Une revue de la littérature scientifique
Introduction
L’incidence des cancers en cours de grossesse, tous primitifs confondus, est estimée à 1/1000 avec au premier rang les cancers du col de l’utérus et du sein, suivi par les mélanomes, les lymphomes et les leucémies1 . Cette incidence est probablement en hausse en du fait de l’augmentation progressive de l’âge maternel. Le diagnostic d’un lymphome en cours de grossesse est une situation extrêmement difficile du point de vue de la patiente et de son entourage, mais aussi de celui et des équipes soignantes d’obstétrique et d’hématologie. Un retard diagnostic peut être présent car les premiers symptômes aspécifiques du lymphome de tels que l’asthénie, la dyspnée et les sueurs nocturnes peuvent être attribués à la grossesse, et du fait de la réticence à demander des examens d’imagerie dans ce contexte. La nécessité de réaliser un bilan d’extension complet vient se confronter au risque d’irradiation in utero et la stratégie thérapeutique est basée sur des études rétrospectives, dont les effectifs varient selon le sous-type de lymphome.
La prise en charge doit prendre en compte, en plus des caractéristiques de la maladie, la période de la grossesse. Le risque malformatif est le plus élevé durant les premières semaines de grossesse avec une période critique pour la formation du cœur et des membres entre la cinquième et huitième semaine d’aménorrhée (Figure 1). L’ensemble du premier trimestre de grossesse est considéré comme une période à haut risque et très peu d’études ont rapporté l’usage de chimiothérapie pendant cette période. Lors des deuxième et troisième trimestres, le risque malformatif est moindre avec néanmoins un risque de retard de croissance et de troubles neurodéveloppementaux car la formation du système nerveux central se poursuit pendant l’intégralité de la période gestationnelle. De plus, l’administration de chimiothérapie cytotoxique dans les 2 à 3 semaines précédant l’accouchement entraîne un risque de toxicité hématologique à la naissance2 . Un suivi rapproché de la grossesse et une communication étroite entre les obstétriciens et les hématologues sont primordiaux dans ce contexte.
La grossesse entraîne des changements métaboliques tels qu’une augmentation du débit de filtration glomérulaire, du volume de distribution, et modifie ainsi la pharmacocinétique des traitements spécifiques entraînant un risque théorique de sous ou surdosage selon les produits utilisés3. Cependant, il ne semble pas y avoir de perte d’efficacité des traitements cytotoxiques ni d’augmentation des effets indésirables maternels par rapport aux patientes non enceintes. Aucune étude n’a proposé d’adaptation des doses de chimiothérapie à l’état gestationnel et il n’y a pas de consensus à propos de l’utilisation du poids avant la grossesse ou du poids mesuré pour le calcul des doses4. Certains produits de chimiothérapie sont excrétés dans le lait maternel avec notamment la persistance dans le lait maternel de Doxorubicine et de Cyclophosphamide, ainsi que de leurs métabolites, jusqu’à 3 semaines après une perfusion de R-CHOP comme l’a montré l’étude de Codacci Pisanelli et al5.
Figure 1 : Étapes critiques du développement intra-utérin, tableau adapté du site de l’ANSM. SA : semaines d’aménorrhées. SNC : système nerveux central. OGE : organes génitaux externes
Bilan diagnostic et d’extension
Le diagnostic de lymphome est basé sur l’analyse anatomopathologique d’une adénopathie ou d’un site extra-ganglionnaire atteint. La grossesse n’empêche pas la réalisation de biopsies, y compris chirurgicales, ni de ponctions lombaires à la recherche d’une atteinte du système nerveux central (SNC). La réalisation d’un bilan d’extension doit prendre en compte le risque d’effets indésirables liés aux rayons ionisants sur le fœtus, avec comme principe d’appliquer les doses d’irradiation minimales nécessaires pour limiter la survenue d’événements stochastiques pour lesquels il n’existe pas de seuil de sécurité et dont la probabilité augmente avec la dose reçue. Le scanner thoracique, l’IRM corps entier sans injection de produit de contraste, et l’échographie abdominale sont le plus souvent utilisés chez les femmes enceintes6.
En dehors de la grossesse, le TEP scanner est l’examen de choix pour obtenir un bilan d’extension complet et pour l’évaluation de la réponse thérapeutique. De plus en plus de stratégies thérapeutiques, notamment dans le cadre du traitement des lymphomes de Hodgkin et des lymphomes B diffus à grandes cellules, prennent en compte la réponse thérapeutique sur un TEP scanner réalisé au cours du traitement. L’absence de réalisation de TEP scanner pré-thérapeutique peut donc exposer la patiente à une perte de chance en cas de retard d’intensification ou à un excès de toxicité.
Le TEP scanner expose à deux sources d’irradiation : le radiotraceur (18FDG) dont la répartition au fœtus et au sein des tissus fœtaux peut varier selon le stade de la grossesse et le scanner en lui-même7 . Dans de rares centres équipés, la réalisation d’une TEP-IRM peut permettre de s’affranchir de cette seconde source8. Des estimations d’expositions fœtales suivant la réalisation de TEP scanner chez des femmes enceintes (quasi-exclusivement en contexte néoplasique) sur des petites séries montrent une dose fœtale inférieure au seuil de 50 mGy au-dessus duquel sont décrits les effets déterministes de l’irradiation fœtale. Une hyperhydratation, l’utilisation de diurétiques et le cathétérisme urinaire pour accélérer l’élimination du radiotraceur permettaient de diminuer les doses reçues7, 8. Bien que la réalisation d’un TEP scanner en cours de grossesse ne soit pas recommandée du fait du risque d’effets stochastiques théoriquement plus important qu’avec les autres modalités d’imagerie, cette contre-indication n’est pas absolue et elle peut être envisagée en cas d’incidence sur la stratégie thérapeutique9.
Lymphomes de Hodgkin
Le premier pic d’incidence des lymphomes de Hodgkin (LH) concerne les adultes jeunes, coïncidant avec l’âge de grossesse. Un adage présent depuis de nombreuses années dans la littérature scientifique est que le LH n’influence pas le déroulement de la grossesse et que la grossesse n’influence pas la prise en charge du LH10. Bien que ceci soit évidement à nuancer par l’impact émotionnel du diagnostic dans ce contexte et la complexité accrue de la prise en charge, les données issues de la littérature sont rassurantes. Une étude rétrospective par Maggen et al sur 134 patientes dans 17 centres européens et américains n’a pas montré de différence en survie globale et en survie sans progression chez des patientes ayant un diagnostic de LH en cours de grossesse entre 1969 et 2018 par rapport à des patientes jeunes non enceintes appariées sur le stade11. Sur le plan obstétrical, une étude de registre nord-américaine par El-Messidi et al portant sur 638 patientes dont la grossesse avait été compliquée par un LH comparées à 7,916,388 naissances, entre 2003 et 2011, a montré une absence de complications maternelles à l’accouchement en dehors d’un risque accru de transfusion sanguine et de maladie veineuse thrombo-embolique12. Les enfants présentaient un sur-risque de prématurité sans sur-risque malformatif, ni de mort fœtale in utéro ou encore de retard de croissance intra-utérin. Cette étude ne détaillait pas le stade ni les traitements spécifiques du LH.
Selon la présentation au diagnostic du LH et le stade gestationnel, deux stratégies ont été décrites dans la littérature. La première concerne les maladies peu avancées et pauciou asymptomatiques et consiste en une surveillance simple de la maladie ou d’un traitement d’attente par corticoïdes ou Vinblastine jusqu’à l’accouchement4, 13. Cette stratégie a l’avantage de permettre un bilan d’extension complet pré-thérapeutique et de s’affranchir du risque d’exposition in utero aux agents cytotoxiques et aux radiations ionisantes. En cas de maladie avancée et/ou symptomatique, plusieurs équipes ont rapporté l’utilisation de chimiothérapie cytotoxique à base d’ABVD (Doxorubicine, Bléomycine, Vinblastine et Dacarbazine) lors des deuxième et troisième trimestres de la grossesse11, 14, 15.
Dans l’étude précédemment décrite par Maggen et al, 54 % des patientes ont reçu une chimiothérapie, majoritairement à base d’ABVD et 4 % une radiothérapie en cours de grossesse11. Les taux de malformation et de prématurité étaient de 3 % et 45 %, sans différence entre les enfants exposés et non-exposés à un traitement spécifique du LH in utéro. Cependant, le poids de naissance des enfants exposés à une chimiothérapie était plus faible. Une autre étude rétrospective multicentrique par Evens et al a rapporté 40 cas de LH diagnostiqués en cours de grossesse, dont 75 % à un stade localisé15. Trois interruptions médicales de grossesse ont été réalisées au premier trimestre, 24 patientes ont été traitées au deuxième et au troisième trimestres dont 17 par ABVD, 3 par AVD et 4 par radiothérapie sus-diaphragmatique, et 13 ont été traitées en post-partum. La survie sans progression était de 85 % et la survie globale de 97 % à 3 ans. Aucune malformation n’a été décrite chez les enfants. 39 % sont nés prématurément et 12 % étaient petits pour l’âge gestationnel, sans influence de l’exposition ou non à la chimiothérapie.
Il n’existe pas, au moment de l’écriture de cette revue, de données sur l’utilisation de schéma intensifs du type BEACOD ou de l’anticorps monoclonal Brentuximab-Vedotin en cours de grossesse. Les inhibiteurs de checkpoint Pembrolizumab et Nivolumab sont indiqués dans la prise en charge du LH en rechute ou réfractaire. Leur utilisation lors de la grossesse a été principalement décrite chez des patientes atteintes de mélanome. Il ne semble pas avoir de sur-risque malformatif mais des complications maternelles, un excès de prématurité et des retards de croissance intra-utérins ont été observés16. Un cas de colite immuno-induite sévère a été décrit à 4 mois de vie chez un nouveau-né exposé au Pembrolizumab y compris au 3ème trimestre de la grossesse, période pendant laquelle le passage transplacentaire des immunoglobulines est le plus important17. Il existe un case report de l’utilisation de Nivolumab pour un LH rechutant en cours de grossesse avec 6 perfusions de 26 à 37 SA, permettant une rémission de la maladie sans conséquences fœtales délétères18. La réalisation de radiothérapie sus-diaphragmatique avec protection utérine en cours de grossesse ne semble pas être associée à une toxicité fœtale19. Cependant, la place de la radiothérapie dans le traitement du LH est actuellement au traitement de consolidation des formes localisées et peut donc être différée après l’accouchement lorsqu’elle est indiquée.
Lymphomes B non Hodgkiniens
Les lymphomes non Hodgkiniens (LNH) sont un groupe d’hémopathies hétérogènes dont l’histoire naturelle, le pronostic, et le traitement sont variables selon le soustype. Contrairement aux LH, les LNH surviennent majoritairement après l’âge de 50 ans et surviennent rarement chez des personnes en âge de procréer. Le nombre de cas rapportés pendant la grossesse est en conséquence plus faible, et anecdotique pour certains sous-types.
Une revue de la littérature entre 1967 et 2011 par Horowitz et al a rapporté 108 cas dont 5 % de lymphomes de bas grade, 49 % de haut grade et 47 % dits de « très haut grade » (lymphomes de Burkitt et lymphoblastiques)20. Un stade IV et une atteinte des organes reproductifs (seins, ovaires, utérus et, rarement, placenta) étaient présents dans 85 % et 49 % des cas au diagnostic, suggérant, contrairement à ce qui est observé pour les LH, une influence de la grossesse sur la présentation et l’agressivité des LNH. Un cas de transmission transplacentaire d’un LNH B de haut grade entraînant la mort du nouveau-né à 9 mois de vie a été rapporté21. Un examen du placenta devrait par conséquent être systématique réalisé en post-partum des LNH, avec un suivi régulier du nouveau-né en cas d’envahissement placentaire.
LNH de haut grade
Les lymphomes B de haut grade, dont le sous-type le plus fréquent est le lymphome B diffus à grandes cellules (LBDCG), sont des maladies agressives, pour lesquelles l’expectative thérapeutique est rarement possible. Le traitement de référence est une polychimiothérapie par Doxorubicine, Cyclophosphamide, Vincristine et Prednisone (CHOP), avec, depuis les années 2000, l’ajout d’un anticorps anti-CD20, le Rituximab (R). Le traitement par R-CHOP ne semble pas associé à un sur-risque malformatif au deuxième et troisième trimestre de grossesse mais il est associé à un risque élevé de prématurité15, 22. Un cas d’insuffisance cardiaque transitoire sévère nécessitant une ventilation mécanique et un traitement par Dobutamine a été décrit chez un nouveau-né né par césarienne programmée à 34 SA ayant reçu 3 cycles de R-CHOP de 26 à 32 SA, sans autre cause retrouvée qu’une toxicité des anthracyclines23.
Lors de l’ère pré-Rituximab, l’équipe de Alviles et al a rapporté 29 cas de LNH dont 70 % de LBDGC traités par CHOP et Bléomycine pendant la grossesse14. 17 patientes ont été traitées au premier trimestre. Aucun effet secondaire n’a été rapporté chez les 29 enfants et la survie globale des mères était de 62 % avec un suivi médian de 18 ans. La cohorte décrite par Evens et al comprend 28 cas de LBDGC dont 21 ont reçu un traitement par CHOP ou R-CHOP au deuxième ou au troisième trimestre entre 1999 et 201115. Une mort fœtale est survenue à 19 SA après 1 cycle de R-CHOP et un cas de microcéphalie a été observé chez un enfant exposé à 4 cycles de R-CHOP in utero à partir de 28 SA. La survie sans progression des mères à 3 ans était de 55 % et la survie globale de 79 %. Maggen et al a décrit 80 cas de LNH dont 57 LBDGC24. Parmi les patientes atteintes de LBDGC, 1 interruption thérapeutique de grossesse a été réalisée au premier trimestre, et 80 % des patientes ont été traitées en cours de grossesse. Le traitement était principalement du R-CHOP avec une survie sans progression et une survie globale à 3 ans de 77 % et 90 % respectivement. 52% des enfants sont nés prématurément, 44 % étaient petits pour l’âge gestationnel et 1 cas de malformation a été rapporté.
Le Rituximab est associé à une lymphodéplétion B néonatale sévère, surtout lors d’une exposition au 3e trimestre où le passage transplacentaire des immunoglobulines est maximal. Cependant, il n’a pas été décrit de sur-risque infectieux chez ces enfants et les taux de lymphocytes B se normalisent dans les premiers mois de vie25, 26, 27. Des données rassurantes, bien que portant sur peu de cas, quant à l’exposition au Rituximab en période péri-conceptionnelle et lors du premier trimestre de la grossesse en font une possibilité thérapeutique intéressante pour le traitement d’attente des LNH B diagnostiqués au premier trimestre en cas de refus d’interruption thérapeutique de grossesse28, 29.
Les lymphomes B primitifs du médiastin (LBPM) sont une entité rare, mais touchant de façon prédominante les femmes en âge de procréer. L’immunochimiothérapie par R-CHOP semble moins efficace chez ces patientes qui relèvent le plus souvent de chimiothérapies plus intensives, pour lesquelles le recul quant à leur utilisation en cours de grossesse est moindre. Une revue de la littérature sur 4 cas a été publiée par Hashimoto et al30. Les 4 patientes avaient reçu un traitement par R-CHOP au deuxième ou troisième trimestre, 2 étaient en réponse complète, 1 en réponse partielle et 1 en progression à l’accouchement. Toutes ont reçu un traitement de consolidation en post-partum (1 radiothérapie, 2 Da-R-EPOCH, 1 R-ICE et intensification sous couvert d’autogreffe) et étaient en rémission en fin de traitement. Les enfants issus de ces grossesses sont nés entre 34 et 37 SA et ne présentaient pas de malformations.
Lymphomes de Burkitt
Les lymphomes de Burkitt sont parfois décrits comme des lymphomes de « très haut grade ». Il s’agit d’une maladie extrêmement agressive qui représente une urgence thérapeutique31. Ils touchent fréquemment les sujets jeunes et plusieurs cas de lymphome de Burkitt diagnostiqués en cours de grossesse ont été rapportés dans la littérature. La majorité de ces cas étaient diagnostiqués au stade IV avec une surreprésentation d’atteintes mammaires et ovariennes et un cas rapporté de métastase placentaire sans atteinte fœtale mise en évidence20, 31, 32. Une revue de littérature par Barnes et al rapporte 29 cas diagnostiqués entre 1966 et 1994, parmi lesquels seuls 4 avaient reçu un traitement par polychimiothérapie et dont 28 sont décédés de leur maladie31.
Chez les patients dont le diagnostic est fait en dehors de la grossesse, le pronostic est bon et dépend de la rapidité d’instauration du traitement, ainsi que de la capacité à supporter une chimiothérapie intensive comprenant, dans la plupart des protocoles, du Méthotrexate à haute dose. Le Méthotrexate est hautement tératogène lors de l’exposition durant le premier trimestre de la grossesse à des doses inférieures à celles utilisées en hématologie, et est considéré par la plupart des auteurs comme étant strictement contre-indiqué durant toute la grossesse33, 34. Une interruption thérapeutique de grossesse peut être proposée à ces patientes afin de pouvoir bénéficier d’un traitement optimal. Certains auteurs ont choisi d’utiliser des traitements moins intensifs en cours de grossesse pour permettre la maturité fœtale puis intensifier le traitement en post-partum.
Zagalo et al a rapporté le cas d’une patiente traitée par R-CHOP à 26 SA avant la réalisation d’une césarienne à 28 SA pour débuter un traitement selon LMB-96 groupe B35. Magloire et al a décrit le cas d’une patiente ayant reçu 6 cures de R-CHOP avec injections intrathécales de Cytarabine à partir de 13 SA puis accouché à terme d’un enfant bien portant36. Finalement, Stang et al a publié le cas d’une patiente traitée par 5 cures de CHOEP, Cytarabine haute dose et injections intrathécales de Méthotrexate de 20 à 31 SA37. Le traitement a été compliqué d’un retard de croissance intra-utérin motivant la réalisation d’une césarienne à 34 SA. Le lymphome était alors en rémission partielle et la patiente a pu bénéficier d’un traitement de rattrapage contenant du Méthotrexate haute dose. Son fils a présenté un développement psychomoteur normal mais compliqué d’infections à répétition dans un contexte de lymphopénie B et d’hypogammaglobulinémie persistantes. Les trois patientes étaient en rémission complète en fi n de traitement, aucune n’avait d’atteinte du SNC au diagnostic.
NHL de bas grade
Les LNH de bas grade sont des maladies chroniques, d’évolution lente, avec parfois une période de plusieurs années entre le diagnostic et le premier traitement. Très peu d’études rapportent le diagnostic de lymphome de bas grade en cours de grossesse, ou la survenue de grossesses au cours de l’évolution de lymphomes de bas grade. Il existe des cas rapportés de diagnostic fortuit de lymphome de bas grade en cours de grossesse du fait d’examens d’imagerie ou d’anomalies chromosomiques sur des tests sanguins de dépistage prénatal non invasifs qui peuvent faire faussement croire à des anomalies chromosomiques fœtales38, 39.
Lorsqu’une indication thérapeutique existe du fait d’une forte masse ou de l’apparition de symptômes, le traitement est le plus souvent temporisé jusqu’à l’accouchement38, 40. Parmi les 6 patientes rapportées par Maggen et al, aucune n’a reçu de traitement en cours de grossesse (1 interruption de grossesse au premier trimestre et 5 abstentions thérapeutiques jusqu’à l’accouchement)24. Si l’expectative n’est pas envisageable, une monothérapie par Rituximab peut être envisagée, y compris au premier trimestre de la grossesse41, 28. Un traitement à base de R-CHOP peut être réalisé à partir du deuxième trimestre42. Le faible nombre de cas rapportés ne permet pas, au moment de l’écriture de cette revue, de conclure sur l’influence de la grossesse sur l’évolution de la maladie. Des cas de transformation d’un lymphome du MALT et d’un lymphome folliculaire ont été décrits respectivement au cours et au décours de la grossesse, ainsi que deux cas de progression importante de lymphomes cutanés primaires des centres folliculaires, régressant en post-partum40, 41, 43, 44.
Lymphomes T périphériques
Dans la population occidentale, les lymphomes T périphériques représentent environ 15 % des LNH. Il s’agit d’entités hétérogènes, pour lesquelles un standard de traitement n’est pas défi ni. Il existe, au moment de l’écriture de cette revue, moins de 20 cas rapportés dans la littérature anglo-saxonne de lymphomes T périphériques diagnostiqués en cours ou au décours de la grossesse, en majorité des lymphomes T périphériques NOS et des lymphomes anaplasiques à grandes cellules (ALCL). Une atteinte des organes reproductifs, notamment mammaire et deux cas d’atteinte placentaire ont été décrits45, 46, 47.
Les cas rapportés sont trop hétérogènes pour établir des conclusions spécifiques à la prise en charge de ses lymphomes en cours de grossesse. Certains cas rapportés font l’état de présentations remarquablement agressives, entraînant le décès avant qu’une chimiothérapie ne puisse être introduite ou après progression sous chimiothérapie48, 49, 50. D’autres rapports décrivent des présentations plus indolentes, le plus souvent dans un contexte de ALCL ALK+, avec une abstention thérapeutique jusqu’à l’accouchement, un traitement par CHOP débuté après la fin du premier trimestre de grossesse et, dans un cas de présentation sous-cutanée occipitale localisée, une radiothérapie 36 Gy isolée46, 45, 51, 52.
Traitements de support
Au-delà des traitements spécifiques, de nombreux médicaments sont proposés aux patients atteints de cancer à visée symptomatique ou pour traiter les complications53. Les facteurs de croissance granulocytaires (G-CSF) sont utilisés en prévention primaire ou secondaire de l’aplasie fébrile. Une étude de cohorte par Boxer et al a étudié l’administration de G-CSF chez des patientes atteintes de neutropénie chronique et ayant menée des grossesses, et n’a pas retrouvé de sur-risque de complications maternelles ou fœtales chez la centaine de patientes traitée par G-CSF54. Pour ce qui est des antibiotiques, les béta-lactamines sont la classe pour laquelle il existe le plus de recul et toutes peuvent être utilisées, quel que soit le trimestre. La Vancomycine et la Daptomycine n’ont pas été associées à un sur-risque de complications. Les aminosides sont déconseillés du fait d’un risque théorique de déficit auditif chez le fœtus, ce qui est à nuancer par le bénéfice attendu d’un traitement de courte durée en cas de sepsis sévère ou de choc septique. Les fluoroquinolones et le Bactrim ont un potentiel tératogène et doivent être si possible évités, surtout au premier trimestre55.
Le traitement anticoagulant préventif et curatif en cours de grossesse repose majoritairement sur les héparines de bas poids moléculaire, ou sur le Fondaparinux en cas de thrombopénie induite par l’héparine56. Pour le traitement antiémétique associé aux chimiothérapies, l’Ondansétron et le Métoclopramide sont à privilégier par rapport à l’Aprépitant pour lequel il existe moins de données57, 58. Il semble exister un très discret sur-risque de fentes palatines lors de l’exposition in utero à l’Ondansétron au premier trimestre. Les corticostéroïdes peuvent être utilisés pour leur effet antiémétique, à visée de contrôle du lymphome avec ou sans chimiothérapie associée, ou en traitement d’éventuelles complications auto-immunes. Ils sont associés à de nombreux effets secondaires bien connus et, en cours de grossesse, pourraient augmenter le risque de diabète gestationnel et de prématurité59.
Conclusion
Le lymphome diagnostiqué au cours de la grossesse nécessite une prise en charge personnalisée devant prendre en compte la patiente et ses choix, les caractéristiques de la maladie et le stade de la grossesse.
La prise en charge se doit d’être pluridisciplinaire en impliquant non seulement les équipes d’hématologie et d’obstétrique, mais aussi les radiologues et les soins de support. Le principe de précaution voudrait éviter l’exposition au fœtus de techniques d’imagerie et de traitements antinéoplasiques qui pourrait lui porter préjudice, sans pour autant entraîner une perte de chance pour la mère. Les études sur le sujet sont toutes de nature rétrospective et la plupart porte sur peu de cas. Le pronostic hématologique des patientes présentant un lymphome en cours de grossesse semble être similaire à celui des patients diagnostiqués en dehors de la grossesse, sous-réserve d’une absence de retard à l’initiation du traitement. La tendance actuelle est à l’utilisation de régimes de polychimiothérapie ou d’immunochimiothérapies selon les schémas thérapeutiques utilisés en population générale, tout en essayant de poursuivre la grossesse jusqu’à son terme pour éviter les risques liés à la prématurité. Cependant, un diagnostic de lymphome de haut grade au premier trimestre et une indication à un traitement par Méthotrexate haute dose (lymphomes de Burkitt, atteinte du SNC) doivent faire discuter une interruption de grossesse devant le risque fœtal important. L’administration de chimiothérapie cytotoxique devrait si possible être évitée après 34 SA pour respecter un délai de 3 semaines entre la chimiothérapie et l’accouchement. La prise en charge d’une rechute de lymphome en cours de grossesse n’a pas été traitée dans cette revue. Elle est d’autant plus complexe que les traitements de deuxième ligne et plus comportent de plus en plus de thérapies ciblées et immunothérapies pour lesquelles il existe très peu ou pas de données d’utilisation en cours de grossesse.
Les régimes de chimiothérapie à base de ABVD et de R-CHOP qui sont le plus fréquemment utilisés en traitement de première ligne pour les LH et les LNH respectivement ne semblent pas entraîner de sur-risque malformatif par rapport à la population générale lorsqu’ils sont utilisés après la fin du premier trimestre de grossesse. Il existe moins de données concernant l’utilisation de chimiothérapies à base d’Etoposide, parfois utilisées notamment dans le cadre du traitement des lymphomes T et B primitifs du médiastin. Il existe un sur-risque de prématurité, de retard de croissance intra-utérin, et de faible poids de naissance, pouvant entraîner des complications à court, moyen et long terme chez ces enfants. Le suivi des enfants issus de grossesses compliquées de diagnostic de lymphome est hétérogène, ne dépassant le plus souvent pas les premiers mois ou les premières années de vie. Alviles et al14 a suivi, pour une durée médiane de 18.7 ans, 84 enfants nés de mères ayant reçu de la chimiothérapie en cours de grossesse, dont 38 au premier trimestre, entre 1970 et 1995 pour des hémopathies malignes sans mettre en évidence de sur-risque de cancer, de trouble neurodéveloppemental ou d’insuffisance cardiaque post-anthracyclines60. Il n’existe, au moment de l’écriture de cette revue, pas de données issues de cohortes de grand effectif sur le devenir de ces enfants à l’âge adulte.
Elise BANDET
Interne en Hématologie,
AP-HP
Références
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