Lupus systémique – ce que le cardiologue doit savoir

Publié le 25 May 2022 à 10:06

Introduction

Le lupus est une maladie auto-immune liée à une dysfonction du système immunitaire inné et acquis. Il existe une production d’auto-anticorps dirigés contre les composants des noyaux cellulaires (ADN natif notamment) et provoquant une atteinte inflammatoire non spécifique avec un retentissement multiviscéral. Le lupus touche préférentiellement la femme jeune (sex ratio 9/1). La prévalence est variable de 6,3 à 292 cas pour 100 000 habitants. En France, la prévalence est estimée à 47,1/100 000 habitants avec 88 % de femmes.
On note tout de même une découverte sur symptôme cutané dans 20 % des cas. Le diagnostic de lupus repose sur des critères cliniques, biologiques (et immunologiques) détaillés dans les recommandations de l’EULAR.
Il existe des critères de l’American College of Rhumatology et les critères SLICC permettant la classification des patients lupiques dans les études de recherche clinique. Ces critères concernent, entre autres, l’atteinte cardiaque avec la présence d’un épanchement péricardique.

TABLEAU 1 : Critères ACR/EULAR 1997 de classification du lupus
La présence de ≥ 4/11 critères permet d’affirmer l’existence d’un lupus avec une sensibilité et une spécificité de 96 %. Ces critères ne devant pas être utilisés à l’échelle individuelle.

En 2019, l’EULAR a remis à jour ces critères permettant une application plus clinique, avec un critère d’entrée représenté par la présence significative d’Anticorps anti-nucléaires puis reprend des critères cliniques ou paracliniques ayant plus ou moins de poids (2 à 10 points par paramètre). Le seuil de classement en lupus est ≥ 10 points.

TABLEAU 2 : Critères SLICC 2012 de classification du lupus
La présence d’au moins ≥ 4 critères dont au moins 1 critère clinique et 1 critère biologique ou histologique de glomérulonéphrite lupique avec des AAN et/ou des anticorps anti ADN antifs permet d’affirmer l’existence d’un lupus avec un sensibilité de 94 % et une spécificité de 92 %.


Au niveau cardiaque, les 3 tuniques peuvent être touchées mais l’atteinte du péricarde est la plus fréquente. Les valves peuvent aussi être atteintes. De plus, l’inflammation systémique et la prise de certains traitements peuvent accélérer l’athérosclérose et favoriser le développement de cardiopathie ischémique.

Atteinte péricardique
Épanchement péricardique
L’épanchement péricardique atteint, selon les séries, 11 à 54 % des patients lupiques, et au cours de l’évolution de la maladie peut toucher plus d’un patient sur deux. L’épanchement péricardique peut précéder les premiers signes cliniques du lupus. Il est souvent latent, et lorsqu’il est symptomatique, d’expression non spécifique (douleur thoracique, rétrosternale avec possible frottement à l’auscultation). Les signes de péricardites électrocardiographiques peuvent également conduire au diagnostic.

L’ETT est l’examen de première intention pour son diagnostic, sa caractérisation et le suivi. Les autres modalités d’imagerie (ETO, IRM, TDM) permettent également le diagnostic.

On retrouvera le classique espace vide d’échos en systole et en diastole. Et on s’attachera à évaluer son retentissement hémodynamique selon les techniques usuelles.
Des atteintes des autres sériques (plèvre, péritoine) peuvent également être associées.


Figure 1 : Imagerie cardiovasculaire multimodale des atteintes cardiaques du Lupus érythémateux disséminé

A - ETT, petit axe : Épanchement péricardique circonférentiel (flèche).
B - ETT, triplan, étude du ventricule gauche et des valves.
C -
Strain sur ETT 2D (A4C, A2C, A3C) : altération du strain global longitudinal (ici, -10,6 %).
D -
ETO, 120° : Épaississement des feuillets mitraux, noter le prolapsus du segment 2 de la valve postérieure (flèche).
E -
ETT, A4C : épaississement des feuillets valvulaires mitraux avec endocardite inflammatoire (flèche).
F -
ETO 100° : Endocardite inflammatoire de Libman Sachs aux dépens de A2 (flèche).
G -
IRM, petit axe, myocardite, rehaussement tardif (flèche)
H -
IRM, 1° passage gadolinium, myocardite, rehaussement (hyperhémie) de la paroi latérale (flèche).
I -
Scanner cardiaque, centré sur la coronaire droite calcifiée (flèche), noter les calcifications aortiques.

Les péricardites lupiques sont le plus souvent bénignes et sont très cortico-sensibles.

Tamponnade et constriction
La tamponnade est rare (< 1 %) et met en jeu le pronostic vital lorsqu’elle est présente.
Les signes échocardiographiques sont non spécifiques. On recherchera une compression OD ou VD, un swinging heart, des variations respiratoires modifiées en doppler pulsé ainsi que la dilatation de la veine cave inférieure (faux positif en cas de constriction péricardique notamment).

Atteinte myocardique
L’atteinte myocardique dans le lupus est estimée à 8-15 %, avec une prévalence moindre dans les séries cliniques autopsiques.

L’analyse anatomopathologique retrouve un infiltrat cellulaire mononucléé à prédominance périvasculaire et dépôts de complexes immuns dans une matrice collagénique densifiée.

L’atteinte de la fonction ventriculaire gauche peut être en rapport avec une vascularite diffuse des petits vaisseaux coronaires et de la microcirculation ou bien, plus rarement, d’une atteinte artérioscléreuse des vaisseaux coronaires.

Cliniquement, les symptômes sont non spécifiques et comprennent : douleur thoracique, dyspnée, insuffisance cardiaque.

On retrouve en ETT :

  • Une dysfonction systolique ventriculaire gauche prenant l’aspect d’une cardiomyopathie non spécifique.
    Cette dysfonction peut régresser en période de rémission ou sous traitement. La FEVG peut être normale, le strain global longitudinal peut alors révéler une atteinte précoce précédant l’abaissement de la FEVG.
  • Une dysfonction diastolique ventriculaire gauche, notamment chez les patients lupiques à fonction systolique préservée.
  • Le profil transmitral est de type anomalie de relaxation (diminution de l’onde E, augmentation du temps de décélération, augmentation de l’onde A, augmentation du temps de relaxation isovolumique). Il se voit plus fréquemment en phase active de la maladie.
  • Présence ou non d’une dilatation ventriculaire, présence ou non d’un épaississement pariétal (oedème).
  • Pour mémoire, on s’assurera de l’absence de thrombus intracardiaque.

L’IRM peut permettre de confirmer le diagnostic de myocardite ; classiquement, on utilise les critères de Lake Louise 2008, qui confirme l’hypothèse si ≥ 2 des critères sont présents :

  • Augmentation du signal régional ou global en T2 témoignant de l’oedème avec ratio signal du myocarde/signal muscle squelettique ≥ 2.
  • Réhaussement précoce en T1+gadolinium, témoignant de l’hyperhémie avec ratio de réhaussement signal myocardique/muscle squelettique ≥ 4.
  • Réhaussement tardif en T1+ gadolinium, témoignant de la fibrose.

En IRM, la présence d’un épanchement péricardique (myopéricardite) ou d’une dysfonction ventriculaire gauche, renforce le diagnostic.

Chez les patients présentant une myosite, on se méfiera tout particulièrement de la myocardite. Une bonne corrélation entre les 2 atteintes a été décrite.

L’équipe de Gegnava a montré en 2020 qu’un plus grand risque d’évènement cardiovasculaire survenait en corrélation de l’altération de déformation longitudinale ventriculaire gauche (strain global longitudinal).

Atteinte endocardique
Endocardite de Libman Sachs
Cette atteinte de l’endocarde valvulaire a été décrite par Libman et Sachs en 1924.
La découverte peut être fortuite à l’occasion d’un examen d’imagerie de suivi ou bien à l’occasion de l’apparition d’un souffle à l’examen clinique.
La prévalence varie entre 11 et 43 % selon les séries et que l’examen soit fait par voie transthoracique ou pas voie transoesophagienne.
Cette endocardite est constituée de dépôts de complexes immuns, de cellules mononucléées, de fibrine et de thrombi.
Ces végétations sont généralement à la base des valvules plus rarement sous l’appareil sous-valvulaire et sur l’endocarde pariétal.

Il existe une atteinte prédominante de la valve mitrale notamment au niveau du recessus entre le mur ventriculaire et la valvule postérieure. Préférentiellement du coeur gauche, plutôt que du coeur droit.

La découverte de cette endocardite verruqueuse est faite soit à l’occasion d’un examen échocardiographique de routine, soit à l’occasion de la découverte d’un souffle.

Les complications de l’endocardite de Libman Sachs sont les fuites valvulaires importantes, la greffe bactérienne, et l’embolisation vasculaire cérébrale ou périphérique.

Épaississement diffus des feuillets valvulaires
Cette anomalie est notée chez plus de 50 % des patients lupiques. On relève en ETT un épaississement valvulaire contrastant et une intégrité de l’appareil sous-valvulaire.

Prolapsus valvulaire mitral
Les PVM sont observés en échographie au cours du lupus (25 % des patients), leur lien étiologique reste controversé, mais leur fréquence est plus importante que dans la population générale.

Pressions pulmonaires
L’hypertension pulmonaire est relevée, selon les séries chez 0,5 à 43 % des patients lupiques. Une étude récente montre une prévalence de 4.2 à 7.1 %. L’apparition d’une HTAP est rare mais grave : le pronostic est péjoratif, avec 27.1 % de décès à 5 ans, dans une analyse du registre français d’hypertension pulmonaire. Les patientes concernées (> 99 % de femmes) étaient âgées au maximum de 49 ans dans le groupe des non-survivantes à 5 ans.

Les signes devant y faire penser sont non spécifiques : Dyspnée, altération de la diffusion sur les EFR, élévation inexpliquée du NT pro BNP. Et bien sûr, l’élévation des pressions estimées en ETT avec une PAPS estimée à > 35mmHg. Ce qu’il faudra confirmer par l’étude invasive des pressions avec un seuil de la PAPm > 25 mmHg. L’analyse échocardiographique du retentissement sur le coeur droit sera importante : dilatation du VD (VD/VG > 1), dilatation du tronc de l’artère pulmonaire et de l’OD, mesure du temps d’accélération sous pulmonaire raccourci < 90ms, septum paradoxal.

Autres atteintes cardiologiques
Les autres atteintes cardiologiques sont représentées par les troubles du rythme, et le développement de cardiopathie ischémique.

Troubles du rythme
Les troubles de la conduction sont fréquents, évalués entre 34 et 70 %.

On se souviendra des blocs auriculoventriculaires congénitaux, chez les nouveau-nés de patientes lupiques (ou atteinte d’un syndrome de Gougerot-Sjögren, d’une connectivite indifférenciée, ou bien mère asymptomatique mais porteuse d’auto anticorps). Ce trouble de la conduction est lié à la présence d’anticorps anti RO/SSA ou anti la/SSB.

Athérosclérose et cardiopathie ischémique
L’athérosclérose et l’ischémie représentent une cause majeure de morbidité de mortalité chez les patients lupiques, alors même que cette population (femme, jeune âge) est habituellement moins touchée par l’athérosclérose.

D’après l’étude du registre Français Mortalup, les maladies cardiovasculaires représentent jusqu’à 35 % des causes de décès chez les patients lupiques, avec environ 10 % de cardiopathies ischémiques ayant conduit au décès.

L’athérosclérose accélérée peut être expliquée par l’association de l’utilisation de corticoïdes au long cours, l’inflammation chronique à bas bruit, la présence de nombreux facteurs de risque (notamment hypertension) et l’atteinte rénale qui est considérable dans son développement.

L’étude de l’ECG est indispensable en consultation de routine et les tests d’ischémies anatomiques ou fonctionnels devront être réalisés en cas de doute. Il ne faut pas être systématique.

Toxicité des traitements du lupus
Hydroxychloroquine
Certains cas de toxicité cardiaque provoquant une insuffisance cardiaque ont été décrits. De même chacun connait la toxicité rythmique ayant été récemment reprise dans les médias.

Corticothérapie
L’utilisation de corticoïdes au long cours peut être responsable d’une athérosclérose précoce. Cette implication est encore débattue car les essais ne sont pas toujours concordants. Il convient donc contrôler de manière stricte les autres facteurs de risques cardiovasculaires. CARDIOLOGIE ET MALADIE DE SYSTÈME

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Article paru dans la revue “Collèges des Cardiologues en Formation” / CCF N°15

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