L'exercice de la médecine suppose une bonne intégration du praticien dans le monde dans lequel il vit. Chacun doit reconnaître la diversité et la complexité de ce monde, ce qui impose une ouverture d'esprit certaine, en particulier culturelle.
En miroir, ce monde dans lequel nous exerçons nous renvoie des images relatives à la physiologie, à la pathologie, à la thérapeutique dermatologiques, à la médecine en général et aux médecins en particulier. Quelques UFR de médecine proposent un abord de la médecine à travers la production littéraire. À la faculté de Santé d'Angers, depuis près de 10 ans l'enseignement du corpus de connaissances « classiques » de la dermatologie du deuxième cycle est adossé à une approche originale (mais obligatoire) via un medium singulier : le cinéma. Cette approche a pour ambition de se saisir des images et des situations, dans le champ de la dermatologie, en faisant un salutaire pas de côté artistique.
Aborder la dermatologie à l'aide de l'analyse de films, c'est donner à voir les lésions cutanées, volontiers affichantes, et apprécier leur impact sur les sujets. C'est également aborder les questions d'identité (de sexe, de genre, de couleur de peau…) et la différence (particularités physiques acquises ou génétiques), toujours en ayant recours à un abord aussi bien narratif qu'illustratif. C'est aussi apprécier en quoi les réalisateurs utilisent les métaphores pour décrire la relation médecin / malade.
Ainsi, au-delà de la formation à la seule dermatologie et aux enjeux de sa pratique clinique, l'étude de ces œuvres permet aux étudiants futurs médecins de s'interroger sur le visible et l'invisible (ce qu'ils peuvent voir et ce qu'ils peuvent ne pas voir, ce qu'ils entendent et n'entendent pas) et sur ce que les patients montrent ou souhaitent dissimuler. Ces questions d'image de soi et de regard des autres sont fondamentalement au cœur de la pratique dermatologique. Elles peuvent être abordées précocement, et de façon originale, en parallèle de l'enseignement facultaire traditionnel.
Nous abordons ainsi les thèmes dermatologiques suivants (qui sont autant d'objectifs pédagogiques…), sans bouder notre plaisir de la discussion en amphithéâtre autour de la (re)découverte de films français ou étrangers, classiques ou récents :
• La peau saine stigmatisée. Exemple de la peau noire, des zoos humains du siècle dernier au racisme ordinaire contemporain. Filmographie : « Venus noire », « Chocolat », « Agathe Cléry », « Le garçon aux cheveux verts »…
• La peau organe de communication, d'identité voire de lutte. Quand la peau est utilisée comme organe de communication ou vecteur de personnalité ou quand le sujet paraît être réduit à un attribut cutané. Filmographie : « La moustache », « Le retour de Martin Guerre », « Timbuktu », « Johnny got his gun »… Ce dernier fi lm permet également de discuter le toucher, consenti ou non, dans le soin…
• La peau pathologique stigmatisée. Vivre en société avec une maladie inflammatoire cutanée ou une maladie génétique cutanée, un prurit chronique. Filmographie : « White shadow », « La permission de minuit », « Journal intime »…
• Les lésions cutanées affichantes, la différence et la monstruosité. Dysmorphies et lésions cutanées repoussantes au risque de la vie en société. Filmographie : « Freaks », « Elephant man », « Border »…
• Les lésions cutanées et la « méchanceté ». Quand on est toujours le vilain ou le zombie de quelqu'un d'autre. Filmographie : « La nuit des morts vivants », « Grave »…
• La peau et le genre. La peau peutelle devenir genrée ? Filmographie : « Les nuits d'été », « Tom boy », « Laurence anyways »…
• La chirurgie cutanée : de la réparation à la modification du sujet. Jusqu'où ne pas aller trop loin dans la correction des altérations de la peau. Filmographie : « La chambre des officiers », « Les yeux sans visage », « La piel que habito »…
• La peau décorée. Tatouage, piercing, branding… : décorations ou sévices infligés à la peau ? Filmographie : « Le tatoué », « Titane »…
• La vénéréologie. Où l'on se rappelle que les IST ont inventé la dermatologie. Filmographie : « Les nuits fauves », « L'Appolonide », « It follows », « 120 battements par minute »…
• Le déroulement d'une consultation et les interactions patient / médecin. Quand les métaphores donnent à réfléchir à la vérité du discours du patient, à la séduction mutuelle, aux changements d'opinion sur l'autre… Filmographie : « Big fi sh », « La discrète », « Ridicule », « Dans la peau de John Malkovich », « La merditude des choses »…
• Et de nombreux autres thèmes : l'âge (« L'étrange histoire de Benjamin Button », « Time out »), les odeurs corporelles (« Le parfum »), les représentations graphiques et psychanalytiques du corps (« La peau », « Under the skin »)…
En pratique, les deux enseignants (LM et ALP) proposent une liste de films aux étudiants qui s'organisent pour constituer des groupes, travaillent ensemble à l'analyse d'un fi lm et à la rédaction d'un mémoire. La moitié environ des mémoires fait l'objet d'une présentation orale en amphithéâtre et de discussions. Les enseignants insistent sur le fait que l'analyse des films ne consiste pas à illustrer l'enseignement de la biologie cutanée… Les attendus comprennent, outre l'apprentissage du travail en groupe, l'obtention d'une analyse sociologique et anthropologique des films, à la fois contextualisée (où, quand et pourquoi le film a-t-il été réalisé ?) et orientée sur le futur exercice médical (comment ce film permet-il d'appréhender les interactions avec les patients dermatologiques ?). L'originalité (voire l'audace) dans l'analyse est particulièrement appréciée…
Ludovic MARTIN
PUPH de Dermatologie
Faculté de Santé
Université d'Angers
Camille LOISEAU
Interne de Dermatologie Université de Lille
Vice-Presidente Partenariats de la FDVF
Rédactrice en chef de la Revue des Jeunes Dermatologues
Anne-Laurence PENCHAUD
MCF de Sociologie
Faculté de Santé Université d'Angers