Nos professions : IDEST ou infirmière en santé au travail

Publié le 30 May 2022 à 16:49


Évolution et perspectives possibles

L’historique
On l’oublie trop souvent mais bien avant les réformes des années 2000, et la loi de 1946 rendant obligatoire la médecine du travail, les infirmiers ont agi dans les entreprises. Ainsi, dès 1916, les premières surintendantes d’usine prodiguent les soins d’urgence et, surtout, font de l’accompagnement social auprès des ouvriers et des ouvrières. Introduit en 1953 dans les entreprises, le métier d’infirmier santé travail fait partie depuis lors des acteurs essentiels de la prévention, de l’évaluation des risques et du suivi de la santé des salariés.

Les évolutions récentes de la santé au travail
La santé au travail est actuellement à une période charnière de son évolution. Celle-ci a débuté depuis le début des années 2000 par les trois réformes d’importance qui ont jalonné son parcours.

Les différents Plan Santé Travail

  • Le premier plan santé travail (PST 2005-2009) avait pour objectif de réformer le dispositif national de prévention des risques professionnels. Son développement fut inégal sur le territoire et inachevé mais a eu le mérite de mettre en avant l’importance de passer d’une vision centrée sur les risques et leurs conséquences à une vision globale de promotion de la protection de la santé des travailleurs.
  • Le second plan santé travail (PST 2010-2014), souhaitait davantage promouvoir une santé publique faisant appel à une politique de prévention et d’anticipation des risques professionnels. Avec une prédominance accordée aux risques psychosociaux et aux risques émergents. Par ailleurs, il se voulait un renforcement de la prévention au sein des entreprises de moins de 20 salariés. Celui-ci a connu la réforme de la santé au travail de juillet 2011, qui a introduit la pluridisciplinarité dans le service de santé au travail et conduit au déploiement des équipes santé travail regroupant des compétences diverses : le Médecin du travail qui voit son rôle d’expert reconnu et qui coordonne désormais une équipe pluridisciplinaire composée d’Infirmier Santé Travail, des Intervenants en Prévention des Risques Professionnels et des Assistant en Santé et Sécurité au Travail. Cette réforme a permis l’introduction de l’Infirmier Santé Travail, dans tous les SSTI, en le positionnant en assistance du médecin du travail dans le suivi individuel des salariés. Cette réforme leur permet notamment de pratiquer des entretiens infirmiers pour le suivi périodique des salariés.
  • Le troisième plan santé travail (PST3 2016-2020), avait encore une fois une volonté d’apporter de l’innovation en inversant le paradigme classique porté sur la notion de réparation. Il voulait davantage faire de la prévention primaire une volonté politique majeure. Celui-ci a connu la réforme de la santé au travail (8 août 2016 appliquée au 1 janvier 2017), où une fois de plus le rôle de l’Idest est non seulement reconnu, mais aussi accru en lui permettant de mener des entretiens initiaux mais aussi intermédiaires chez des salariés considérés à risque du fait de leurs expositions professionnelles

Rappelons qu’ils doivent être inscrits au Conseil de l’Ordre des Infirmiers. À ce titre, ils exercent leur métier selon les règles professionnelles inscrites dans leur code déontologique et sont soumis au respect total du secret médical et professionnel, au même titre que les Médecins du Travail. Ils agissent selon des protocoles définis, écris en concertation avec les Médecins du Travail pour l’ensemble de leur activité et en réfère à ceux-ci pour des situations éventuelles dépassant le cadre réglementaire de leurs attributions.

Leur rôle dans les services de santé au travail
Le cœur de métier de l’Infirmier Santé Travail qui exerce en service de santé interentreprises (SSTI) est bien évidemment dédié à la prévention. Dans l’équipe pluridisciplinaire et sous le contrôle du médecin du travail, il contribue à la protection de la santé des salariés, au repérage des risques, à leurs traçabilités mais aussi préconise des axes d’améliorations.

Défini par le Code de santé publique et le Code du travail, le cadre d’exercice et le rôle des infirmiers en matière de prévention et d’éducation ont été renforcés et développés dans les services de santé au travail. Des missions qui s’inscrivent évidemment dans la collaboration avec les autres métiers des équipes santé travail pluridisciplinaires :

  • Le suivi de santé individuel des salariés, en assurant des entretiens individuels initiaux ou pour le suivi périodique en alternance avec les visites médicales. Pendant ces entretiens, l’infirmier santé travail informe et sensibilise le salarié quant aux risques liés à son métier et à son poste, délivre les conseils de prévention adaptés. Il oriente si besoin le salarié vers son médecin du travail ou son médecin traitant.
  • La réalisation des fiches d’entreprises et des études de postes, en identifiant les risques inhérents à l’activité collective ou individuelle dans les entreprises.
  • Mais aussi mener des études de postes dans le cadre d’un maintien dans l’emploi afin de surveiller que les restrictions données par le Médecin du Travail ont pu être mises en place dans l’entreprise.
  • Participer au CSSCT et proposer avec le médecin des ateliers de préventions en adéquations avec les problématiques d’une entreprise.
  • La participation aux actions en milieu de travail, en menant des actions d’information et de sensibilisation des salariés et des employeurs à la santé au travail et à la prévention des risques professionnels.
  • Le recueil d’informations pour la veille sanitaire et épidémiologique, en traçant les expositions des salariés en concertation avec le Médecin du Travail dans le DMST mais aussi en prenant part aux recherches, études et enquêtes nationales ou locales, en lien avec les médecins du Travail (Everest, Summer, …).

Le métier d’Infirmier en Santé au Travail se retrouve donc à tous les carrefours du suivi qu’il soit individuels ou collectifs, il est en contact permanent avec tous les acteurs (employeurs, salariés) et peut donc avoir une vision globale du suivi à adopter mais aussi des actions éventuelles à mener.

L’évolution envisagée par les derniers rapports et futur projet de loi
Cependant, il reste encore actuellement de trop grandes disparités dans « l’exercice de ces professionnels » sur le territoire et leur formation reste insuffisante pour une grande partie. Il serait utile que des précisions soient apportées sur le contenu, la durée et le niveau de formation. Le collège des enseignants de médecine du travail développe depuis la rentrée universitaire 2012 différentes filières de formation dans le cadre de licence généraliste ou professionnelle, ou dans le cadre de diplômes interuniversitaires. Mais la seule mention d’obligation à former, dans la loi El Komhri, ne permet pas une équité sur ces formations dispensées. Il faut réaffirmer cette nécessité de former à un niveau universitaire par une formation diplômante (au moins le Diust). Les Infirmiers En Santé au Travail doivent recevoir une formation complète sur les risques professionnels, les pathologies professionnelles et la réglementation. Des médecins souhaitant devenir spécialiste en Santé au Travail doivent passer par un cursus universitaire de 4 ans d’études pour valider cette spécialité. Comment concevoir alors qu’un infirmier diplômé d’État soit formé en quelques heures pour acquérir des connaissances suffisantes comme celle de la Santé au Travail ?

Et Demain
Le contexte économique et social de notre pays change progressivement la donne et impose, ou imposera, de faire des choix pour assurer le maintien des missions des services de santé au travail et la poursuite de l’action de prévention primaire des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail : de plus en plus de salariés en activité sur le marché à suivre, la sensibilisation accrue des employeurs et des pouvoirs publics à la nécessité de la prévention active des risques professionnels et la diminution constante de la population médicale créant une pénurie difficilement réversible malgré la suppression du numérus clausus.

La volonté de changement émanant notamment de la députée Charlotte PARMENTIER LECOCQ de moderniser la Santé au travail ont mené à des questionnements et des analyses profondes de notre système actuel. Même si certains avis et propositions de changements divergent, les différents rapports, que ce soit celui rendu par Charlotte LECOCQ (Députée du Nord), Bruno DUPUIS (Consultant senior en management), Henri FOREST (Ancien secrétaire confédéral CFDT) et Hervé LANOUZIERE (Inspection générale des affaires sociales), celui des Sénateurs ou enfin celui de l’IGAS, sont unanimes sur la nécessité de la montée en compétences des Infirmiers en Santé au Travail.

Qu’entend-on par pratiques avancées ?
« Le Conseil international des infirmiers a, en effet, proposé (à travers son réseau) une définition consensuelle, adoptée en 2002 : « Une infirmière de pratique avancée est une infirmière diplômée d’État ou certifiée qui a acquis les connaissances théoriques, le savoir-faire nécessaire aux prises de décisions complexes, de même que les compétences cliniques indispensables à la pratique avancée de son métier, pratique avancée dont les caractéristiques sont déterminées par le contexte dans lequel l’infirmière sera autorisée à exercer ». « Une formation de base de niveau Master est recommandée ».

« Avancée » : cette pratique est qualifiée d’avancée dans la mesure où elle se distingue de celles habituellement mises en œuvre par une infirmière généraliste. Cette distinction est liée au niveau d’expertise atteint dans un champ d’activité spécifique (diabète, maladie psychiatrique, santé de l’enfant, …) et éventuellement à la mise en œuvre d’activités situées en dehors du champ de compétence ouvert à une infirmière généraliste (telles que des activités qui relevaient antérieurement uniquement d’une compétence médicale). Le terme « avancée » se justifie par le fait que les soins maximisent l’utilisation d’un savoir infirmier approfondi et d’une compétence confirmée au service des besoins de santé des personnes, des familles, des groupes, des communautés et des populations. Le qualificatif « avancée » correspond à l’atteinte d’un haut niveau de maîtrise des compétences infirmières et à l’élargissement du champ de compétences possible dans le domaine du diagnostic de pathologie, de la prescription médicamenteuse ou d’examens paracliniques, dans le domaine du développement continu de la qualité et des compétences des soignants et/ou dans un domaine d’exercice spécialisé. » (Marie JARROT BARRERE | Thèse d’exercice | Université de Limoges | 2018).

Quelles missions pour les IPA en Santé au Travail à l’avenir ? Quelques pistes possibles entre autres à discuter

  • Ils pourraient prescrire des examens complémentaires afin d’effectuer le suivi d’un salarié, aujourd’hui encore trop souvent, l’IDEST est obligé de demander au médecin une prescription alors qu’ils pourraient aisément le faire, l’interpréter et orienter par la suite le salarié vers le Médecin du Travail s’il y avait besoin (ex : des sérologies …).
  • Ils pourraient mener des entretiens encore aujourd’hui dédiés au Médecin du travail tels que la reprise maternité, la visite d’embauche des salariés SIR (risques électriques, de conduite d’engins). Mais aussi, des visites de suivi plus spécifiques du salarié ayant des problèmes d’addictions ou de maladies chroniques pour les maintenir dans l’emploi en travaillant en concertation avec les services de maintien dans l’emploi…

Toutes ces prises en charges qui lui seraient déléguées, permettraient au Médecin du travail de se recentrer sur des problématiques requérant son expertise de médecin spécialiste. Tout comme les ophtalmologues ont su laisser des missions aux orthoptistes et aux opticiens, tout comme les gynécologues ont su laissé des nouvelles missions aux sages-femmes pour lutter contre la baisse démographique de leur spécialité, il est temps, si nous souhaitons conserver la Santé au Travail telle qu’elle existe aujourd’hui avec un suivi individuel de chaque salarié, de laisser les Infirmiers en Santé au Travail monter en compétences vers des pratiques avancées.

Article paru dans la revue « Syndical Général des Médecins et des Professionnels des Services de Santé au Travail » / CFE CGC n°63

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