Micro-Trottoir : Ce que les autres pensent de nous

Publié le 16 May 2022 à 23:08


Lointaine est l’image de l’accoucheur, muni de serviettes tièdes, d’une bassine et d’un simple tablier, posant ses mains expertes sur le ventre de femmes enceintes et les accompagnant pendant les couches. Toutes aussi passées, les fresques des grands obstétriciens français inventeurs d’instruments divers et variés, ingénieux et dérangeants, permettant l’extraction des nouveau-nés. Mais alors que Levret, Baudelocque, et Mauriceau, reposent bien glorieusement sous leurs épitaphes méritées, que pense-t-on aujourd’hui des gynéco-obstétriciens, des internes ? Et quelle représentation se fait-on de nous, au sein de la population médicale ??

Les premiers témoignages obtenus, assez aisément il faut dire, sont ceux des internes de médecine générale ; ces soldats souvent abandonnés aux hostiles urgences gynécologiques la journée dans la plupart des services parisiens. Pour eux, nous sommes des Jokers, sortes d’intermédiaires avant l’avis, rarement tendre, du chef. Mais ce n’est pas tout ! Notre présence permanente, notre mine fatiguée du lendemain de garde-sans-une-minute-desommeil, notre accoutrement décoré de liquides biologiques… leur rappellent exactement ce pourquoi ils ont choisi leur spécialité. La médecine est un sacerdoce, certes, mais pour eux, le rythme de la gynécologie est l’illustration même de l’absence de vie (simples pensées retranscrites) ; « Je n’aurais jamais pu faire ta spé ! »… récurrent et réconfortant discours ! Merci les gars !! Je citerai tout de même une amie dont la vision des choses m’a serré la gorge : « Quand on me parle d’interne de Gynéco, j’imagine une personne hyperactive, courant partout, malgré la fatigue… et qui néanmoins sait prendre le temps d’être empathique avec ses patientes ! D’ailleurs, c’est probablement la principale chose que je vous envie : cette relation tellement intime que vous mettez en place avec les femmes surtout en obstétrique… l’interne aide à donner la vie son enfant : et là, vous devenez inoubliable !! ».

Qu’en est-il des internes d’anesthésie, nos compagnons de garde ? Assez étrangement, nombreux sont les anesthésistes qui ont hésité avec la gynécologie et réciproquement. Bouffée d’adrénaline, gestes minutieux et techniques, réflexion multisystémique… les points communs ne manquent pas entre ces deux formations pourtant si différentes qu’elles en deviennent complémentaires. Oui mais voilà, l’interne de gynécologie hérite des consultations aux urgences en plus de son activité de salle. Alors lorsque l’on interroge l’anesthésiste au sujet des obstétriciens, il vous répond du tac-au-tac : « leurs gardes sont affreuses ! »

S’il y a des représentations aussi changeantes que la couleur des Croc’s, ce sont celles que se font les sages-femmes de nous. L’on verra de tout : des vertes, et des bien trop mûres ! Successivement, nous sommes à leurs yeux de jeunes coqs prétentieux et ignorants… puis des étudiants-mais-un-peu-plus à qui elles demandent conseil-mais-pas-trop… ou enfin, des compagnons de galères apportant une paire de menottes supplémentaires les soirs de pleine lune, un œil médical dans un dossier complexe, une aide lorsque le physiologique n’est plus au rendez-vous. Les sages-femmes ne comprennent pas toujours nos rythmes décousus (« ah, bah c’est encore TOI de garde ? »), nos repos sans réelle sécurité (« Que fais-tu encore là ? Tu ne rentres pas ?? »)… mais semblent compréhensives et soutenantes. Enfin pas toutes. Il demeurera toujours une minorité se moquant de tout ceci comme de leur première épisiotomie, et prête à vous lâcher un « oui mais tu l’as voulu ce travail ! »… Perspicace !

Beaucoup plus difficile à présent : comment les infirmières nous peignent-elles ? A dire vrai, les réponses que j’ai obtenues sont très variables. Pour certaines, nous sommes une sorte d’individus pieuvres lançant sans cesse 1000 et 1 bilans, nous déplaçant tels des tornades au son de notre bip de garde. Pour d’autres, nous faisons office de bébédoc qu’elles aiment épauler mais dont elles exigent une indéniable rigueur (chacun son métier après tout). Elles savent que nous sommes de précieux métaux encore malléables, et que leur anticipation est la bienvenue lorsque c’est le chaos. Quelquesunes d’entre elles laisseront même d’indélébiles traces tout au long de notre parcours, et nous feront oublier celles qui ne nous pardonneront jamais d’être médecin…

J’ai également obtenu les pensées de deux internes de psychiatrie. Au départ, mi-figue mi-raisin, on me répond que l’interne de gynécologie c’est celui qui ne fait pas la grève… Les récentes oppositions contre la loi Santé de M. Tourraine n’ont effectivement hélas pas glané beaucoup de soutien côté obstétrique. Puis c’est l’image de l’interne « garde-ator » qui est revenue dans leurs bouches. Globalement, c’est l’idée que les spécialistes médicaux se font des spécialistes chirurgicaux. Deux mondes à part.

Au total, nous sommes des internes multi-facettes, des diamants bruts : pas toujours très brillants, par encore bien taillés, mais de valeur et en devenir. Placés là où nous avons choisi d’être (avec tous les sacrifices que cela demande), pour certains nous gagnons malgré tout à être soutenus (un peu)…

Florie PIROT
Article paru dans la revue “Association des Gynécologues Obstétriciens en Formation” / AGOF n°10

L'accès à cet article est GRATUIT, mais il est restreint aux membres RESEAU PRO SANTE

Publié le 1652735280000