Lumière sur un article marquant – Désescalade thérapeutique et maladie de Crohn

Publié le 10 Nov 2023 à 06:43

 

Arrêt de l’Infliximab ou de l’immunosuppresseur concomitant chez des patients atteints de maladie de Crohn sous combothérapie efficace : Étude SPARE

Article original : Withdrawal of infliximab or concomitant immunosuppressant therapy in patients with Crohn’s disease on combination therapy (SPARE): a multicentre, open-label, randomised controlled trial - The Lancet

L’association d’infliximab (IFX) et d’un traitement immunosuppresseur(IS) (thiopurine ou méthotrexate) est une stratégie thérapeutique devenue classique dans la maladie de Crohn, cependant, cette combothérapie a des répercussions en termes de coût et de morbidité justifiant l’évaluation de stratégies de désescalade.

L’essai SPARE a ainsi comparé le taux de rechute ainsi que le temps passé en rémission sur 2 ans, entre les patients poursuivant le traitement combiné et ceux ayant suivi deux stratégies différentes de désescalade : arrêt de l’infliximab et poursuite de l’immunosuppresseur seul ou bien arrêt du traitement immunosuppresseur et poursuite de l’infliximab seul.

Cet essai contrôlé multicentrique, ouvert et randomisé a été conduit dans 64 hôpitaux de sept pays en Europe et en Australie en randomisant 211 patients atteints de maladie de Crohn en rémission sans corticoïdes depuis au moins 6 mois, et sous traitement associant IFX et IS pendant au moins 8 mois avec une dose stable d’immunosuppresseurs depuis au moins 3 mois.

L’inclusion ne concernait pas les patients traités par IFX en raison de LAP ou d’une fistule intra-abdominale.

Deux critères de jugements principaux étaient évalués : le taux de récidive à 2 ans ainsi que le temps passé en rémission.

207 patients ont été inclus dans l’analyse finale (n=67 dans le groupe poursuite de combothérapie, n=71 dans le groupe arrêt de l’IFX, et n=69 dans le groupe arrêt de l’IS).

La rechute était définie par l’un de ces critères :

  • CDAI > 250 ou CDAI entre 150 et 250 avec augmentation d’au moins 70 points lors de 2 visites à 1 semaine d’écart ET une CRP > 5 mg/l ou une calprotectine fécale > 250 µg/g.
  • Une apparition ou ré-ouverture de fistule péri-anale ou entéro-cutanée.
  • Un abcès péri-anal > 2 cm ou intra-abdominal > 3 cm.
  • Un épisode d’occlusion intestinale confirmée par une imagerie.

Au total, 39 rechutes ont été identifiées. Leur répartition et le taux de rechute à 2 ans est résumé dans le tableau ci-dessous.

  IFX + IS Arrêt IFX Arrêt IS Rechutes 8/67 (12%) 25/71 (35%) 6/69 (9%) Taux de rechute à 2 ans 14% [IC 95 : 4-23%] 36% [IC 95 : 24-47%] 10% [IC 95 : 2-18%]

NB : hazard ratio (HR) 3·45 [1·56–7·69] p=0·003 pour l’arrêt de l’IFX vs IFX + IS ; HR 4·76 [1·92–11·11], p=0·0004, pour l’arrêt de l’IFX vs arrêt de l’IS.

Dès lors qu’une rechute était identifiée, une optimisation et/ou une reprise du traitement arrêté était débutée si possible, jusqu’à la rémission, avec une intensification maximale du traitement identique dans tous les groupes par IFX optimisé à 10mg/kg toutes les 8 semaines et IS à doses efficaces.

Sur les 39 patients ayant présenté une rechute, 28 patients ont été retraités ou optimisés, et une rémission a été obtenue chez 25 (64 %) de ces patients (1 sur 2 dans le groupe combothérapie ; 22 sur 23 dans le groupe arrêt IFX et 2 sur 3 dans le groupe arrêt de l’IS).

Parmi les 11 patients non retraités, 7 ont été classés d’emblée comme « échec thérapeutique » et 4 ont été traités hors protocole.

L'arrêt du traitement IS après 2 ans de traitement par combothérapie efficace ne majore pas le taux de rechute à 2 ans, ce qui est un point majeur en pratique clinique.

Il existe un risque accru de rechute sur 2 ans lors de l'arrêt du traitement par IFX en comparaison à sa poursuite aussi bien en mono qu'en combothérapie.

Le second objectif évalué concernait le temps moyen passé en rémission sur 2 ans et relevait d’une analyse de non infériorité. Il peut être résumé comme suit :

  IFX + IS Arrêt IFX Arrêt IS Temps moyen en rémission (jours) 698 [668 ; 727] 684 [651; 717] 706 [682; 730] Diff érence moyenne de rémission
pour le groupe “arrêt IFX” (jours) -14 [- 56 : + 27] X -22 [- 62 : + 16]

Les IC à 95 % de la différence moyenne de rémission entre le groupe “arrêt de l’IFX” et les autres contenaient tous deux le seuil de non-infériorité fixé à -35 jours rejetant donc l’hypothèse de non infériorité.

Les facteurs associés à un temps moyen en rémission plus court étaient :

  • L’arrêt de l’IFX (HR 6.67 [2.17- 20] vs combothérapie et HR 6.25 [2.20-20] vs arrêt IS).
  • Âge < 17 ans au diagnostic (HR 3.34 [1.43-7.82].
  • CRP initiale élevée (relation continue avec incrément de 0.1 de l’HR pour chaque 1.0 mg/ml de CRP).
  • Calprotectine fécale > 300 µg/g à baseline (HR 2.62 [1.11-6.18]).
  • CDEIS initiale élevée (chaque point du CDEIS incrémentant l’HR de 0.1).

Un taux de 6TGN > 300 pmol était protecteur de rechute dans le groupe “arrêt de l’IFX”, soulignant la nécessité d’une bonne optimisation du traitement IS lors d’une stratégie de sevrage de l’IFX.

Le taux d’infliximab et d’anticorps anti-infliximab chez les patients retraités étaient superposables à ceux objectivés à baseline confirmant la faible immunogénicité chez des patients en rémission sur le long terme et poursuivant un traitement IS bien équilibré.

Le retraitement par IFX permet une rémission rapide puis son maintien chez une grande majorité de patients rechutant après son arrêt, et ce sans effet immunogène néfaste.

Cette stratégie ne peut cependant pas être considérée comme non inférieure à la poursuite de l'IFX (en combo- ou monothérapie), décourageant une stratégie de traitement par cycles d'IFX qui pourrait avoir des conséquences négatives sur le maintien global de la rémission.

Les facteurs de risque de rechute à l'arrêt de l'IFX sont ceux déjà connus, et comprennent : un jeune âge au diagnostic et des signes biologiques ou endoscopiques d'activité à l'inclusion.

Enfin, l’échec du traitement était défini par au moins l’un parmi ces critères :

  • L’absence de rémission après protocole standardisé d’optimisation bien suivi ;
  • Tout effet indésirable majeur motivant l’arrêt du traitement ;
  • L’apparition d’un abcès intraabdominal (> 3 cm) ou péri-anal (> 2 cm) ;
  • Une occlusion intestinale nécessitant une prise en charge chirurgicale ou endoscopique.

L’échec de traitement a concerné 7/67 (10 %) des patients dans le groupe combothérapie ; 6/71 (8 %) dans le groupe arrêt de l’IFX et 12/69 (17 %) dans le groupe arrêt de l’IS.

Les facteurs de risque d’échec de traitement identifiés diffèrent des facteurs associés à un temps de rémission plus court et l’échec concernait principalement les patients ayant une sténose cliniquement significative à l’induction et/ ou sous traitement par IFX et une CRP initiale élevée dans les 3 bras étudiés. Dans le groupe “arrêt de l’IFX”, le seul facteur de risque d’échec était le tabagisme actif.

Le statut sténosant, le taux de CRP et le tabagisme doivent être pris en compte dans les stratégies de désescalade, et notamment ce dernier si une tentative de sevrage en IFX est envisagée.

Conclusion

En conclusion, la stratégie de désescalade par arrêt de l’IFX ou de l’IS est possible chez les patients atteints d’une maladie de Crohn en rémission sous combothérapie et est à discuter au cas par cas en fonction des facteurs de risques de rechute, d’échec de traitement et des enjeux en cas de rechute, en décision conjointe avec les patients. L’arrêt de l’immunosuppresseur semble être l’option à privilégier dans cette stratégie.


Clémentine ALITTI

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Dr Mathias VIDON
(PH CHI Creteil)

Article paru dans la revue « Association Française des Internes d’Hépato-Gastro-Entérologie » / JJG N°3

Publié le 1699595000000