Loi Jardé : pour en savoir plus

Publié le 30 May 2022 à 10:37

 

Le Professeur Olivier JARDÉ, orthopédiste de formation (ancien député) en collaboration avec le Professeur François LEMAIRE sillonnent la France des congrès pour expliquer une loi qui semble déranger, alors qu’elle a été écrite dans un but de simplification et d’harmonisation dans un contexte international qui intègre les spécificités européennes et les exigences anglo-saxonnes. Nous vous faisons le compte rendu de cette conférence organisée à l’initiative de l’I.F.M.K. St Michel-Paris le 13 février 2018.

Textes de référence
• LOI n° 2012-300 du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine.
• Décret n° 2016-1537 du 16 novembre 2016 relatif aux recherches impliquant la personne humaine.
• Décret n° 2017-884 du 9 mai 2017 modifiant certaines dispositions réglementaires relatives aux recherches impliquant la personne humaine-précise le champ des recherches impliquant la personne humaine soumises à l’avis des comités de protection des personnes et, le cas échéant, à l’autorisation de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicalement. Il explicite à cette fin la notion de « développement des connaissances biologiques ou médicales. Il simplifie également le dossier de demande d’avis pour des recherches non interventionnelles qui consistent en des réponses à des questionnaires ou à des entretiens, dont une grande partie correspond à des thèses ou des mémoires d’étudiants professionnels de la santé.
• Arrêté du 3 mai 2017 fixant la liste des recherches mentionnées au 2° de l'article L. 1121-1 du code de la santé publique.

Un peu d’histoire
La loi antérieure, la loi HURIET de 1988, ne correspondait plus aux standards actuels.
• Elle était impactée par de nombreuses lois : directive européenne en 2001, loi KOUCHNER, lois de bioéthique (7 août 2004), de santé publique (14 août 2004), sur la recherche, sur la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Ces lois se contredisaient.
• La recherche de façon globale a évolué. En 1988 la loi était innovante mais portait sur la recherche tournée vers le médicament. Mais depuis il y a eu une évolution de la recherche : la recherche observationnelle a explosé et n’était pas prise en compte par la loi HURIET.
• Autre problématique : lorsqu’on publiait à l’international, il manquait l’avis du comité de protection des personnes (CPP) et du comité éthique…

Champ d’application
La loi « JARDÉ » écrite en collaboration avec le Pr François LEMAIRE est l’une des rares loi qui porte le nom de son auteur en raison de son investissement particulier.

Le champ d’application de la loi JARDÉ est énoncé dans le décret modificatif du 9 mai 2017. Pour que les recherches entrent dans le champ de la loi JARDÉ, il faut qu’elles répondent à 2 critères simultanément :
• La recherche doit porter sur la personne humaine (celles portant sur l’animal sont exclues) ;
• La recherche doit viser au développement des connaissances biologiques et médicales.

La loi JARDÉ définit 3 niveaux de recherche :
• Le niveau 1 (ou Jardé 1) est dit interventionnel, avec risques ; il concerne peu les paramédicaux.
• Le niveau 2 (ou Jardé 2) est dit interventionnel avec risques minimes ; il implique d’ajouter une randomisation ou une modification des pratiques de soins comportant un risque minime.
• Le niveau 3 (ou Jardé 3) est dit non interventionnel ou observationnel.

• A ces niveaux de recherche, correspondent 3 niveaux de consentement :
• Consentement écrit libre et éclairé quand il y a un risque pour le niveau 1 ;
• Consentement qui peut être exprès, oral ou écrit, libre et éclairé, pour les risques minimes pour le niveau 2 ;
• Consentement qui peut être exprès, oral ou écrit, libre et éclairé, pour les risques minimes pour le niveau 3.

Les 3 niveaux de recherche impliquent de présenter le projet à un comité de protection des personnes (CPP). Les niveaux 2 et 3 relèvent d’une procédure allégée.

Les 3 niveaux ont besoin d’un promoteur (personne physique ou morale qui prend l’initiative d’une recherche impliquant la personne humaine, qui en assure la gestion, qui vérifie que son financement est prévu et qui détermine les finalités et les moyens des traitements) et d’un investigateur (personne qualifiée qui dirige, surveille ou réalise le travail de recherche selon le niveau). Dans le cadre de nos travaux de fin d’étude, un étudiant en masso-kinésithérapie est dans l’impossibilité d'être investigateur. Dans ce cadre, l'investigateur peut être le maître de stage (formateur ou équivalent), en tant que personne qualifiée ; l'étudiant pouvant éventuellement être "co-investigateur".

Les niveaux 1 et 2 doivent bénéficier d’une assurance, pas le niveau 3.

Le tableau reprend ces différentes notions de manière synthétique.

Approche synthétique de la loi JARDÉ

Recherche avec des risques minimes Qu’est-ce qu’un risque minime ? L’arrêté du 12 avril 2018 précise qu’il s’agit « des recherches portant sur des personnes saines ou malades et comportant un ou plusieurs actes ou procédures dénués de risques mentionnés sur la liste figurant en annexe 1 du présent arrêté » (encadré 1). « L’absence de risque s’apprécie notamment au regard du sexe, de l’âge, de la condition physique et de la pathologie éventuelle de la personne se prêtant à la recherche, ainsi que des risques connus prévisibles des actes ou procédures, de la fréquence, de la durée et des éventuelles combinaisons de ces actes ou procédures et des éventuels produits administrés ou utilisés ».

Quelques interventions sans risque (comme le recueil d’urine) ont été rétrogradées, sorties de la liste et sont passées en niveau 3 lors de la modification de la loi.

Les ouvertures permettant la recherche par nos étudiants
Pour régler certains problèmes notamment concernant la cosmétologie, le décret du 9 mai 2017-884 donne des ouvertures. Ainsi « Ne sont pas des recherches impliquant la personne humaine au sens du présent titre les recherches qui, bien qu'organisées et pratiquées sur des personnes saines ou malades, n'ont pas pour finalités celles mentionnées au I, et qui visent » :
• À effectuer des enquêtes de satisfaction du consommateur pour des produits cosmétiques ou alimentaires ; par extension l’étudiant MK peut interroger des patients sur une manœuvre effectuée ;
• À effectuer toute autre enquête de satisfaction auprès des patients ;
• À réaliser des expérimentations en sciences humaines et sociales dans le domaine de la santé.

La problématique posée par les travaux de recherche des étudiants infirmiers comme des étudiants en masso-kinésithérapie est la même que la problématique posée par les 5000 thèses d’internes annuelles. L’article 4 du décret du 9 mai ouvre une perspective d’avenir en stipulant que « les autres catégories de recherches non interventionnelles font l'objet, en tant que de besoin, d'une définition prise par arrêté du ministre chargé de la santé ».

La rédaction du protocole est très importante et doit cibler essentiellement le niveau 3 ou le hors champ si on ne souhaite pas trop alourdir la démarche (assurance, etc.). Si le protocole stipule « Je revois le patient comme d’habitude » la recherche est de niveau 3 mais s’il est écrit « je fais à l’occasion de la visite du patient des examens particuliers ou hors recommandations de la HAS », la recherche passe en niveau 2 avec beaucoup plus de contraintes.

De même à aucun moment il ne doit y avoir le mot « recherche » mais « rapports de stage » ou « Étude de cas » ou « comparaison de technique dans le cadre des travaux demandés autour des stages ». L’utilisation d’un outil de mesure non-invasif (goniomètre, dynamomètre, accéléromètre, etc.) relève du niveau 3 puisque son utilisation est courante.

Le questionnaire
Les questionnaires qui rentrent dans le champ de la loi JARDÉ peuvent être de :
• Niveau 1 – si le questionnaire entraîne des risques importants, (risque suicidaire dans le domaine psychiatrique principalement) ;
• Niveau 2 - risque minime (risque de provoquer un état dépressif par une prise de conscience d’un désavantage) ;
• Niveau 3 - aucun risque (scores fonctionnels par exemple).
Hors champ - Rétrospectives de données ou reprises de dossiers. Ce travail est à soumettre au guichet du CEREES (MR 003).

Les exclusions de la loi (le hors champs)
Les domaines suivants ne relèvent pas de la loi JARDÉ et sont classés hors champ :
• Les recherches portant sur les pratiques professionnelles ou les pratiques d’enseignement ;
• Les recherches à partir de données déjà collectées (exemple il est possible de faire une recherche sur des patients porteurs d’une prothèse de hanche revus à 1 an avec demande de radios de contrôle (protocole habituel, recommandations HAS…).

Il est possible de faire une recherche en convoquant les patients ou en utilisant des données dans des dossiers. (Ces données doivent avoir été recueillies en conformité avec la réglementation – CNIL voir infra).

Le comité de protection des personnes (CPP)
Mis à part les études hors du champs de la loi JARDÉ, l’avis du comité de protection des personnes (CPP) est obligatoire. Le promoteur doit dans un premier temps obtenir un numéro ID-RCB auprès de l’ANSM (numéro identifiant chaque recherche réalisée en France). Pour cela il fait l’URL suivante : https://ictaxercb.ansm.sante.fr/Public/index.php.

Le projet de recherche est ensuite soumis par le promoteur auprès d’un des 40 CPP désigné de manière aléatoire (pour information il y a 200 CPP en Belgique). La procédure est allégée en passant par le site https://vrb.sante.gouv.fr/vrb/. Le CPP a un délai de 45 jours maximum pour répondre. Lorsque le CPP a statué, il est possible de faire appel dans le mois qui suit la réponse.

Il existera une procédure accélérée plus simplifiée pour le niveau 3. Il n’y aura pas de dossier à soumettre mais une page internet à remplir qui comprendra le nom de l’investigateur, le titre du projet, le résumé du projet et le type de recherche : prospective, données de santé, …

Cette procédure sera opérationnelle en 2019.

La CNIL
La CNIL s’est protégée car il existe des millions de fichiers de bases de données dans tous les domaines, et elle a essayé de limiter le flot de recherches qui lui était proposé. En 1996, ils ont proposé la création des méthodologies de références (MR). Le délégué CNIL local de chaque I.F.M.K. est responsable du respect des conditions de la CNIL.
• La MR 001 (1ère méthodologie de référence) qui concerne les recherches interventionnelles a été écrite en 2006.
• La MR 0031 encadre les traitements comprenant des données de santé, réalisés dans le cadre de recherches pour lesquelles le patient ne s’oppose pas à participer après avoir été individuellement informé. Le responsable de traitement s’engage à ne collecter que les données strictement nécessaires et pertinentes au regard des objectifs de la recherche.
• Le site officiel de la CNIL donne toutes les indications2 .
• Une recherche qui ne respecte pas les conditions CNIL peut entraîner une peine de 5 ans de prison, le non-respect de la loi JARDÉ, peut entraîner 3 ans de prison.

Encadré 1 : extrait de la liste des interventions réalisées pour les besoins de la recherche dont la réalisation ne comporte que des risques et des contraintes minimes.
1.Recueil supplémentaire et minime d’éléments ou de produits du corps humain effectué, à l’occasion d’un prélèvement de ces éléments et produits réalisé dans le cadre du soin, pour les besoins spécifiques de la recherche.
2.Recueil d’éléments de produits du corps humain qui ne présentent aucun caractère invasif et qui ne sont pas prélevés dans le cadre du soin.
3.Ecouvillonnage superficiel de la peau, du nez, du conduit auditif, de la cavité buccale incluant l’oropharynx, de l’orifice anal et des stomies.
4.Recueil par capteurs extracorporels non invasifs.
5.Enregistrements audio, vidéo, photographiques hors imagerie médicale.
6.Recueil de données électrophysiologiques.
7.Mesures anthropométriques sans intervention invasive.
8.Entretiens, observations, tests et questionnaires.

Encadré 2 : Comité d’Expertise pour les Recherches, les Études et les Évaluations dans le domaine de la Santé (CEREES)

La loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé prévoit, dans son article 193, que la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) autorise les études et évaluations et les recherches n’impliquant pas la personne humaine après avis du Comité d’Expertise pour les Recherches, les Études et les Évaluations dans le domaine de la Santé (CEREES). Cet avis facilite l’instruction du dossier par la CNIL, en l’éclairant sur les aspects méthodologiques et scientifiques du dossier.

Plus précisément, le CEREES émet un avis sur la méthodologie retenue, sur la nécessité du recours à des données à caractère personnel, sur la pertinence de celles-ci par rapport à la finalité du traitement et, s'il y a lieu, sur la qualité scientifique du projet. Le cas échéant, le comité recommande aux demandeurs des modifications de leur projet afin de le mettre en conformité.

Les membres du CEREES Ils ont été nommés sur proposition d’un comité de sélection pour une durée de trois ans. Le comité se réunira à Paris en session ordinaire plénière mensuelle. La liste des personnes nommées membres du CEREES est indiquée dans l’arrêté du 5 mai 2017.

Elisabeth CROUZOLS, Nathalie NOÉ,
Fabien BILLUART, Pascal GOUILLY

1 Délibération n° 2016-263 du 21 juillet 2016 portant homologation d'une méthodologie de référence relative aux traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre dans le cadre des recherches dans le domaine de la santé ne nécessitant pasle recueil du consentement exprès ou écrit de la personne concernée (MR-003).
2  https://www.cnil.fr/fr/declaration/mr-003-recherches-dans-le-domaine-de-la-sante-sans-recueil-du-consentement.

            Article paru dans la revue “Syndicat National de Formation en Masso-Kinésithérapie” / SNIFMK n°9

Publié le 1653899860000