F. Maigret (1), G. Gargala (2), S. Ghomadi (3), A. Regnier (4), G. Riachi (1)
(1) Service de Gastro-entérologie et hépatologie, CHU Rouen.
(2) Laboratoire de parasitologie-mycologie, CHU Rouen.
(3) Service de radiologie, CHU Rouen.
(4) Service d'anatomie et de cytologie pathologiques, CHU Rouen.
Nous présentons le cas d'une femme de 42 ans, suivie pour hépatite B chronique, chez qui un bilan de contrôle a révélé une cholestase anictérique et une cytolyse hépatique asymptomatique. Les imageries ont révélé une dilatation des voies biliaires intra-hépatiques avec un obstacle endocanalaire.
Malgré des marqueurs tumoraux normaux, un carcinome hépatocellulaire a été évoqué. L'analyse histologique des biopsies réalisées a permis d'écarter l'hypothèse d'un obstacle d'origine maligne et a révélé la présence d'éléments parasitaires correspondants à des oeufs de bilharzies comme étant la cause de l'obstacle biliaire et justifiant un traitement par praziquantel. Ce cas souligne l'importance d'une évaluation approfondie et d'une prise en charge adaptée des patients présentant des anomalies hépatiques, en tenant compte d'une gamme étendue de diagnostics différentiels.
Introduction
La bilharziose ou schistosomose est une affection parasitaire tropicale due à des vers plats trématodes du genre Schistosoma (S.) qui vivent dans le système vasculaire veineux. Le facteur de risque de contracter une schistosomose est le contact de la forme larvaire du parasite avec la peau par l'intermédiaire d'eau contaminée dans les zones d'endémie. Après au minimum 2 mois, les larves gagnent le système veineux mésentérique et se transforment en adultes (mâles, femelles) qui s'accouplent. Les vers adultes s'installent classiquement dans les plexus veineux vésicaux (S. haematobium), péri-coliques et péri-rectaux (S. Mansoni, S. intercalatum) ou mésentériques supérieurs (S. japonicum, S. mekongi).
L'espèce Schistosoma (S.) mansoni est responsable d'une bilharziose intestinale et parfois hépatosplénique. Les œufs pondus embolisent la paroi du côlon ou du rectum et sont éliminés dans le milieu extérieur via les selles où se poursuit le cycle du parasite. L'atteinte hépatique est généralement dûe aux oeufs embolisés dans le foie où la réponse inflammatoire granulomateuse induit une inflammation pré-sinusoïdale et une fibrose périportale. L'atteinte des canaux biliaires et pancréatiques est un phénomène très rarement décrit et il s'agit dans la plupart des cas d'une constatation histopathologique1.
Résultats / Observations
Nous rapportons le cas d'une patiente de 42 ans née en France de parents sénégalais. Elle séjourne au Sénégal une fois tous les deux ans et elle est suivie pour une hépatite B chronique sans signes fonctionnels. Sous traitement antiviral, le bilan hépatique était normal. Le dernier bilan de suivi a révélé, des perturbations du bilan hépatique avec une cholestase anictérique (GGT 1800UI/ml, PAL 456 UI/ml, bilirubinémie normale) associée à une cytolyse prédominante sur les ALAT (ASAT 90UI/ ml, ALAT 122UI/ml).
Une échographie de septembre 2023 ne montrait pas d'anomalie du parenchyme hépatique mais une dilatation des voies biliaires intra-hépatiques en amont d'un obstacle de 11 mm de diamètre centré sur la convergence biliaire supérieure. La bili-IRM en octobre 2023 a permis de mettre en évidence un obstacle tissulaire endocanalaire de 9 mm en regard de la convergence biliaire supérieure associée à une dilatation des voies biliaires intra-hépatiques. Le parenchyme hépatique était homogène sans lésion suspecte (fig. 1).
Les marqueurs tumoraux n'étaient pas significatifs (AFP 2 ng/mL, CA 19-9 21.2 U/mL, ACE 2.8 ng/mL).
En novembre 2023, après étude du dossier en RCP d'oncologie digestive, un doute sur un CHC a été évoqué devant le caractère hypervasculaire avec un doute sur un lavage au temps portal. Une biopsie par voie percutanée et endo-biliaire ainsi qu'un PET TDM au FDG ont été préconisés.
L'écho-endoscopie n'a pas permis de visualiser les lésions. La CPRE fut non contributive.
Le PET TDM n'a quant à lui pas retrouvé d'hypermétabolisme au niveau hépatique ou biliaire (fig 1).
En décembre 2023, un drainage radiologique avec biopsie endo-canalaire et pose d'un drain interne-externe ont été réalisés.
Les examens anatomopathologiques (cytologiques et histologiques) n'ont pas retrouvé d'anomalies suspectes de malignité. L'analyse des fragments biopsiques a par ailleurs permis de révéler au sein d'un tissu fibreux et mêlés à des structures vasculonerveuses, des éléments correspondants à des œufs calcifiés de schistosomes (fig. 2). L'espèce de Schistosoma impliquée n'a pas pu être déterminée par biologie moléculaire et les techniques de PCR spécifiques se sont révélées négatives, probablement du fait de la faible concentration des œufs dans les tissus biopsiés.
À noter qu'une sérologie du 11/10/23 a révélé la présence d'anticorps sériques anti-Schistosoma sp. Par technique ELISA (Novalisa) dont la spécificité a été confirmée par technique de western blot (LDBio).
Par ailleurs, les examens parasitologiques des selles et des urines se sont révélés négatifs.
L'évolution clinico-biologique fut favorable et un traitement par praziquantel fut introduit.
Figure 1 : De gauche à droite. TDM en coupe coronale (A) puis transversale (B) : nodule tissulaire hétérogène de 15mm au contact de convergence biliaire supérieure. IRM en coupe transversale (C) séquence T2 fat-sat : nodule hypointense.
Sur le PET-TDM en coupe transversale (D) : absence de fixation pathologique.
Figure 2 : Coupe de la biopsie du nodule à développement endo-biliaire colorées à l'Hemalun Eosine Safran (HES) :présence d'éléments évoquant des oeufs calcifiés de Schistosoma, grossissement x200 (A), et grossissement x400 (B).
Discussion
Une atteinte hépatique peut être observée au cours de la bilharziose à S. mansoni, généralement due aux oeufs embolisés dans le foie où la réponse inflammatoire granulomateuse induit une inflammation pré-sinusoïdale et une fibrose périportale2,
3. Etant donné que les parasites adultes naviguent dans les veines spécifiques à chaque organe et larguent leurs oeufs dans les veines collatérales des organes impactés, d'autres organes que le côlon, le rectum ou le foie peuvent être touchés par propagation locale et hématogène des oeufs de S. mansoni et notamment, mais rarement, les canaux biliaires et pancréatiques4. Il n'existe pas de preuve claire de la contribution de la parasitose à l'obstruction chronique des voies biliaires et/ou de la vésicule biliaire. La présence chez notre patiente de cette formation appendue dans la voie biliaire et l'obstruant est le reflet de la réponse inflammatoire granulomateuse et immunitaire vis-à-vis des œufs de schistosomes. Bien que le dépôt d'œufs de Schistosoma au sein des voies biliaires peut conduire à une obstruction voire une cholécystite, ces phénomènes restent spéculatifs5, 6, 7, 8, 9, 10.
Nous décrivons ici le cas d'une patiente ayant présenté une cholestase anictérique et une cytolyse, une dilatation des voies biliaires intra-hépatiques due à un obstacle tissulaire et, bien que les marqueurs tumoraux ne soient pas significatifs, soulevant un doute sur la présence d'un carcinome hépatocellulaire ou d'un cholangiocarcinome. Les investigations n'ont pas révélé de malignité, mais ont montré des structures évocatrices de bilharziose. L'origine ethnique de la patiente avec de nombreux séjours au Sénégal, la présentation clinique, la chronologie des événements et les résultats histopathologiques associés à une sérologie de schistosomose positive ont fortement étayé l'association entre obstruction de la voie biliaire principale et schistosomose. À notre connaissance, aucune publication ne rapporte la mise en évidence histopathologique de dépôt d'œufs de schistosomes dans la voie biliaire principale comme celle observée dans le cas présent.
Il s'agit d'une constatation histopathologique importante et, en conséquence, le diagnostic de schistosomose des voies biliaires doit être évoqué, notamment en préopératoire chez les patients ayant vécu dans une zone d'endémie de la schistosomose et qui ont développé des symptômes suggérant une obstruction et/ou sténose des voies biliaires. Cette éventualité doit conduire à la réalisation de tests biologiques diagnostiques de la schistosomose, idéalement une sérologie et une recherche des œufs dans les selles et dans les urines. Le traitement de choix dans le cas de la schistosomose est le praziquantel mais il n'est actif que sur les vers adultes et l'atteinte due aux oeufs ne sera sensible qu'aux anti-inflammatoires stéroïdiens (c'est notamment le cas au cours de la neuro-schistosomose), voire éventuellement à la chirurgie si des phénomènes obstructifs sont présents comme dans notre cas. La dose recommandée de 40 mg/kg a été administrée à l'hôpital après le diagnostic, avec une dose répétée deux à trois semaines plus tard11.
Conclusion
Bien que très rare, ce cas clinique souligne l'importance de la schistosomose comme diagnostic différentiel lors de la découverte de sténoses des voies biliaires et/ou pancréatiques et met en évidence l'importance de considérer les étiologies parasitaires dans l'évaluation des anomalies hépatiques, en particulier chez les patients ayant séjourné dans les régions d'endémies.
Déclaration de liens d'intérêts : Les auteurs ne déclarent aucun conflit d'intérêt.
François MAIGRET
Un grand merci au Dr RIACHI et au Dr GARGALA pour la relecture et mes remerciements aux Dr GHOMADI et au Dr REGNIER pour leur aide.
Références
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