Pédiatrie et Covid

Publié le 31 May 2022 à 14:12

 

La crise de la COVID a un peu plus singularisé le monde de la Pédiatrie, déjà à part, par rapport au reste du monde de la Santé. De nombreuses surprises, à propos de la Santé des enfants, ont émaillé la crise. Ces constats pourraient servir de bases pour repenser cette santé des enfants au-delà de cette crise.

LA PÉDIATRIE, UN MONDE À PART DANS LA SANTÉ
De nombreuses pathologies lui sont propres et exclusives, avec des périodes épidémiques spécifiques (plus précoces et plus longues que chez les adultes) : l’enfant n’est pas un adulte en miniature.

La Pédiatrie est hétérogène avec des praticiens surspécialités de plus en plus nombreux mais qui, le plus souvent, doivent rester polyvalents, internistes, urgentistes, intensivités. Et doivent souvent savoir pratiquer la Néonatologie, qui est presque une spécialité à part. D’un centre hospitalier à l’autre, son organisation, son mode de fonctionnement montrent plus d’hétérogénéité que chez les adultes avec des plateaux techniques rarement dédiés et souvent peu adaptés.

La participation des praticiens d’adultes à son fonctionnement (chirurgiens, urgentistes, radiologues, …) est variable et pallie partiellement le manque de spécialistes de l’enfant.

Certaines pathologies ne peuvent se traiter que dans des centres de grande taille, voire universitaires, plus fréquemment que pour les adultes.

Les patients sont pour la plupart atteints de pathologies infectieuses aiguës, quelques fois graves, alors que souvent sans pathologie préalable. Et les plus jeunes sont les plus fragiles. Les épidémies déstabilisent les services de Pédiatrie dès l’automne. C’est d’ailleurs l’une des grandes revendications des Pédiatres : avoir les moyens de faire face à ces épidémies et assurer les meilleurs soins à tous les patients, revendication jusqu’ici non satisfaite. La plus « violente » est l’épidémie de bronchiolite (essentiellement à VRS) survenant chaque automne et début d’hiver avec son afflux de patients en médecine, USC, réanimation. Celle de 2019 fut certainement la plus difficile avec des transferts d’enfants dans d’autres régions, pour manque de place en réanimation essentiellement. La médiatisation fut proportionnellement très modérée et principalement par le fait des soignants concernés !

La grippe et les gastro-entérites (plusieurs pics dans l’année) déstabilisent également les services. A chaque fois, les équipes sont mises à rude épreuve.

L’IMPACT DE LA COVID
On en était là quand la COVID est arrivée

La crise sanitaire a été sans précédent.

La Pédiatrie, inquiète fin février comme le reste de la Santé, fourbissait ses armes, préoccupée des conséquences de cet ajout de patients aux épidémies habituelles, la période de l’épidémie annuelle de grippe arrivant à grands pas !

Les moyens délivrés par les cellules de crise (gérées essentiellement par les médecins et cadres, les directeurs semblant peu impliqués et les ARS « distantes ») à tous, et donc à la Pédiatrie aussi, furent inédits, inespérés, grâce à la bonne volonté et à la pertinence de l’ensemble des soignants malgré les défaillances institutionnelles.

Les Pédiatres, ambulatoires comme hospitaliers, ont communiqué entre eux comme jamais, traquant la dernière publication, réfléchissant aux meilleures solutions pour prendre en charge les enfants à l’hôpital comme en ville. Ils parvenaient à des consensus et parlaient d’une seule voix. Ils ont d’ailleurs permis de dédouaner les enfants, initialement accusés, à tort, d’être des contaminateurs asymptomatiques.

Et ce fut le Désert des Tartares.

Hormis quelques éruptions atypiques, diarrhées bien tolérées, et, finalement, quelques syndromes de Kawasaki un peu sévères mais non mortels, le nombre d’enfants atteints a été faible ; et surtout le nombre d’enfants consultants et hospitalisés a été très bas, tous motifs confondus. En particulier les pathologies infectieuses semblaient avoir quasiment disparu : grippe mais aussi infections respiratoires, gastro-entérites.

Après une phase d’augmentation des moyens (astreintes supplémentaires, augmentation du nombre de postes paramédicaux par récupération de puéricultrices de crèches, PMI…), il a vite été évident que nous vivions une période de sous-activité (les communications entre pédiatres ont permis de valider plus vite ce constat). Les études ont confirmé plus tard que c’était bien les mesures de protection vis à-vis du Coronavirus qui ont été la cause de cette diminution des infections virales (voire bactériennes) en pédiatrie.

Les moyens délivrés par les cellules de crise à tous, et donc à la Pédiatrie aussi, furent inédits, inespérés, grâce à la bonne volonté et à la pertinence de l’ensemble des soignants malgré les défaillances institutionnelles.

Le monde pédiatrique s’est mis à aider le monde adulte ; en particulier, les services de réanimation pédiatrique, juste avant en grande difficulté, ont pris des patients adultes ou ont envoyé médecins et infirmières dans les services d’adulte ; les internes de médecine générale des services de pédiatrie, peu occupés, partaient aider les services d’adultes.

L’APRÈS PREMIÈRE VAGUE
Le déconfinement et la réouverture des écoles ont été l’occasion pour confirmer les dégâts prévus par les pédiatres, psychologiques comme somatiques, et provoqués en particulier par la déscolarisation.

L’activité pédiatrique n’a pas franchement remonté : on approchait de l’été mais ce fut un été encore plus calme qu’à l’accoutumée.

Septembre a commencé un peu fort pour la Pédiatrie et on s’attendait à une année habituelle, puis l’activité est un peu retombée.

Pendant ce temps, l’épidémie reprenait doucement mais sûrement chez les adultes, touchant un peu plus les jeunes.

Les pédiatres se sont inquiétés du risque de collision des épidémies de VRS et de la COVID : les nombreuses chambres doubles des services de pédiatrie risquaient de ne plus être utilisables qu’en chambres simples, aggravant les difficultés d’accueil des enfants dans les services de pédiatrie. Cette inquiétude était légitime car il ne semblait pas évident que les épidémies automne-hivernales soient moins intenses qu’à l’accoutumée.

Et finalement, à ce jour, l’activité s’est ralentie ; un peu moins qu’au printemps (quelques rhinovirus avec des exacerbations d’asthme) mais l’épidémie de VRS n’émerge pas (et pas plus de gastro-entérites) ; les mesures d’hygiène de la COVID impacteraient aussi les bronchiolites comme pour les infections respiratoires et les gastro-entérites au premier confinement. Comme les enfants sont peu touchés alors qu’ils continuent à se côtoyer (masqués ou non), il y a fort à parier que le principal vecteur habituel de ces virus actuellement absents étaient les adultes.

La seule activité « pédiatrique » qui a augmenté par rapport aux années précédentes est celle des troubles psychologiques, essentiellement chez les adolescents, avec un taux d’hospitalisation plus important en particulier mais aussi des formes plus sévères, des réactions souvent plus violentes. Est-ce un effet du confinement, de l’incertitude du lendemain ?

L’activité a, pendant ce temps, fortement augmenté en médecine adulte. Beaucoup de soignants ont été infectés cette fois-ci (contamination nosocomiale ou communautaire). Dans certains grands services de pédiatrie, la baisse d’activité a conduit à fermer des lits voire des ailes entières. De nombreuses infirmières, puéricultrices, auxiliaires, dorénavant en sureffectif, ont dû partir en unités COVID avec beaucoup moins de volontariat et plus d’obligation institutionnelle (organisation du plan blanc par les directions) qu’à la première vague ! Cela a été brutal, très difficile car très différent de leur exercice habituel avec un rapport à la Mort auquel les équipes des services de Pédiatrie sont peu familières (réanimation et oncologie excepté).

Sauvées du VRS, elles affrontent un virus plus terrible et aussi contagieux.

Quelques pédiatres ont aussi participé à l’activité des unités COVID mais de façon ponctuelle sur volontariat.

On ne sait pas, à ce jour, quel effet aura cette situation sur les équipes de Pédiatrie mais il y a à parier qu’elle laissera des traces. Le pouvoir de résilience des équipes pédiatriques pourrait, cette fois-ci, être mis en défaut.

Il est à espérer pour l’instant que le déconfinement n’entraînera pas un retour de ces épidémies pédiatriques car les équipes pourraient être en grande difficulté de devoir passer de COVID en VRS.

Il faudra certainement repenser notre société dans sa prévention des infections virales de l’enfant et de leurs conséquences : des précautions pourraient diminuer l’afflux d’enfants aux urgences et dans les services en période épidémique. Si on sait prendre des mesures pour protéger certaines catégories de population, n’est-il pas légitime aussi de protéger les enfants, en particulier les plus jeunes, les plus fragiles ? Mais à quel prix ? Jusqu’où les mesures devraient aller pour protéger nos enfants ? La population sera-t-elle capable de les accepter connaissant les enjeux ?

 

 

 

EmmanuelCIXOUS
Président du SNPEH

Article paru dans la revue « Intersyndicat National Des Praticiens D’exercice Hospitalier Et Hospitalo-Universitaire.» / INPH20

 

 

 

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