Louise et Ruben la santé publique

Publié le 13 May 2022 à 13:01

La santé publique ne se restreint pas aux départements d’information médicale de l’hôpital. Louise Bourdel, 27 ans, préfère agir sur les politiques de santé alors que Ruben Elisée se destine à une carrière scientifique. Portraits croisés de ces deux internes de santé publique, respectivement en 7e semestre à Paris et 4e semestre à Lille, qui portent un regard à 360o sur toutes les opportunités de leur spé.

Pas de « vrais médecins ». Plus d’une fois, Louise et Ruben ont entendu cette remarque, par méconnaissance de leur spécialité, la santé publique. Pourtant la démarche est la même qu’un médecin clinicien : « au lieu de poser un diagnostic sur un seul patient, on le pose sur une population », analyse Louise Bourdel interne en 7e semestre à l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (IRDES). « Notre prescription ne sera pas un traitement mais un ensemble de mesures qui vise, lui aussi, à maintenir ou à améliorer l’état de santé de cette population. Notre approche est plus large et collective », poursuit-elle. La santé publique fut une fenêtre découverte au hasard par Louise qui aimait la recherche et se destinait à la pédiatrie à la fin de son externat. Juste avant de faire ses choix, elle discute avec des médecins autour d’elle, pour affiner son choix. « Je me suis rendue compte, qu’en santé publique, aucun ne regrettait sa spé », se souvient-elle. Un premier stage au sein de l’Inserm où elle renoue avec la recherche dans les cancers de l’enfant. Loin de l’hôpital, son quotidien se rapproche alors davantage du travail de bureau. Frustrée ? « Non, le contraste peut déstabiliser au début mais travailler avec d’autres professionnels m’a appris à changer mon regard sur le système. Ce stage fut formateur et m’a aussi fait réaliser que j’avais besoin de plus de concret que ce que pouvait m’apporter la recherche fondamentale ». Elle fait mouche lors de son deuxième stage à l’Inca où elle travaille sur les politiques de santé menées dans la lutte contre le cancer.

Les internes de SP ont bon dos
Ruben Elisée, lui, interne en 4e semestre à l’ARS des Hauts-de-France, visait l’endocrinologie lors de ses premières années de médecine. Un stage en 5e année d’externat lui fait comprendre que ce n’était pas sa voie. « J’ai eu l’impression de n’être qu’un coordinateur de soins plutôt qu’un éducateur thérapeutique même si j’avais conscience que c’était intrinsèque à mon service et que cela se passait sûrement différemment ailleurs, confie-t-il. Suivre les protocoles ne m’intéressait pas. J’avais besoin de réfléchir si ce protocole était pertinent et pourquoi. Le choix de la santé publique était alors évident ».

Les internes de SP ont bon dos. « Parce que l’on n’a pas de gardes, certains disent que l’on travaille moins. C’est faux ! », corrige Louise avant de poursuivre : « Je passe beaucoup de temps à me former car la santé publique n’est pas vraiment enseignée pendant l’externat. Après un master de Santé Publique et un DU de droit de la santé, je suis actuellement en master de droit et politiques de santé ». Pour décompresser, elle s’échappe de Paris dès qu’elle peut pour faire de la voile. Et son engagement dans le monde associatif lui permet aussi de prendre du recul sur ses études : « faire partie du CLISP1 m’a permis d’échanger avec d’autres internes de santé publique et de travailler ensemble à valoriser notre spécialité ».

Le parcours santé publique
60 à 80 internes intègrent chaque année le DES de santé publique. Celui-ci dure 4 ans, structuré autour de neuf domaines d’enseignement :
• Biostatistique ;
• Épidémiologie et méthodes en recherche clinique ;
• Informatique biomédicale et e-santé ;
• Gestion de la qualité, des risques et de la sécurité des soins ;
• Économie, administration des services de santé ;
• Politiques de santé ;
• Sciences humaines et sociales ;
• Environnement et santé ;
• Promotion de la santé.

De la Roumanie aux Etats-Unis
Ruben est plutôt une force tranquille : « j’ai souvent des horaires de bureau, ce qui me laisse du temps pour mes intérêts personnels ». En l’occurrence pour la musique, Ruben étant violoncelliste. Si le rythme de Ruben est moins soutenu actuellement, il fut intense dès sa deuxième année de médecine où il intègre l’école de l’Inserm-Bettencourt pour suivre un master en immunologie fondamentale avant de rentrer à l’école interdisciplinaire européenne Frontières du Vivant où il passe son doctorat à seulement 21 ans. L’interdisciplinarité et le milieu scientifique le séduit et le conduit à choisir la santé publique. Après une année d’internat, Ruben refait une césure, pour voir autre chose, ailleurs. Une disponibilité de deux ans pour découvrir la médecine de mode de vie appelée Lifestyle medecine. « Je suis parti au Portugal, en Roumanie et aux Etats-Unis où je suis resté 18 mois. J’ai pu observer une autre pratique de la médecine, qui concilie une approche nutritionnelle, sociale, l’activité physique ainsi que les thérapies cognitivo-comportementales. C’est très poussé dans l’accompagnement clinique », explique-t-il.

Chevilles entre médical et administratif
Les médecins de santé publique font la jonction entre le monde médical et administratif. « Les médecins viennent à l’ARS pour faire part d’une idée, d’un projet. S’ils ne trouvent que des administratifs en face d’eux, ce sera un dialogue de sourds car ils ne parlent pas du tout le même langage. Le médecin de santé publique comprend les uns et les autres, nous sommes la cheville entre le médical et l’administratif », résume Ruben. Quand on lui demande de se projeter sur la fin de l’internat, Ruben répond par l’éventualité d’un DESC en addictologie ou en nutrition, sans tracer précisément de plan de carrière afin de laisser toutes les fenêtres ouvertes. Louise, elle, finit son internat en mai prochain et n’a plus de doute sur sa spécialité. « Je suis passionnée par la santé publique, l’évaluation des politiques de santé, leur application concrète et leur impact, j’ai l’impression de pouvoir vraiment agir sur la santé des gens ». Elle penche d’ailleurs pour l’action territoriale plutôt que nationale. « Je sais qu’il y a peu de postes de médecin de SP en collectivité territoriale mais c’est là où j’aimerais travailler. Comment, au niveau d’un quartier ou d’une ville, peut-on prendre en compte la santé de la population dans l’ensemble des politiques publiques ?». Avant d’ajouter « La santé publique est un monde en devenir, c’est à nous de créer les opportunités ! ».

Les débouches en SP
Le Collège de liaison des internes de santé publique (CLISP) a publié une enquête pour connaître les débouchés des internes en santé publique dont les résultats furent publiés en février 2019 dans la Revue d’Epidémiologie et de Santé Publique2. Les deux principales structures d’exercice sont les établissements publics de santé (56 %) et l’administration publique (16 %). Leurs principaux domaines d’activité sont : le regroupement en épidémiologie, recherche clinique, biostatistiques (37 %), l’information médicale (19 %), les politiques de santé et l’organisation des soins (14 %).

1 Collège de liaison des internes de santé publique : https://clisp.fr/
2 J. Guerra, F. Dugué, Revue d’Épidémiologie et de Sante Publique 67 (2019) 106–113

Article paru dans la revue “Le magazine de l’InterSyndicale Nationale des Internes” / ISNI N°23

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