Mes premières fois en Obstétrique

Publié le 16 May 2022 à 23:10

"Incision !". Ça y est, je suis interne. Mon badge orange est devenu rouge. Les ordonnances sont à mon nom. On m'appelle pour des avis. Je dois prendre des décisions, seule. Je sors de l'hôpital à 20h et non plus à 13h. Je passe mes journées en pyjama. Je me lève et me couche à l'internat. Je n'ai plus qu'un seul bouquin de spécialité. Il y a un zéro de plus à la fin du mois. Mais les patientes me prennent toujours pour l'infirmière ou la sage-femme.

"C’est quoi ton métier ?" me demande ma cousine de 7 ans. "Je suis docteur pour les femmes" ai-je répondu rapidement. Dur dur d'expliquer ce métier : j'ai choisi de regarder la vie à travers un spéculum, de ne plus savoir lire un ECG, de n'utiliser que deux de mes dix doigts, de passer la moitié de mon temps en stérile, de suivre les femmes dans leur vie intime, de travailler dans l'urgence, dans le sang, dans la vie en puissance.

Premier jour, et là, il faut assurer, s'intégrer à l'équipe, comprendre que maintenant, tu peux et tu dois prendre des décisions. Au début, c'est assez compliqué. "Dis, je mets quoi comme traitement, le PV est revenu positif à Eyjafjallajökull ? ". "Allo chef ? Je ne trouve pas les ovaires". "Allo chef ? je ne suis pas sûre pour le col". "Allo chef ? On fait quoi, la dame saigne ?". "Chef, tu m'as encore piquée avec ton aiguille". "Docteur, mon bébé pleure tout le temps, je fais quoi ?". "Docteur, vous en pensez quoi vous de Leeloo ?". "Enceinte ? Non mais c'est pas possible, dites-moi que je rêve !". "Une fausse couche ? Non mais c'est pas possible, dites-moi que je rêve !". Puis ces éternelles consultations : "Vous prenez la pilule ? Non. Vous avez des rapports ? Oui. Vous avez un désir de grossesse ? Bah, non." dont tu feras ton lot quotidien jusqu'à la retraite.

Vient le moment des premières fois, ces grandes premières si excitantes, celles que tu attendais depuis tant d'années, celles dont l'idée même te faisait vibrer.

Ce moment où ton chef te place à gauche de la patiente sur la Césarienne, et cet instant, suspendu, où il te tend le bistouri. "Incision !" Ah quel kiff !

Ce moment où la sage-femme n'a plus besoin de vérifier ton toucher, et ne met plus ses gants quand c'est toi qui fais l'accouchement. Quand le père fond en larmes quand tu sors le bébé. Quand la patiente te regarde, toi, dans les yeux et te dit "merci mille fois".

Ce moment où tu prends tes ciseaux pour ta première épisio : un, deux, trois, allez je coupe ! Et ce moment où tu appliques consciencieusement ta méthode « un fil un nœud »,

Mais que tu la transformes en « un fil deux nœuds ». Ce moment où tu vois, pour la première fois en vrai, l'application de ton item 25 "hémorragie de la délivrance". Que tu comprends l'importance d'avoir un bon anesthésiste.

Que c'est toi qui mets ces fameux gants dont ta copine véto t'avait parlé, pour faire la RU.

Ce moment où c'est toi qui appelles le SAMU pour transférer une patiente.

Ce moment où, après une heure de musculation isométrique de ton bras gauche pour tenir la caméra, on te laisse manipuler en cœlio.

Ce moment, début d'une longue série, où tu poses un implant, un stérilet. Il n'y a pas de petits gestes. Ce moment où tu vois des cas insolites, tellement excitants que tu photocopies les clichés pour commencer ton "book".

Ce moment où tu vois des extractions et manœuvres et que ton chef te les fait faire à quatre mains en attendant de pouvoir les faire seule. Et cet instant où ton cerveau capte un peu plus chaque jour la 3D si complexe du bassin féminin

Bien entendu, il y a et aura aussi la première fois où tu pleures dans le couloir, la première fois que tu diagnostiques une mort fœtale, la première fois que tu aspires un embryon, la première fois que tu te mets à dos une sagefemme, la première fois que tu fais une erreur médicale, la première fois que tu te demandes si tu ne t'es pas trompé de voie, etc. Mais ces premières fois là ne valent pas la peine d'être écrites.

Interne depuis seulement quatre mois, je ne suis qu'au début de mes découvertes. J'ai néanmoins déjà repéré certains commandements qui me guideront dans mes prochaines premières fois :

Piqué c'est piqué Mieux vaut éviter, que réussir Il n'y a rien entre bien et nul, et ça, c'est nul En chirurgie, tout est une question d’exposition Il ne faut pas confondre urgence et précipitation En césarienne à complet, on incise toujours trop bas En obstétrique, tu fais ou tu fais pas, mais tu n'essayes pas Mieux vaut un bout de péritoine sur le grêle, qu'un bout de grêle sur le péritoine Quelle est la différence entre un chirurgien et Dieu ? Dieu ne se prend pas pour un chirurgien

J’ai tant de prochaines premières fois à venir, et tant de deuxièmes, troisièmes, ixièmes fois à vivre. Mais après tout, chaque moment n’est-il pas une première fois ?

Magalie BARBIER
Interne en premier semestre
Article paru dans la revue “Association des Gynécologues Obstétriciens en Formation” / AGOF n°10

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