Nouvelles recommandations ESC 2018 : hypertension artérielle

Publié le 24 May 2022 à 12:34

 

Auteur
Nathan EL BEZE
Interne à Paris

Relecture
Adrien PASTEUR-ROUSSEAU
Cardiologue libéral – Institut Coeur
Paris Centre

Introduction

Les nouvelles recommandations européennes concernant l’hypertension artérielle, publiées conjointement par l’ESC et l’ESH lors de la session d’été 2018 à Munich, étaient particulièrement attendues, suite aux chamboulements récents internationaux provoqués ces dernières années par la publication des résultats de l’étude SPRINT, ainsi que l’adoption par l’American Heart Association de nouveaux seuils de définition de cette pathologie.

Pour rappel, l’étude SPRINT, source de nombreuses discussions sur lesquelles nous ne reviendrons pas dans cette mise au point, a influencé l’AHA dans sa décision de baisser les seuils de définition de l’hypertension artérielle. Cependant, au niveau européen, les définitions restent les mêmes en ce qui concerne le seuil diagnostique, mais ces nouvelles recommandations introduisent des nouveautés notables.

Dépistage de l’HTA
En ce qui concerne le dépistage, chaque adulte > 18 ans doit avoir sa pression artérielle (PA) mesurée avec des mesures qui sont à répéter tous les 5 ans, et de manière plus rapprochée en cas de « high-normal blood pressure ». En pratique, reste à définir précisément qui réalisera cette mesure (généraliste ? pharmacien ? médecin du travail ?).

Définitions de l’HTA
Concernant les définitions de l’hypertension artérielle, les seuils n’ont pas changé par rapport aux anciennes recommandations :

Rôle croissant de la mesure de la PA à domicile : MAPA et AMT
Aujourd’hui, la meilleure recommandation est d’étayer le diagnostic d’HTA par une mesure ambulatoire de la pression artérielle (MAPA) ou une auto-mesure tensionnelle (AMT) que le patient réalisera avec son propre tensiomètre à domicile (qui n’est pour l’heure pas remboursé en France) dans des conditions standardisées. L’avantage de la MAPA est son caractère standardisé et automatisé avec la possibilité d’établir des moyennes tensionnelles et des pourcentages de dépassements systoliques ou diastoliques ainsi que la possibilité de dépister l’HTA nocturne (qui doit d’ailleurs faire suspecter et rechercher une apnée du sommeil).

L’avantage de l’AMT est de coûter moins cher à la société au prix d’une variabilité d’une part dans le nombre de mesures que les patients vont faire et d’autre part dans ce qu’ils vont noter dans leur carnet de suivi et elle ne permet par ailleurs pas d’obtenir de moyennes ni de taux de dépassements tensionnels. Evidemment, la mesure des PA nocturnes n’est pas possible (les recommandations précisent que des appareils permettant de prendre la PA nocturne sont en développement). Elle a pour principaux avantages le fait d’impliquer de façon active le patient dans sa prise en charge entraînant une amélioration de l’observance thérapeutique, une plus grande accessibilité pour le suivi des chiffres tensionnels sous traitement, et le fait de donner une idée de la variabilité tensionnelle sur plusieurs jours.

Il faut également noter que les mesures ambulatoires (MAPA et AMT) permettent de diagnostiquer une HTA masquée (chiffres tensionnels normaux en consultation mais non au domicile du patient), qu’il faut savoir suspecter en cas de chiffres tensionnels limite hauts, ainsi qu’en cas d’atteinte d’organes cibles.

Cependant, les mesures ambulatoires n’étant pas encore universellement réalisables, il reste toléré de traiter un patient uniquement sur la base de deux mesures de la pression artérielle (PA) supérieures à la normale lors de plusieurs consultations. Evidemment cela implique de traiter des patients ayant uniquement un effet blouse-blanche, qui ne peut être diagnostiqué sans mesure ambulatoire. 

La pression artérielle « normale haute » : nouveauté de ces recommandations
Pour ne pas totalement couper avec les recommandations américaines, la notion de « high normal blood pressure », c’est-à-dire une PA « normale haute » > 130/80 mmHg, est mise en exergue dans les recommandations européennes.

En effet, les recommandations 2018 insistent sur la nécessité d’une part de réaliser une MAPA ou au moins une AMT chez les patients présentant une PA entre 130 et 139 mmHg pour la systolique et entre 80 et 89 mmHg pour la diastolique (afin de dépister une HTA masquée), et d’autre part introduisent la recommandation de traiter via des mesures non médicamenteuses un patient ayant une « high normal blood pressure », voire avec des médicaments s’il est à haut risque cardiovasculaire.

Quid de l’HTA « blouse blanche »
En ce qui concerne les patients ayant une « HTA blouse blanche » il est recommandé de commencer par des règles hygiéno-diététiques (RHD) et éventuellement de les traiter s’ils sont à haut risque cardiovasculaire ou s’ils ont un retentissement viscéral de l’HTA.

Redéfinition à la baisse des objectifs tensionnels
Une des autres modifications majeures, et qui se rapproche des recommandations américaines, est la redéfinition de l’objectif tensionnel, qui vise à obtenir une PA ≤ 130/80 mmHg chez la plupart des patients ; seulement si le traitement est bien toléré initialement (cliniquement et biologiquement).

Pour les sujets âgés > 65 ans, l’objectif tensionnel est plus élevé c’est-à-dire ≤ 140 mmHg de systolique. Pour les sujets de 80 ans, le seuil d’intervention est retenu à 160 mmHg de systolique ou 90 mmHg de diastolique, avec un objectif de 140 mmHg pour la systolique et 90 mmHg pour la diastolique, en insistant sur la tolérance du traitement.

Objectif tensionnel systolique en fonction des situations
(NB : l’objectif diastolique est de 70-79 mmHg pour tous les patients).
 

Les auteurs soulignent également l’importance de ne pas atteindre une PA systolique trop basse (< 120 mmHg).

Comment atteindre les objectifs tensionnels ?
Pour évaluer la réponse aux thérapies anti-hypertensives, la mesure clinique reste la référence car c’est celle utilisée dans la littérature, en l’absence de données fiables pour la mesure ambulatoire, issues d’essais cliniques randomisés.

Concernant les mesures hygiéno-diététiques, il est rappelé qu’elles peuvent retarder l’introduction d’un traitement, voire être suffisantes (ceci uniquement pour les hypertensions de grade 1 chez un patient à risque cardio-vasculaire faible ou modéré). Elles augmentent également l’efficacité des médicaments ainsi que leur tolérance.

La restriction sodée recommandée chez les hypertendus est fixée à 5 grammes par jour (une cuillère à café par jour). Ceci est difficile à évaluer autant pour le praticien que pour le patient mais il faut probablement en déduire qu’une consultation chez un médecin nutritionniste ou un diététicien pourrait être recommandée chez ces patients.

Point crucial de l’(in)observance
Un autre point critique soulevé par ces recommandations est la problématique de l’observance. Chez les hypertendus, on estime une bonne observance chez 50 % des patients, voire moins. Il faut savoir rechercher et dépister l’inobservance thérapeutique qui est extrêmement fréquente dans cette maladie asymptomatique et dans laquelle les patients sous-estiment les risques à long-terme pour leur santé. Les recommandations rappellent que le contrôle tensionnel est atteint chez uniquement 50 % des patients.

On retient plusieurs axes pour améliorer l’observance :

  • Une meilleure éducation thérapeutique de la part du médecin (chronophage donc difficile à mettre en place en pratique).
  • Une simplification thérapeutique (la trithérapie en un comprimé, non disponible en France, est encouragée).
  • La mise en place d’un système de monitorage de l’observance de la part du système de santé et potentiellement du médecin.

Les recommandations mettent également en avant le rôle des paramédicaux dans l’accompagnement des patients hypertendus. L’infirmier et le pharmacien ont un rôle central dans l’éducation du patient. De plus, ce temps d’éducation sur le plan thérapeutique et physio- pathologique, s’il est bien fait, peut diminuer le temps passé par le médecin en consultation à transmettre ces connaissances.

Prise en charge thérapeutique de l’HTA
Sur le plan de la prise en charge thérapeutique, une vraie (r)évolution réside dans l’encouragement à la prescription initiale d’une bithérapie associant deux molécules à faible dose, habituellement sous la forme d’un seul comprimé deux en un. Ceci est d’autant plus vrai chez les patients ayant une HTA au-delà du grade 1 c’est-à-dire avec une pression artérielle systolique > 160 mmHg chez lesquels la monothérapie est habituellement insuffisamment efficace et où l’augmentation des doses amène plus rapidement des effets secondaires qu’une meilleure efficacité. L’augmentation du traitement jusqu’à sa dose maximale avant de passer à la bithérapie n’est pas encouragée.

En effet, la bithérapie en une seule prise (« single pill ») a prouvé son efficacité dans l’amélioration de l’observance (en simplifiant la prise médicamenteuse ainsi qu’en réduisant les effets indésirables par rapport à la monothérapie forte dose). L’association initiale préconisée est un bloqueur du système rénine-angiotensine- aldostérone (ARA II ou IEC) associée à un diurétique thiazidique ou un inhibiteur calcique.

Attention : Ne pas oublier cependant que les IEC, les ARA II et les diurétiques faussent les dosages pour la recherche d’une HTA secondaire si cette recherche est nécessaire chez le patient !

Pour les HTA grade I, c’est-à-dire entre 140 et 160 mmHg de systolique, on peut discuter l’initiation de RHD dans un premier temps (alimentation, sport, perte de poids, stress) si le risque cardiovasculaire et faible à intermédiaire et s’il n’y a pas de retentissement viscéral de l’HTA. Un contrôle à 3 mois permet de trancher entre poursuite des RHD ou initiation du traitement médicamenteux. Chez les patients traités d’emblée, le délai de 3 mois pour atteindre l’objectif tensionnel est recommandé.

Le traitement médicamenteux de l’HTA résistante doit comprendre la Spironolactone qui est une molécule de choix en addition au traitement pré-existant. Si le patient est intolérant, l’Eplérénone ou l’Amiloride sont indiqués, ainsi que la majoration des diurétiques.

Ensuite on peut discuter l’adjonction de Bisoprolol et en dernier lieu de Minoxidil (Lonoten®) sous stricte surveillance clinique et biologique.

Enfin, les thérapeutiques interventionnelles de l’HTA comme la dénervation rénale ne sont pas recommandées (grade III) en attendant les résultats des études en cours.

Seuils d’intervention thérapeutique
Chez la femme enceinte, le seuil d’intervention thérapeutique est abaissé à 150 mmHg de systolique ou 95 mmHg de diastolique, voire 140 mmHg ou 90 mmHg si hypertension gestationnelle (apparaissant après 20 semaines d’aménorrhée), ou atteinte d’organes ou symptômes d’hypertension.

Lors d’un AVC, même hémorragique, il n’est pas recommandé une diminution rapide de la pression artérielle (alors que la prise en charge actuelle en cas d’AVC hémorragique repose sur une normalisation très rapide de la PA). Une PA systolique élevée jusqu’à 220 mmHg est tolérée dans ce cas.

  • Conservation des seuils de pression artérielle sans traitement : « optimale » < 120/80 mmHg, « normale » entre 120-129/80-84 mmHg, « normale haute » entre 130-139/85-89 mmHg et HTA à partir de 140/90 mmHg.
  • Seuils d’HTA en mesure ambulatoire à 130/80 mmHg en moyenne pour une MAPA et à 135/85 mmHg pour une auto-mesure tensionnelle.
  • Dépistage recommandé de l’HTA tous les 5 ans chez les adultes à partir de l’âge de 18 ans.
  • Indication à un traîtement des patients ayant une PA « normale haute » si haut niveau de risque cardiovasculaire.
  • Bithérapie d’emblée si HTA grade 2 ou 3 et rapidement si inefficacité d’une monothérapie pour les HTA grade 1.
  • Objectif tensionnel ≤ 130/80 mmHg chez la plupart des patients avec une tolérance plus élevée chez les insuffisants rénaux et les personnes âgées. Insistance sur le rôle crucial de l’observance avec l’éducation thérapeutique et les règles hygiéno-diététiques.
  • En termes de thérapeutique, garder le schéma initial IEC ou ARA II + inhibiteur calcique ou diurétique thiazidique puis considérer la Spironolactone avant les bétabloquants (et les alphabloquants). En dernier recours, le minoxidil peut être essayé sous surveillance rapprochée.

Référence

ESC Clinical Practice Guidelines 2018, ESC/ESH Arterial Hypertension, Reference European Heart Journal : doi/10.1093/ eurheartj/ehy339.

Article paru dans la revue “Collèges des Cardiologues en Formation” / CCF N°5

Publié le 1653388497000