Petite philosophie des rides de Maël Lemoine

Publié le 23 Feb 2023 à 15:40

 

En librairie dès le 2 novembre 2022 (150 pages, richement illustré, 9.90 €, éditions Hermann)

Qu’est-ce que les « gérosciences » ?

L’objectif d’une mort naturelle en bonne santé est illusoire : les humains meurent presque tous de maladie. Les sciences du vieillissement ont récemment développé une approche thérapeutique appelée « gérosciences », qui visent à traiter les maladies liées à l’âge en traitant le vieillissement lui-même. C’est le sujet du livre : Petite philosophie des rides (Hermann, Paris, 2022).

Vivre, vieillir, développer une maladie et mourir

Plus souvent que les autres êtres humains, les médecins doivent affronter la maladie et la mort.

Rien ne les y prépare. Pour y faire face, ils ne peuvent donc compter que sur le sens commun.

Celui-ci reflète une philosophie implicite du but qu’ils s’assignent : une vie longue, exempte de maladie, qui se termine naturellement par une mort douce. Mais la trajectoire naturelle des humains ne consiste pas à vivre, vieillir et mourir en se préservant habilement des maladies. Elle implique de vivre, de vieillir, de tomber malade et d’en mourir.

Contre cela, le sens commun se révolte. Mais il faut bien qu’il apprenne à faire avec, sous peine d’un décalage permanent entre les objectifs et la réalité de la pratique médicale. Deux mille cinq cents ans de philosophie aristotélicienne nous ont conforté dans la croyance intuitive que les maladies sont des accidents et non des tendances inhérentes à notre nature.

Cela est vrai, la plupart le sont – du moins, avant qu’on atteigne l’âge des maladies. Mais tomber malade au seuil de sa vie est un fait universel – ou presque. Après 65 ans, 3 % des morts sont dues à des causes vraiment accidentelles et 97 % à des causes pathologiques. Comme on sait, l’OMS a renoncé il y a des décennies à compter la vieillesse comme une cause de mort.

Figure 1. Les causes de mortalité après 65 ans dans l’Union Européenne (2011-2017). Source : Eurostat.

Ce qui frappe plus encore est la distribution des causes de mortalité. Près de 80 % des humains de plus de 65 ans meurent de maladie cardiovasculaire, de cancer, de maladie respiratoire ou des suites d’une infection. C’est étonnamment peu varié. En somme, pour être réaliste, il faudrait préparer ses patients, et se préparer soi-même, à devoir mourir de l’une de ces causes.

Pourtant, nous nous rattachons à l’existence d’une trajectoire réussie du vieillissement (healthy, successful aging), qui serait l’objectif ultime de la gériatrie. Elle serait l’apanage des supercentenaires, qui atteignent des âges très avancés sans pathologie visible ou, du moins, trop handicapante. La santé publique s’assigne plus généralement un objectif de compression (ou rectangularisation) de la courbe de morbimortalité, ou encore, de maximisation de l’espérance de vie en bonne santé. Pour cela, il faudrait convaincre tous les patients d’adopter un mode de vie sain qui les préserve des maladies.

Le vieillissement réussi n’est pas une fiction.

La compression de la courbe est un objectif réaliste. Ce qui est une fiction, en revanche

– ou, du moins, une belle utopie – c’est l’universalisation du vieillissement exempt de maladie. On peut toujours croire pour soimême, et faire croire aux autres, qu’une vie saine suffit à nous préserver jusqu’à la fin du cancer et des maladies cardiovasculaires. Le plus probable est que c’est bien ce qui tuera chacun de nous, fût-ce un peu plus tard.

Les stratégies thérapeutiques contre les maladies liées à l’âge

À première vue, c’est un échec majeur de la recherche médicale, qui engloutit annuellement, depuis plus d’un demi-siècle, des milliards d’euros dans la quête de traitement contre les maladies cardiovasculaires, le cancer, la maladie d’Alzheimer. Le tableau n’est pas si sombre.

Au moins contre les maladies cardiovasculaires, la recherche a été efficace au cours des dernières décennies. Elle est parvenue à repousser significativement leurs conséquences dans le temps, réduisant ainsi la mortalité cardiovasculaire.

La mortalité par cancer n’a pas reculé aussi significativement. La maladie d’Alzheimer tue peu, mais terrorise beaucoup. Chacun sait que le médecin, pour accompagner ses patients, ne peut guère compter sur la médecine.

Une autre approche des maladies liées à l’âge a été développée depuis une dizaine d’années.

Les gérosciences se proposent en effet de traiter

les maladies liées à l’âge à la source – c’est-àdire, en intervenant sur le vieillissement luimême.

L’hypothèse est que le processus de fond qui rend ces maladies inéluctables, est commun à tous, et trouve son origine dans le processus naturel et universel du vieillissement.

Les gérosciences ne visent pas le mythe de l’éternelle jeunesse. Elles cherchent à transformer le vieillissement commun en vieillissement réussi. Ont-elles une chance d’y parvenir ?

Pour cela, elles jouent sur plusieurs tableaux à la fois : développement de la prévention, repositionnement de médicaments, et développement de thérapies nouvelles. L’étude et le développement du jeûne intermittent illustre la première stratégie. La deuxième stratégie est illustrée par les essais cliniques sur l’usage de la metformine chez des sujets sains (essai TAME).

La troisième stratégie a conduit au développement d’une nouvelle classe de médicaments, les « sénolytiques », qui ciblent l’élimination des cellules sénescentes qui s’accumulent dans les différents tissus avec l’âge.

Ces nouvelles stratégies s’appuient sur l’essor de la biogérontologie, l’étude des mécanismes du vieillissement, chez l’homme et dans le vivant en général. Celle-ci a fait bien des progrès en vingt ans, depuis le temps où l’on apprenait que tout découlait de l’action délétère des radicaux libres et du raccourcissement des télomères, deux hypothèses aujourd’hui largement battues en brèche. La diversité du vieillissement est surprenante et instructive.

Pour comprendre le vieillissement, il faut en effet s’affranchir de beaucoup de présupposés du sens commun.

Pas seulement l’idée que les maladies sont des accidents et non des faits universels de l’âge, mais aussi, l’idée que le vieillissement serait un fait universel du vivant, que l’évolution irait  trop lentement, certes – dans le sens de son élimination, que la régénération des tissus serait la clé de l’immortalité, et, bien sûr, que contre le vieillissement, il n’y a rien à faire.

Le vieillissement de l’organisme rappelle toujours à une triste réalité, face à laquelle les préceptes de Cicéron et la glorification de la sagesse des cheveux blancs paraissent, au mieux, une piètre consolation et, au pire, en complet décalage avec le problème. Mais l’étude du vieillissement est un sujet fascinant. De sa compréhension dépendent des enjeux considérables pour la médecine et pour toute la société.

Article parue dans la revue “Le bulletin des jeunes Généralistes ” / SNJMG n°35

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