Où en est-on de la prévention cardiovasculaire en 2020 ?

Publié le 24 May 2022 à 18:25

La prévention cardio-vasculaire individualisée doit être consécutive à une prédiction du risque cardio-vasculaire et à un dépistage précoce des maladies cardio-vasculaires avant que ne survienne un événement aigu (infarctus du myocarde, AVC...) chez des patients potentiellement à risque. La question la plus importante est de savoir qui est réellement à risque. En effet, contrairement à des campagnes de dépistage systématique organisées par l’État comme par exemple pour le cancer du sein ou du colon, le dépistage des maladies cardio-vasculaires dépend essentiellement du ou des médecins qui suivent le patient. Force est de constater que ce dépistage est hétérogène et pourrait être optimisé et systématique.

Qui faut-il dépister ?
En suivant les recommandations de la Société Européenne de Cardiologie (ESC) de 2016, réactualisées en 2019, est éligible à un dépistage tout homme de 40 ans ou davantage et toute femme de 50 ans ou plus sans autre facteur de risque cardio-vasculaire (FDRCV) connu. Ceci est très loin de nos pratiques.

De plus, un(e) patient(e) présentant des FDRCV devrait même être dépisté(e) plus tôt. L’ESC ne précise pas d’âge strict pour ce dépistage mais on peut considérer que le dépistage est envisageable 5 à 10 ans plus tôt chez les patients présentant ces FDR.

L’ESC recommande donc l’utilisation d’un SCORE pour évaluer le niveau de risque d’un patient. Il faut noter qu’il s’agit d’un outil très théorique et peu utilisable en pratique (complexe, chronophage, parfois incomplet). Ce SCORE ne prend pas en compte le LDL cholestérol ni la présence de diabète, l’hérédité ou encore l’obésité. Ainsi, on peut en pratique considérer que tout patient ayant au moins un FDRCV majeur (tabac, HTA, dyslipidémie ou diabète) est au moins à risque intermédiaire et doit donc être screené !

Le niveau de risque cardiovasculaire évalué par l’ESC
On peut donc classer dans la catégorie de risque maximal tous les patients en prévention cardiovasculaire secondaire (après un infarctus du myocarde, un AVC ou une artérite symptomatique des membres inférieurs), les insuffisants rénaux dont la clairance est inférieure à 30 ml/min, tous les diabétiques avec atteinte d’un organe cible (exemple avec microalbuminurie positive). L’échelle SCORE permet aussi d’y inclure les patients ayant plus de 10 % de risque d’événement cardiovasculaire fatal dans les 10 ans à venir (pour obtenir le risque total c’est-à-dire d’événements fatals et non-fatals, il faut multiplier par 3 pour les hommes et par 4 pour les femmes). On peut aussi y classer tout patient ayant une plaque de plus de 1.5 mm à l’Echo-Doppler (ESC 2016). Le Coroscanner y est mal représenté mais présent puisqu’il faut avoir au moins 50 % de sténose, sur au moins 2 artères, pour entrer dans la catégorie de risque maximal.

La deuxième catégorie concerne le risque haut, ce qui est déjà très péjoratif. Tout diabétique depuis au moins 10 ans rentre dans cette catégorie de même que, s’il a au moins un autre FDRCV (tabac ? HTA ?), tout patient ayant un LDLc à 1.9 g/L ou davantage (ce qui était considéré normal en 2005) ainsi que les hypercholestérolémies familiales sans autre FDRCV et tout insuffisant rénal dont la clairance est inférieure à 60 ml/min ! Cela concerne beaucoup de nos patients ! Enfin pour les adeptes du SCORE ce sont les patients ayant entre 5 % et 10 % d’événement fatal à 10 ans (c’est-à-dire entre 15 et 30 % de risque total d’événement pour l’homme et entre 20 % et 40 % de risque total d’événement pour la femme).

Ensuite arrive la catégorie de risque intermédiaire, globalement les patients avec un FDRCV qui ne serait pas le diabète. Elle est séparée désormais depuis 2019 de celle à faible risque (ce n’était pas le cas en 2016). Ils ont entre 1 % et 5 % de risque d’événement fatal à 10 ans soit entre 3 % et 15 % de risque d’événements totaux pour les hommes et entre 4 % et 20 % de risque d’événements totaux pour les femmes.

La catégorie faible risque ne concerne que des hommes jeunes de moins de 40 ans ou femmes de moins de 50 ans sans aucun facteur de risque cardio-vasculaire connu. Leur risque fatal est estimé à moins de 1 % à 10 ans.

Comment dépister les maladies cardio-vasculaires ?
L’ESC recommande en premier lieu 2 examens : un Echo-Doppler des Troncs Supra Aortiques (TSA) et des Artères des Membres Inférieurs, ainsi qu’un Score calcique coronaire.

L’écho-doppler : une arme puissante de dépistage
Si une plaque d’athérome est visualisée au niveau des TSA ou des artères des membres inférieurs, le patient est automatiquement classé en « haut risque cardio-vasculaire ». Au-delà de 1,5 mm d’épaisseur de plaque, il est à « très haut risque cardiovasculaire ». L’épaisseur intima-média a probablement un intérêt mais les résultats d’études divergents ne permettent pas de l’utiliser comme outil pronostique. En pratique, une valeur élevée de l’IMT (intima-media thickness) pourrait nous alerter.

Score calcique coronaire : intérêt discutable mais indiqué
Pour ce qui est du score calcique coronaire, même s’il est recommandé, son interprétation reste en pratique beaucoup plus difficile. Globalement on nous dit que si un patient a un score calcique coronaire supérieur à 100, il faut le faire monter d’une case en termes de niveau de risque CV. En gros, un feu vert passe à l’orange ou un feu orange passe au rouge.

Cependant, cette interprétation simplifiée est malheureusement assez fausse. En effet, il faut prendre en compte l’âge du patient pour l’interpréter. Un score calcique élevé chez une personne très âgée sera relativement banal surtout en présence de FDRCV. Ainsi, un score calcique modérément élevé chez un patient jeune sera beaucoup plus inquiétant.

Il faut également savoir que le score calcique, obtenu à partir d’un scanner thoracique non-injecté, protocolisé pour la détection du calcaire, est un examen opérateur- dépendant. En effet, l’opérateur doit déterminer où se trouvent les coronaires et si l’hyperdensité détectée correspond ou non à une artère. Par exemple, concernant les artères passant à proximité des valves notamment aortique et mitrale, un mauvais contourage des vaisseaux par l’opérateur peut conclure à un score calcique plus élevé qu’attendu par intégration du calcaire valvulaire (Figure 1).

Par ailleurs, dans la physiopathologie de l’athérosclérose, les plaques fibro-lipidiques sont les plus vulnérables et les plus à risque de se rompre et donc de générer un infarctus du myocarde. Ces plaques sont par définition peu ou pas calcifiées. Elles seront indétectables par le score calcique et pourtant à risque de rupture. Le score calcique sera faussement rassurant. Voilà qui complexifie l’affaire.



Figure 1 – Score calcique : Le logiciel identifie en vert les zones qu’il estime calcifiées de par leur densité > 130 Unités Hounsfield. L’opérateur doit contourer manuellement une zone de calcification de son choix. Comme on le voit sur cette illustration, la proximité directe de l’aorte risque de faire surestimer le score calcique si on inclut l’aorte dans notre contourage.

Intérêt du coroscanner en termes de dépistage ?
Probablement que l’un des meilleurs examens en termes de dépistage serait le Coroscanner avec injection. En effet, celui-ci permet de visualiser de façon non-invasive à la fois les plaques hypodenses, les plaques mixtes modérément calcifiées et les plaques très calcifiées. Il permet également d’estimer le niveau de sténose. Contrairement au score calcique, il donne donc une idée plus juste et plus facilement interprétable du niveau de risque du patient (Figure 2).

En termes d’irradiation, les Coroscanner de dernière génération ont permis de réduire significativement la dose avec une irradiation très modeste, et qui semble tout à fait acceptable dans ce contexte de dépistage. Dans de bonnes conditions, le corocanner sera l’équivalent de moins d’un an d’irradiation annuelle naturelle (2.4 mSv) ce qui est environ 10 fois moins qu’il y a 5 à 10 ans et moins qu’un autre scanner diagnostique thoracique (par exemple pour recherche d’EP). En pratique, il représente l’équivalent de quelques trajets transatlantiques en avion.

L’athérome est identifié, comment traiter ?
Tout patient ayant des plaques athéromateuses est à « haut risque cardio-vasculaire » au minimum ce qui indique formellement la prescription d’un traitement hypolipémiant en plus des règles hygiéno-diététiques. L’objectif de LDL cholestérol à atteindre dépend ensuite du niveau de risque du patient et du taux de départ.

Ainsi l’ESC recommande depuis 2019 en prévention primaire un LDLc < 0,70 g/l chez les patients à « haut risque cardiovasculaire » et un LDLc < 0,55 g/l chez les patients à « très haut risque cardiovasculaire ». Le coronarien stenté ou ponté, étant encore plus à risque, doit avoir un LDLc < 0,55 g/l voire < 0,40 g/l s’il récidive un événement cardiovasculaire dans les 2 ans suivant le précédent événement.

Pour y parvenir, la solution passera forcément par la prescription d’une statine associée ou non à l’ezetimibe. Les deux statines de dernière génération sont également les plus efficaces dans la littérature à savoir l’atorvastatine et la rosuvastatine. Il faut savoir que ces deux molécules existent sous forme combinée à l’ezetimibe en un seul comprimé ce qui facilite la prise donc l’observance du patient tout en majorant l’efficacité du traitement. Si insuffisant, il faudra recourir aux anti-PCSK-9, dont on attend toujours le remboursement en France.


Figure 2 – Coroscanner : Le coroscanner est effectué après une injection d’iode sur une apnée de 10 à 15 secondes. On obtient une acquisition volumique permettant de regarder le coeur en 3D, repérer et identifier chaque artère cardiaque puis la suivre, tourner autour afin de rechercher la moindre plaque d’athérome. On note sur ces illustrations une plaque de l’IVA initiale chez un patient de 30 ans sans FDRCV sauf un ATCD familial de coronaropathie.

Place des antiagrégants plaquettaires en prévention primaire ?
La place de l’aspirine est toujours aussi controversée en prévention primaire notamment de par la balance bénéfices/risques qui fait ressortir dans les études une perte du bénéfice de l’aspirine, en raison du sur-risque hémorragique (étude ARRIVE, Lancet 2018). Chez le diabétique, le bénéfice était plus marqué mais également contre-balancé par un risque hémorragique supérieur (étude ASCEND, NEJM 2018).

Dans les recommandations ESC 2019, il n’y a pas de place pour l’aspirine en prévention primaire sauf chez le diabétique à très haut risque cardiovasculaire chez lequel elle peut être envisagée, mais dans ce cas, les auteurs proposent de l’associer à un inhibiteur de la pompe à protons pour limiter le risque hémorragique.

Angioplastie coronaire si ischémie documentée ou si symptômes ?
Le dépistage permettra de mettre en place les mesures de prévention dont l’équilibre des facteurs de risque et le traitement hypolipémiant. Le coroscanner permet de dépister de l’athérome simple mais également des sténoses plus ou moins importantes. Bien évidemment, en cas de sténose significative d’une artère coronaire au Coroscanner, l’urgence ne sera pas de programmer une coronarographie mais de compléter les explorations par un test d’ischémie localisateur (IRM cardiaque de stress, échographie cardiaque de stress ou scintigraphie).

L’ECG d’effort simple n’a plus vraiment sa place pour la détection de l’ischémie dans les recommandations 2019.

De façon intéressante, l’étude ISCHEMIA qui vient d’être présentée à l’AHA, dans la lignée de l’étude COURAGE publiée dans le NEJM en 2007, montre l’absence de différence significative dans la survenue d’événements CV durs entre le groupe traitement médical optimal seul et le groupe traitement médical et angioplastie. Mais, comme dans l’étude COURAGE, un quart des patients du groupe traitement médical seul ont finalement eu une angioplastie qui a permis d’améliorer leurs symptômes. Les auteurs d’ISCHEMIA concluaient que les patients symptomatiques étaient ceux qui bénéficiaient le plus d’une angioplastie en complément de la thérapie médicale optimale et ce sur le plan symptomatique.

Une prise en charge globale reste essentielle
Enfin, la prise en charge d’un patient en prévention primaire ne concerne pas que la baisse de son LDL cholestérol mais également l’équilibre de tous les facteurs de risque cardio-vasculaire sur lesquels on peut agir. Il faut donc soigner l’alimentation, normaliser le poids (IMC de 20 à 25 kg/m2), augmenter généralement l’activité physique (objectif fixé par l’ESC entre 2h30 et 5h par semaine), équilibrer la pression artérielle si ce n’est pas le cas, traiter de façon optimale le diabète sous-jacent s’il y en a un et bien évidemment arrêter de fumer chez les patients tabagiques (Figure 3).


Figure 3 : Recommandations ESC 2019 pour la prise en charge globale du patient en prévention CV

Le rôle des médecins généralistes dans la prévention primaire des événements cardiovasculaires
Les médecins généralistes sont en première ligne pour initier le dépistage et la prévention CV des patients. Ce sont eux qui les voient régulièrement en consultation pour différents motifs. Le patient ne viendra généralement pas leur réclamer ce dépistage. Il est donc souhaitable que le médecin traitant le propose spontanément aux hommes à partir de 40 ans et aux femmes à partir de 50 ans et de façon plus précoce si d’autres FDRCV sont associés.

Le rôle du cardiologue
Il apparaît tout à fait justifié que le médecin généraliste prescrive d’emblée les examens de dépistage nécessaires mais il peut également recourir à un cardiologue. En tout état de cause, le médecin traitant a toutes les clés en main pour dépister de façon efficace les maladies CV chez ses patients et parfois leur sauver la vie.

Si des lésions sont identifiées, le médecin traitant pourra initier la thérapie préventive et le patient devra systématiquement voir un cardiologue, notamment pour discuter d’une prise en charge interventionnelle ou chirurgicale.

Messages clés
Il faudrait dépister tout homme ≥ 40 ans ou femme ≥ 50 ans ou davantage pour la recherche d’athérosclérose. La recherche peut être plus précoce si le risque CV est élevé notamment si présence de FDRCV majeurs (tabac, diabète, HTA, dyslipidémie +/- hérédité).

  • Les outils recommandés par l’ESC pour le dépistage et la stratification du risque sont l’évaluation du risque global notamment avec l’échelle imparfaite de risque SCORE et avec 2 examens de première intention : le Doppler des TSA et des Artères des Membres Inférieurs ainsi que le Score Calcique coronaire.
  • Le Coroscanner est plus performant pour le dépistage des plaques d’athérome que le Score Calcique coronaire seul. Cependant, nous manquons encore de données scientifiques pour le moment pour l’intégrer dans les arbres décisionnels de l’ESC.
  • Les patients en prévention primaire porteurs de plaques d’athérome à quelque étage que ce soit doivent bénéficier d’un traitement par statine +/- ezetimibe avec des objectifs plus ambitieux que précédemment de LDLc : objectif < 0.70 g/L si « haut risque cardiovasculaire », objectif LDLc < 0.55 g/L si « très haut risque cardiovasculaire » ou si coronariens avérés (stentés ou pontés), objectif LDLc < 0.40 g/L chez les patients récidivant un épisode vasculaire dans les 2 ans.
  • Les règles hygiéno-diététiques sont systématiques pour tous.
  • Envisager les Anti-PCSK-9 injectables si les patients sont intolérants aux statines ou si les objectifs ne sont pas atteints sous dose maximale tolérée de statine +/- ezetimibe.

Article paru dans la revue “Collèges des Cardiologues en Formation” / CCF N°10

Publié le 1653409511000