Médiation et différends Interpersonnels ou Institutionnels en établis établissements Publics de Santé

Publié le 31 May 2022 à 16:37


Force est de constater que les relations humaines sont impliquées dans 90 % des activités de l’hôpital public.

L’hôpital est un milieu complexe, au service du patient, où exerce un grand nombre de professions dont les intérêts individuels, professionnels ou corporatistes peuvent diverger.

Les relations humaines ne bénéficient ni d’une sensibilisation, ni d’un enseignement au cours de la formation initiale des acteurs de l’hôpital. Le tutorat ou le compagnonnage ne sont pas institutionnalisés, les formations au cours de la vie professionnelle de type coaching comportementaux restent anecdotiques et utilisées comme traitement de situations identifiées.

La cohabitation de trois modèles différents de gestion des personnels : Fonction publique hospitalière, Agents publics sous statut d’exercice pour les praticiens hospitaliers, Fonction publique d’Etat pour les praticiens universitaires, induit des difficultés fonctionnelles le plus souvent liées à des méconnaissances (ou non reconnaissance) réglementaires.

L’hôpital est un milieu complexe, au service du patient, où exerce un grand nombre de professions dont les intérêts individuels, professionnels ou corporatistes peuvent diverger.

Les fondations culturelles du Directeur d’hôpital plutôt « littéraires », puis de son cursus de formation sont différents de celles du Praticien hospitalier plutôt « scientifiques ». Le dialogue entre eux est évidemment particulier, la valeur des mots n’est pas toujours la même, la place de l’accent tonique est différente. Il est indispensable d’en tenir compte quand le dialogue se tend.

Le directeur d’hôpital à plutôt un esprit de corps lié à sa formation et à sa gestion de carrière ; le Praticien hospitalier est plus individualiste. Ils ont bien sûr en commun leur adhésion forte à l’Hôpital Public et ses valeurs.

Si la culture hospitalière d’accueil converge vers le patient, elle ne bénéfice guère aux rapports des différents acteurs en particulier médicaux. Le code de déontologie régit les rapports des praticiens entre eux et en particulier l’absence de hiérarchie. Il ne peut exister qu’une autorité fonctionnelle permettant la réalisation des fonctions institutionnelles exercées (chefferie de service, chefferie de pôle, PCME…). Le système hiérarchique hospitalier est complexe car il est pluriel. La Fonction Publique Hospitalière a sa pyramide hiérarchique de la base jusqu’au Ministre, chaque échelon a autorité hiérarchique sur les échelons inférieurs.


Dr Alain JACOB

Les Praticiens Hospitaliers, agents publics sous statut national d’exercice sont nommés, gérés et sanctionnés par le Ministre et par délégation, par la directrice du CNG. Il n’y a pas d’autorité hiérarchique du directeur de l’établissement sur le praticien hospitalier. Il n’existe qu’une autorité fonctionnelle du Directeur, lui permettant d’organiser l’établissement de manière à atteindre les objectifs de fonctionnement.

Les PU-PH et MCU-PH fonctionnaires d’Etat sont soumis à la double autorité descendante des ministères de l’Enseignement supérieur et de la Santé.

Pour les contractuels la gestion des différends dépend pour beaucoup de la qualité du contrat passé entre l’établissement et l’agent. Cette qualité est souvent médiocre et peut conduire, en raison des vacuités contractuelles, à des contentieux en tribunal administratif.

Les rigueurs budgétaires et l’évolution de la carte hospitalière liée aux difficultés démographiques conduisent à des tensions entre les organisations ou les individus, en particulier avec la mise en place des groupements hospitaliers de territoire.

Enfin et pour toutes les raisons décrites, la culture hospitalière n’intègre pas suffisamment le dialogue permettant le compromis entre les parties permettant de retenir la meilleure solution négociée sans compromission.

C’est ici qu’intervient le concept de la Médiation pour les personnels des établissements publics de santé, sociaux et médico-sociaux

La médiation, le médiateur national et les médiateurs régionaux ou interrégionaux dans les établissements publics de santé ont été introduits par le Décret n° 2019-897 du 28/08/2019.

La médiation c’est quoi ?
C’est la recherche de la résolution d’un différend entre deux ou plusieurs parties avec l’aide d’un tiers (le/les médiateurs) par un accord amiable en dehors de toute procédure juridictionnelle. L L’entrée en médiation est volontaire et réclame l’accord de toutes les parties au différend.
• L’accord de médiation, s’il est trouvé, est signé par les parties. Un suivi et une évaluation sont prévus dans l’accord.

Qui sont les médiateurs ?
Les médiateurs régionaux ou interrégionaux sont nommés par arrêté des ministres chargés de la Santé et des Affaires sociales sur proposition du médiateur national pour une durée de trois ans, renouvelable une fois.
• Le médiateur national est nommé par arrêté des ministres chargés de la santé et des affaires sociales pour une durée de trois ans, renouvelable une fois.
• Une instance régionale ou interrégionale de dix membres est créée autour du médiateur régional ou interrégional. L’ARS assure le secrétariat de l’instance régionale.
• Une instance nationale de dix membres est créée autour du médiateur national.
• Les médiateurs exercent leur mission avec indépendance, impartialité, neutralité, en mettant en œuvre compétence et diligence. La médiation est soumise au principe de confidentialité.

Qui est concerné ?
TOUS les personnels des établissements publics de santé, sociaux et médico-sociaux employés dans le même établissement (ou au sein d’une direction commune) ou dans le même GHT  :
• Personnels de la Fonction publique hospitalière titulaires ou contractuels ;
• Praticiens hospitaliers, praticiens hospitalo-universitaires pour leur exercice hospitalier, praticiens contractuels, assistants et chef de clinique-assistants des hôpitaux, praticiens attachés, internes, étudiants.

Quels conflits ?
Tout différend entre professionnels opposant un personnel à sa hiérarchie (personnel de la fonction publique hospitalière) ou des personnels entre eux dans le cadre de leur relations professionnelles (personnels de la fonction publique hospitalière, praticiens exerçant à l’hôpital.
• Sont exclus  :
> Les conflits sociaux ;
> Les différends relevant des instances représentatives du personnel ;
> Les différends faisant l’objet d’une saisine du Défenseur des droits ;
> Les différends faisant l’objet d’une procédure disciplinaire ;
> Les différends relatifs à des décisions prises après avis d’un comité médical ou de réforme.

Comment saisir un médiateur ?
• Saisine du médiateur national : Soit par les ministres chargés de la santé et des affaires sociales, soit par le médiateur régional ou interrégional si sa médiation n’a pas abouti, soit par le Directeur général du CNG. Le médiateur national accuse réception de cette saisine dans les huit jours.
• Saisine du médiateur régional ou interrégional : Elle ne peut être ouverte que lorsque le différend n’a pas pu être résolu dans le cadre d’un dispositif local de conciliation ou de médiation ou a été porté devant la commission paritaire régionale (CRP). Le médiateur régional ou interrégional peut être saisi par :
> L’une des parties concernées ;
> Le directeur de l’établissement pour les personnels non médicaux ;
> Le président de la CME conjointement au directeur de l’établissement pour les personnels médicaux ainsi qu’au doyen de l’UFR pour les personnels HU et les étudiants en ce qui concerne leur exercice hospitalier ;
> Le directeur général de l’ARS ;
> La directrice générale du CNG ;
> Le préfet du département.

Le médiateur régional ou interrégional accuse réception de la saisine dans les huit jours. Lorsque aucune solution n’a été trouvée dans un délai de trois mois après l’entrée dans le processus de médiation le médiateur régional ou interrégional peut saisir le médiateur national et en informe les parties.

L’accord de médiation
• Est signé par les parties du différend.
• Fait l’objet d’un suivi et d’une évaluation.

La position de l’INPH
Les processus locaux déjà en place de résolution des différends par les CME ou régionaux par les CRP ne réussissent pas complètement à répondre aux difficultés relationnelles interpersonnelles ou institutionnelles. Les conséquences en sont des frustrations personnelles avec parfois des conclusions dramatiques, voire plus généralement des difficultés de fonctionnement pouvant retentir sur la qualité et la sécurité des soins.

La médiation est un nouveau niveau de résolution.

Elle ne se substitue pas aux processus locaux dont on ne voit que les échecs sans reconnaitre l’apport réel et quotidien de leur mise en œuvre.

Elle ne prend pas la place des commissions de discipline ou d’insuffisance professionnelle ni de la commission statutaire nationale mais ce sont des processus nationaux et lourds ne pouvant prendre en charge toutes les situations.

Le processus de Médiation a l’avantage du volontariat et de la sollicitation de chacune des parties à retrouver la voie du dialogue et d’une solution partagée.

La confidentialité est la règle majeure de la médiation. Elle s’applique à tous les participants.

Le Médiateur n’est ni un juge qui dira qui a tort ou raison, ni un inspecteur qui instruira à charge.
Le processus de médiation ne doit pas échapper aux praticiens de l’hôpital public. Les praticiens doivent s’y former, proposer leur candidature à ces nouvelles instances et y être nommés pour ne pas laisser s’instaurer un nouveau déséquilibre qui discréditerait l’installation de la médiation hospitalière.

La participation des praticiens à la médiation hospitalière conditionnera le succès de cette évolution a priori favorable et c’est dans ces conditions que l’INPH la soutiendra.

Enfin il faut rappeler :
Que les conflits aigus sont assez rares, si on les rapporte aux effectifs de Praticiens de l’Hôpital Public : quelques dizaines pour un effectif de 75000 praticiens (45000 PH, 25000 contractuels, 6500 HU). Que le chiffrage inconnu des différends est sûrement beaucoup plus important. Ils sont générateurs de frustrations, de désengagements et probablement de départs. Ces différends dégradent encore un peu plus s’il en était besoin l’attractivité des carrières hospitalières.
Que les textes réglementaires devraient être mieux connus par ceux qui y sont soumis. Ces textes doivent être respectés. Si le dialogue ne permet pas de trouver la solution les juges du Tribunal Administratif sont là pour dire le droit.

Enfin devant tout pouvoir il doit exister un contre-pouvoir, celui-ci peut être porté par le syndicalisme hospitalier et en particulier par l’INPH.

Qualité de la vie et du « bien mourir » à l’hôpital

Pour les médecins quelles sont les conséquences éthiques et philosophiques de la proposition de loi « donnant et garantissant le droit à une fin de vie libre et choisie » ?

Examinée le 8 avril 2021 par l’Assemblée Nationale, la proposition de loi « donnant et garantissant le droit à une fin de vie libre et choisie », défendue par Olivier Falorni, n’a pas été adoptée faute de temps, en raison d’environ 3000 amendements déposés.

Néanmoins, si l’examen du texte n’a pu se terminer, son article premier à tout de même été adopté, prévoyant «  qu’une assistance médicalisée active à mourir peut être demandée par toute personne majeure et capable  » pour permettre en définitive ce qui serait une mort rapide et sans douleur, si cette personne se trouvait être dans une phase «  avancée ou terminale  » d’une affection « grave et incurable et/ou à tendance invalidante et incurable  », provoquant une souffrance «  physique ou psychique  qu’elle juge  insupportable ou la plaçant dans un état de forte dépendance qu’elle estime incompatible avec sa dignité  ». Ce premier article a ainsi été adopté à une très large majorité de 240 voix pour et 48 contre.

Quelles conséquences éthiques et philosophiques de l’adoption, même symbolique, de ce premier article ?
Tout d’abord, après avoir médicalisé la naissance, voire les projets de naissance ou de non-naissance, la loi propose d’aller encore plus loin dans la médicalisation de la fin de vie, complétant ainsi la médicalisation de toute la vie, d‘une naissance accueillie à une mort potentiellement donnée, les deux pouvant être maintenant programmées.
Cependant il s’agirait d’une véritable rupture législative, éthique et même philosophique que représenterait d’accepter cette action de tuer un adulte requérant, (voire peut-être à terme un mineur, comme cela est possible en Belgique depuis 2014).
Ce serait tuer avec préméditation, même s’il y aurait alors une « justification » qui n’enlèverait pour autant pas toute responsabilité au médecin.

Ce qui change ce n’est donc pas la mort sans douleur, puisqu’elle était déjà inscrite dans la loi ClaeysLéonetti de février 2016 qui autorisait très clairement la sédation profonde et continue pour les patients en fin de vie, venant compléter la loi Léonetti de 2005 qui devait déjà garantir l’accès aux soins palliatifs pour tous et sur tout le territoire. Ce qui change donc c’est la notion de létalité active, donc rapide. C’est l’accélération. C’est donc la philosophie du temps qui change et également par là même, la notion de précipitation préméditée dans la mort et non plus simplement l’accompagnement de la fin de la vie.

Le vote de ce premier article implique donc une interrogation médicale impérative, et pas que pour les médecins de soins palliatifs, puisque tout médecin potentiellement impliqué dans le suivi thérapeutique du patient pourrait être sollicité par ce même patient pour une assistance médicalisée à mourir.

Au-delà de la symbolique du vote de cet article premier, faute d’un texte adopté dans son intégralité, la balle est désormais dans le camp de l’exécutif pour l’inscrire à nouveau à l’agenda législatif.

Cependant la SFAP (Société française d’accompagnement et de soins palliatifs), à la fois société savante et mouvement militant pour le développement des soins palliatifs, vient de réaliser un travail d’intelligence collective nécessaire à l’avancée de la réflexion sur ce sujet aussi complexe que sensible.

Il s’agissait tout d’abord d’une enquête en ligne avec des questions pratiques, mesurées et non polémiques, qui s’est close le 25 juillet 2021, ainsi que des « zoom participatifs » de 8 à 10 personnes qui ont eu lieu du 2 au 29 juillet 2021. Les résultats, l’analyse et la synthèse devraient être exposés lors du prochain congrès national de la SFAP.

De plus le Ministre de la Santé, M. Olivier Véran a annoncé la création d’un « nouveau plan national de développement des soins palliatifs et d’accompagnement de la fin de vie ». La SFAP, tout comme l’ADMD (Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité) et les sociétés savantes concernées par la fin de vie, feront partie de son comité de pilotage.

Beaucoup de questionnements semblent néanmoins incontournables pour tous les soignants et surtout pour tous les médecins thérapeutes potentiellement impliqués par cette évolution législative.

Tout d’abord le soin « palliatif » ne devrait-il pas être consubstantiel et primordial dans tout soin et dans toute démarche médicale ? Ne conviendrait-il pas de rappeler l’adage : « guérir jamais, soigner souvent, soulager toujours » ?

Les malades ne « guérissent » jamais comme si rien n’avait été, mais ils « cicatrisent » plus ou moins facilement ou durablement. La cicatrisation, la résilience et le deuil ne sont-ils pas des concepts essentiels de la médecine et du soin à rappeler en ces temps de « médecine technicienne toute puissante » ? Cela éviterait aux « soins palliatifs » d’avoir à « pallier » les manquements de ce que devraient être les objectifs du soin : rassurer, ne pas nuire et réfléchir avant d’agir, « avec le concours du patient, de ceux qui l’assistent et des choses extérieures » comme le rappelle la philosophie d’Hippocrate dans son premier aphorisme. Cela éviterait aussi d’avoir des professionnels uniquement techniciens de patients objets et non plus de patients sujets.

En tant que médecin, nous défendons une indépendance professionnelle et une éthique de responsabilité. Sur ce dernier point, si une loi venait à nous obliger, elle ne pourrait néanmoins nous enlever notre responsabilité humaine individuelle et collective, car en cas de « refus du médecin ou de tout membre de l’équipe soignante de participer à une procédure d’assistance médicalisée à mourir », « le médecin est tenu de l’orienter immédiatement vers un autre praticien susceptible d’accepter sa demande ». De plus, ne serait-ce pas alors la porte ouverte à légiférer potentiellement sur tous nos actes médicaux, chirurgicaux ou toutes nos prescriptions, transformant ainsi définitivement la médecine en simple production technique imposable. Ce qui serait philosophiquement le début (ou la continuation ?) d’une véritable rupture hippocratique.

Ne nous y trompons pas, car en écrivant dans l’article premier « assistance médicalisée à mourir », nous ne sommes pas comme en Suisse dans le cadre d’une autorisation pour des associations à pratiquer l’aide au suicide réalisée par des citoyens, mais d’ores et déjà dans un processus de médicalisation active de la mort et non plus uniquement de soins d’accompagnement de la fin de vie. Lourde responsabilité que celle-ci qui serait imposée aux médecins par la loi.

Merci donc à la SFAP pour sa mobilisation dans ce débat de société. Cependant il est indispensable que tous les médecins, toutes les sociétés savantes et surtout les CNP (Conseils Nationaux Supérieurs) des spécialités médicales, voire même la FSM (Fédération des Spécialités Médicales), soient un peu plus concernés et actifs dans ce débat aux conséquences non négligeables pour l’évolution de la médecine.

Mourir est donc effectivement un droit, car le suicide n’est plus un délit depuis le code Napoléon de 1810, et mourir reste un devoir, puisque nous ne pourrons nous y soustraire. Mais le véritable enjeu ne serait-il pas simplement de défendre un Droit inaliénable pour chaque Humain de Vivre dans la Dignité, de sa naissance à sa mort ? Ne mourrons-nous pas, en définitive, comme nous avons vécu, dans la continuité de notre vie ?


Dr Véronique MOUNIE-OZIOL
EMASSP (équipe mobile
d’accompagnement de soutien
et de soins palliatifs)
Centre Hospitalier de Béziers


Dr Eric OZIOL
Service de Médecine Interne
Centre Hospitalier de Béziers

Article paru dans la revue « Intersyndicat National Des Praticiens D’exercice Hospitalier Et Hospitalo-Universitaire.» / INPH n°22

Publié le 1654007829000