Lettre aux étudiants futurs médecins : « tous ne mourraient pas mais tous étaient atteints »

Publié le 31 May 2022 à 16:58

Halte à la désertification médicale et à la baisse de qualité de notre système de santé !

Plus que jamais la pandémie met en exergue le manque criant de médecins. Avec 6000 lits de réanimation environ, notre pays n’a eu d’autre choix que de « boucler, reboucler, rereboucler…» l’économie. Par-delà les modalités d’exercice c’est la pénurie généralisée de médecins. Jusqu’à 1/3 des EHPAD n’ont pas de médecin coordonnateur, des préfectures n’ont qu’un seul cabinet de dermatologie voire aucun, des cantons entiers n’ont pas de médecin généraliste, des spécialités telle la MPR sont en passe de disparaitre… A ce jour, tout le monde s’accorde pour dire que nous ne sommes plus le meilleur système de santé du monde, et même loin de là. Par-delà l’évidente surreprésentation administrative où le trop plein n’est que le reflet d’une bureaucratisation de la guidance de l’hôpital ; nous ne pouvons pas ne pas nous poser la question de la formation de bras pour nos hôpitaux.

Depuis les années 1970, le malthusianisme médical a considéré que la réduction de l’offre médicale permettait de gérer une demande excédentaire et de réduire les surcoûts du service de santé. Depuis les années 2000, les populations ont conduit les acteurs des politiques publiques à reconnaître le manque global de médecins. La longueur des études et le manque de formateurs ont justifié plus de 20 ans d’inaction démographique nous amenant à l’état actuel.

Réclamons un choc démographique avec +100 % d’étudiants en deuxième année d’études médicales : c’est possible dès cette promotion ! Ne pas le faire serait criminel !

Augmenter le nombre d’étudiants formés implique de repenser la formation médicale. Qui doit être un médecin (un dentiste, une sagefemme, un pharmacien) ? Ce doit être un professionnel compétent : qui n’a pas peur de prendre ses responsabilités, qui connait le patient en pratique, sait travailler seul comme en équipe, à qui on a donné accès aux savoirs et aux techniques (anciens ou novateurs) et qui, stable sur ses bases, peut apprendre de lui-même. Nous formons des praticiens efficaces, pas des ingénieurs en soin ! Nous faisons de la formation professionnelle, pas de la culture hors sol !

Remplir ce double objectif de quantité et de qualité nécessite une révolution mentale des confrères enseignants comme des politiques.

Il faut un équilibre de la formation entre savoirs universitaires d’une part, savoir être et prise de responsabilité à l’hôpital d’autre part, ceci ne peut de se faire que dans des équipes « hospitalo-universitaires » qui aillent au-delà de simples délégations de tâches unilatérales de la Faculté à l’Hôpital.

J’entends dire par certains que de toute façon nous n’avons pas la place de les accueillir. Je doute que dans un pays où l’on n’hésite pas à avoir des promotions de 2000 sociologues par an dans certaines universités, nous ne puissions pas avoir des promotions de 300 médecins dans certaines UFR ! Un équilibre doit être trouvé entre des étudiants seuls chez eux à déprimer et entassés dans un amphi à dormir. Quels cours sont pertinents en amphi, à l’hôpital, en webinaire ? Comment mieux former les enseignants à l’usage des nouvelles technologies, aux principes d’ergonomie logicielle ? Les étudiants professionnalisés doivent certes accéder à une informatique opérationnelle pour un coût limité.

QUELQUES PISTES PRATIQUES À PROPOSER À NOS POLITIQUES ET NOS UNIVERSITAIRES POUR AGIR DÈS LA RENTRÉE PROCHAINE
Mieux coordonner l’hôpital et l’université
Saisissons l’opportunité pour améliorer la formation
Responsabiliser au plus tôt les étudiants à l’hôpital : Mise en place d’un statut hospitalier de pleine responsabilité pour les étudiants à partir de la 4ème année d’études médicales. C’est possible : la gestion de la COVID 19 l’a montré.

Stages de 6 mois en affectation fixe durant la période, décalés de 1 mois avec les internes, avec responsabilité de la tenue de l’observation médicale et de la remontée de la pharmacovigilance, aides opératoires, réalisation des gestes d’urgence, suivi des activités du service, formation à l’hygiène et au savoir être. Ce statut hospitalier va dégager du temps pour les praticiens qui en retour pourront proposer des activités de tutorat et utiliser pleinement les nouvelles valences d’enseignement intégrant le statut.

Partager le travail, augmenter les synergies
Mise en place d’équipes hospitalo-universitaires basées sur le principe « à même fonction, même reconnaissance ».
Structurer une capacité d’enseignement agile et efficiente, c’est possible avec la règlementation actuelle : recours aux valences d’enseignement prévues pour les praticiens hospitaliers et attribution de postes de professeur associé (plus particulièrement aux détenteurs d’HDR, responsables ou créateurs de diplômes universitaires, les praticiens responsables d’enseignement dans d’autres sciences) pour une meilleure porosité entre les carrières hospitalières et universitaires.

Adapter la formation aux besoins 
Professionnalisation de la formation en répondant aux évolutions du métier.
Refonte complète de la répartition par spécialité des postes universitaires avec une meilleure prise en compte des besoins de santé publique et de formation, notamment des pratiques et disciplines émergentes cliniques ou fondamentales (« techno thérapie » : application des modalités illisibles sujettes à tous les conflits d’intérêt possibles. Nous ne pouvons continuer à encourager un système de boites privées et onéreuses de bachotage en parallèle d’un désengagement de l’université. Il est temps de réfléchir à la mise en place d’un examen classant national de fin de première année sur un programme précis et avec des modalités claires remotivant les enseignants et étudiants pour la qualité et la compétitivité de nos facultés.

EN CONCLUSION
Dans son mode de fonctionnement actuel, l’université est incapable seule de résoudre les besoins en formation de professionnels médicaux. Un investissement accru des hospitaliers compensé par la participation accrue des étudiants aux missions hospitalières et le principe « à même travail même reconnaissance » : est la voie du succès pour la relance de notre système de santé exsangue. Il faut casser la bureaucratie et la nomenclatura de la santé comme celles de l’enseignement, briser les silos, pour nous permettre à tous de respecter au mieux notre devoir de transmission envers ceux qui prendront notre relai.

Dr Pierre RUMEAU
Secrétaire général

adjoint du SNPHCHU

Article paru dans la revue « Intersyndicat National Des Praticiens D’exercice Hospitalier Et Hospitalo-Universitaire.» / INPH21

Publié le 1654009081000