévation du ST après récupération d’un rythme choquable = coronarographie dans les 2 heures.
  • Pas d’étude randomisée.
  • Amélioration de la survie globale.
  • Absence d’élévation du ST après récupération d’un rythme choquable = coronarographie différée.
  • Étude COACT négative sur la survie globale à 90 jours.
  • Rechercher des signes de mauvais pronostique neurologiques post ACEH pouvant réduire les bénéfices attendus d’une coronarographie en urgence.
  • D’autres études randomisées sont en cours pour évaluer l’impact d’une coronarographie en urgence chez les patients survivants d’un ACEH sur rythme choquable sans élévation du segment ST.

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