Mathilde Ulliel-roche à 5 300m d’altitude

Publié le 13 May 2022 à 11:00


PORTRAIT

Interne en anesthésie-réanimation en 8e semestre, Mathilde est en année recherche au sein du laboratoire Inserm « Hypoxie et physiopathologies cardiovasculaires et respiratoires » rattaché au CHU de Grenoble. En février dernier, elle a fait partie de l’Expédition 5300.

C’est à 5 300 m, dans la ville la plus haute du monde, que Mathilde Ulliel-Roche a effectué ses derniers prélèvements sanguins. Une opération délicate, la haute altitude rendant le sang visqueux. Interne en 8e semestre en anesthésie-réanimation à Grenoble, Mathilde est en année césure recherche au sein du laboratoire de l’Inserm HP2 « Hypoxie et physiopathologies cardiovasculaires et respiratoires ». En février dernier, elle a fait partie de l’Expédition 5300, une mission hors norme au Pérou, dont le but était d’étudier les adaptations physiologiques des habitants de la ville La Rinconada, d’analyser leurs problèmes de santé et de mieux comprendre et traiter les pathologies liées au manque d’oxygène. « J’ai eu de la chance de faire partie de l’équipe sur le terrain, j’aurais pu rester à Grenoble », reconnait Mathilde. Quinze scientifiques et médecins se sont activés un mois durant, entre 3 800 et 5 300 mètres d’altitude, dans un laboratoire provisoire aménagé pour l’occasion. Emmitouflés dans des doudounes orange et bleues, ils luttaient contre le froid omniprésent : la température ne dépassait pas 15°C à l’intérieur du labo dans la ville de La Ronconada. 
Au-delà du froid, c’est la fatigue qui a pesé sur ces longues journées, cumulées à des nuits difficiles « Le plus angoissant, c’étaient les apnées centrales pendant le sommeil, se souvient Mathilde. On se réveillait en plein milieu de la nuit avec la sensation d’étouffer ! » Pourtant c’est une habituée de la haute montagne. Savoyarde d’origine, elle a effectué ses études de médecine et son internat en région grenobloise. Elle passe toujours la majorité de son temps libre sur les monts enneigés, à skier ou randonner en dehors des pistes. « Le week-end dernier, je suis partie avec des amis infirmiers pour une rando à 4000 mètres, raconte-t-elle. Nous dormions en refuge et nous avions des cordes et des piolets pour les passages plus difficiles. Dans ces moments, nous sommes déconnectés, pas de stress. Les préoccupations quotidiennes sont très lointaines. ».

Connaître ses propres limites
Lors de ces innombrables sorties en montagne, Mathilde est déjà intervenue sur des accidents. Elle se souvient d’une chute d’un skieur d’une barre rocheuse d’une quinzaine de mètres : « J’avais vu l’accident depuis le télésiège et je suis arrivée la première sur place. J’ai pu faire les premiers soins en attendant les secours, heureusement, ce n’était pas si grave. ». Au Pérou, pas d’accident ni de soins d’urgence même si son profil médical a séduit Samuel Vergès, chercheur Inserm et chef de l’expédition : « un interne en anesthésie-réanimation a une vision globale de l’organisme avec des connaissances en physiologie intégrée. Il a aussi l’habitude de travailler en équipe sous pression. ». Une cohésion d’équipe primordiale dans une telle expédition face à un rythme de travail effréné, jusqu’à 10 ou 12 heures par jour sans eau courante ni installation sanitaire, la ville de La Rinconada étant un bidonville géant créé par les familles de chercheurs d’or. Une mission qui a mis à l’épreuve les limites de chacun, l’organisme étant soumis à la diminution drastique de l’oxygène. Á 5 300 m, le niveau baisse de moitié par rapport au niveau de la mer avec, à la clé, des nausées, maux de tête, fatigue…

Course contre la montre
L’équipe de l’expédition a eu peu de temps pour réaliser tous les examens prévus dans le protocole de recherche auprès des habitants qui comprenaient : l’évaluation du sommeil des mineurs péruviens, la mesure de leurs capacités respiratoires ainsi que des explorations cardiovasculaires avec notamment des échographies cardiaques. Des gestes et des mesures standardisés, un protocole millimétré. « C’est ce qui est le plus difficile quand on vient du monde médical : s’astreindre à cette standardisation en oubliant l’approche personnelle », souligne Samuel Vergès. Mathilde a pu participer à chaque étape du protocole avec une préférence pour les échographies cardiaques, déjà très signifiantes. En haute altitude, avec le manque d’oxygène, certains Péruviens présentent des pressions artérielles pulmonaires très élevées, avec un retentissement plus ou moins marqué sur le coeur droit. Pour les autres résultats d’examens, elle devra éplucher toutes les données. Une phase méticuleuse, partie intégrante de son année recherche et de sa thèse sur les réponses cardiovasculaires à l’hypoxie chronique.
 
Aujourd’hui, elle parle encore avec enthousiasme de l’expédition, très riche humainement tant par les membres de l’équipe scientifique internationale que par les Péruviens qui « sont d’une extrême gentillesse, témoigne-t-elle. Ils partageaient avec nous leurs histoires, même si mon espagnol était approximatif. Et puis, on est grisé par le côté aventure d’une telle expédition ! Si l’on me proposait une autre mission, je repartirai ». Un côté aventurière qu’elle reconnait, « pas tête brûlée » mais plutôt une curiosité naturelle de découvrir des mondes nouveaux. Une curiosité qui s’applique aussi aux domaines médicaux, puisqu’elle apprécie tout autant l’anesthésie et la réanimation. « J’aime ces deux activités qui sont complémentaires et j’ai pris du plaisir dans chacun de mes stages que ce soit en anesthésie pédiatrique, en chirurgie cardiaque, en réanimation polyvalente… Le choix est dur ! ». La seule chose qui semble fixé pour son post-internat est sa ville d’attache : Grenoble. Pour garder une attache enneigée.

Quinze scientifiques et médecins se sont activés un mois durant, entre 3 800 et 5 300 mètres d’'altitude

Article paru dans la revue “Le magazine de l’InterSyndicale Nationale des Internes” / ISNI N°22

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