Durant ce mois d’août j’ai reçu le message suivant :
Bonjour M. SALENGRO,
À 10:55, a.. m… a écrit : Je me permets de vous contacter ce jour car je souhaiterai obtenir votre avis sur l’avenir de la médecine du travail.
Pensez-vous qu’à plus ou moins long terme (avec la loi travail qui vient d’être récemment validée et qui simplifierait les visites de médecine du travail avec notamment la suppression de l’aptitude... ), les futurs gouvernements de France pourraient voter une loi qui ordonnerait la suppression définitive de la spécialité « médecine du travail » ? De ce fait, les médecins du travail en cours d’activité pourraient potentiellement être licenciés des services de santé au travail ? Si jamais c’est le cas, devons-nous, les médecins du travail, commencer à débuter de nouvelles formations autres que celle que nous avons validée en médecine du travail, afin de pouvoir nous « reclasser » à un poste auquel nous aurions toute « légitimité » à pratiquer ? En attente de votre réponse, je vous remercie vivement de l’intérêt que vous pourrez porter à mon message. Respectueusement. NB : je souhaite interroger le CISME à ce sujet. 11:04
Dr Bernard SALENGRO
Expert confédéral CFE-CGC
Pôle santé au travail, conditions de travail, handicap
Président du syndicat CFE-CGC santé au travail
Auquel j’ai répondu par ce message :
Je comprends d’autant mieux votre inquiétude que j’ai eu la même dans les années 85 lorsque est sorti le livre blanc du bâtiment dont les conclusions étaient celles de cette récente loi.
Jeune médecin, criblé de dettes pour l’achat de ma maison, je me suis mis fiévreusement à passer force diplômes : médecine aéronautique, médecine du sport, réparation du préjudice corporel, etc. ; pour pouvoir remettre ma plaque de généraliste si besoin, ce que l’on pouvait faire plus facilement à l’époque.
Je m’en souviens d’autant plus que le Dr Pardon, un responsable du CISME de l’époque, revenant d’un congrès international avait proclamé qu’une médecine qui existait par une loi pouvait disparaitre par une loi !
Ceci dit, passé ces quelques moments, j’ai cherché comment se défendre et comment agir et me suis retrouvé avec quelques confrères dans le même état d’esprit et nous avons occupé les lieux de parole officiels en même temps que les média par le biais du vecteur syndical à la CFE-CGC, les cadres comprenant assez bien les problématiques des médecins.
On peut dire que par notre combat nous avons gagné trente ans ! Non seulement nous avons gagné trente ans mais en plus on a compris comment ce système fonctionnait et comment faire du lobbying efficace.
On a eu des contacts qui nous permettent maintenant de faire la différence entre les attentes des employeurs et de leurs représentants (Medef, CGPME et UPA) et les attentes du CISME qui ne représente que les attentes des dirigeants de services de santé au travail, je peux vous dire que ce ne sont pas les mêmes. Le CISME n’a pas d’entrée dans les instances officielles que sont le COCT, les différentes instances de direction des institutions nationales telles que l’INRS, la Sécurité sociale (maladie et AT), l’EUROGIP, l’OPPBTP, l’AGEFIPH, le CNCPH, l’ANSES, l’ANACT et j’en oublie, leur écoute au niveau ministériel n’existe que par le manque d’investissement qui est en train de se corriger des instances officielles des employeurs et par leur capacité financière.
Certes le CISME essaie de conserver la survie des services et donc sont prêts à présenter toutes solutions pour faire croire aux politiques que cela peut fonctionner sans beaucoup de médecins. C’est tout le sens de leur lobbying auprès de la loi de simplification de M. Macron que l’on a réussi à bloquer.
Malheureusement, quelques universitaires qui connaissent mal la réalité des enjeux et du terrain, qui viennent souvent d’autres spécialités et qui ont très peu exercé promeuvent les idées du CISME, on en a vu des exemplaires avec le rapport ISSINDOU et les déclarations universitaires abracadabrantesque au dernier congrès.
Cependant les employeurs et leurs représentants officiels (des organisations reconnues représentatives) ont une tout autre vision des choses et disent ne pas pouvoir envisager la santé au travail sans médecins du travail, quant aux techniciens, ils en ont dans les entreprises et n’en réclament pas dans les services. Au point que certains réclament une cotisation double, l’une pour la prestation médicale obligatoire et l’autre pour la prestation technique pour ceux qui la veulent !
C’est la position surtout des industriels mais d’autres verraient sans état d’âme la disparition du système.
Le contexte Européen est très varié, mais partout il y a quelque chose au point de vue santé au travail (il y a plus de médecins du travail en Allemagne qu’en France, ils dépendent de l’État en Italie, ils sont numériquement inférieurs par rapport aux techniciens dans les pays nordiques, etc.) qui est mis en place d’autant que des textes européens l’exigent, mais ces textes sont des minima et non des objectifs comme peuvent le présenter certaines déclarations universitaires ubuesques au dernier congrès.
En conclusion, je dirai qu’il ne peut pas ne pas y avoir de santé au travail, à une époque où explosent les risques psycho-sociaux et ce n’est pas fini, où apparaissent tous les jours de nouveaux produits chimiques toujours plus pointus jusqu’aux nanomatériaux.
Maintenant, quelle forme prendra-t-elle c’est difficile de prévoir. La loi El Khomri devrait bouleverser le fonctionnement des services par la baisse de l’activité consacrée aux visites médicales, y aura-t-il transfert vers la prévention primaire ? Le moins disant étant une règle commune des dirigeants de service, il n’est pas sûr que les médecins s’y retrouvent. Certes il y aura toujours quelques médecins, mais il est probable que les structures se modifient.
Cela pourrait fonctionner dans le giron de la sécurité sociale comme c’est le cas pour les médecins de la MSA et comme le réclame la CGT, cela peut se faire dans des grands services régionaux dans lesquels les directions et présidences seraient un peu plus professionnels, cela peut être dans le giron de l’État même si ce n’est pas très en vogue actuellement ; d’autres l’envisagent sous forme expertale ! La CFDT a longtemps mis l’accent sur une préférence pour des préventeurs syndicaux, je ne sais pas si c’est encore leur position tandis que FO est pour le retour au fonctionnement tel que avant les réformes successives. Pour la CFE-CGC on est plutôt pour le maintien des structures actuelles mais avec un contrôle plus sérieux que n’est l’actuel agrément et par le biais d’une gouvernance réellement paritaire.
Il est probable que les grandes entreprises maintiendront une médecine du travail, on a d’ailleurs vu une fuite importante de médecins de services interentreprises attirés par les services autonomes qui veulent maintenir ce service.
Cela dépendra aussi des jeunes médecins et de leur investissement dans la défense de cette spécialité qui est si intéressante pour ceux qui l’exercent et pour ceux pour qui c’est fait et qui s’est encore plus dynamisée avec l’introduction de l’équipe wpluridisciplinaire.
Je suis prêt si vous le désirez à vous informer de vive voix.
Dr B. Salengro
Médecin du travail
Président du syndicat CFE-CGC Santé au travail
(qui rassemble les acteurs des services de santé au travail)
Membre du COCT
Expert à la CFE-CGC
Article paru dans la revue « Syndical Général des Médecins et des Professionnels des Services de Santé au Travail » / CFE CGC n°54
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