Les pontages coronaires : mise au point et actualité

Publié le 24 May 2022 à 16:34


Introduction

Le premier pontage aorto-coronaire, à l’aide d’un greffon veineux saphène, fut réalisé en mai 1967 par le Dr René Favaloro (1). La technique chirurgicale s’est ensuite améliorée durant les années 70’S, notamment grâce aux travaux du Dr George Green avec l’utilisation de greffons artériels. C’est finalement en 1986 que l’équipe du Dr Floyd Loop démontrera les excellents résultats à long terme du pontage de l’artère interventriculaire antérieure par l’artère thoracique interne gauche. Cette technique deviendra le gold-standard de la prise en charge chirurgicale de la pathologie coronaire (1). La cardiopathie ischémique est responsable de 7 millions de décès par an au niveau mondial, soit 15 % des décès, toutes causes confondues (2). En France, en se basant sur le registre EPICARD (SFCTCV), le nombre de chirurgies pour pontages isolés a diminué ces dernières années. Ceci s’explique par l’augmentation importante des chirurgies combinées (valvulaire et coronaire). Ainsi, le nombre global de pontages réalisés en France est stable depuis plusieurs années autour de 15000 patients par an (3).

Indications
Recommandations ESC :

Coronaropathie stable Chez les patients présentant une pathologie coronaire stable, la revascularisation coronaire, par traitement percutané ou par pontages chirurgicaux, a montré sa supériorité en termes de mortalité et d’incidence d’infarctus du myocarde par rapport à un traitement médical seul (4, 5).

Plusieurs études tentent de comparer une prise en charge chirurgicale à une prise en charge percutanée pour les pathologies coronaires stables. Sur les dix dernières années, nous pouvons citer six études (SYNTAX, Boudriot, PRECOMBAT, BEST, NOBLE, EXCEL). Aucune d’entre elles ne retrouve de résultats significatifs pour leur critère de jugement principal, même si la chirurgie l’emporte pour cinq d’entre elles en valeur absolue. Cependant, certains critères secondaires ressortent avec notamment une amélioration significative du risque d’infarctus du myocarde, en faveur de la chirurgie (6).

Le choix entre un traitement percuté ou chirurgical doit tenir compte de plusieurs facteurs :

  • Risque de mortalité chirurgicale, qui peut être évalué par le score de la société de chirurgie thoracique : Society of Thoracic Surgeons (STS score - https://bit.ly/30U02Ot) ou le score européen : European System for Cardiac Operative Risk Evaluation (EuroSCORE II - www.euroscore. org/calc.html).
  • Complexité des lésions : utilisation du score SYNTAX (Synergy between PCI with TAXus and cardiac surgery trial - http://www.syntaxscore.com). Il s’agit d’un score purement anatomique tenant compte des lésions coronaires et classant les patients en trois groupes : complexité anatomique faible – intermédiaire – élevée. Ce score se veut être un facteur prédictif indépendant de survenue d’événements cardiologiques et neuro-vasculaires chez les patients pris en charge par angioplastie. Ainsi, les patients ayant un score SYNTAX élevé présentent un risque important de récidive d’événements cardiovasculaires, il convient de privilégier alors chez ces patients une prise en charge chirurgicale (Figure 2) (6).
  • Présence de comorbidités : notamment le diabète.
Arguments en faveur d’une prise en charge par
ANGIOPLASTIE Arguments en faveur d’une prise en charge 
CHIRURGICALE
  • Patient présentant de nombreuses comorbidités – Âge avancé
  • Coronaropathies multi-sites avec un score SYNTAX < 22
  • Revascularisation incomplète par voie chirurgicale
  • Patient présentant des difficultés à une prise en charge chirurgicale : déformation sévère du rachis – Séquelles de radiothérapie – Aorte porcelaine.
  • Patient diabétique.
  • FEVG < 35 %.
  • Lésions coronaires très calcifiées.
  • Coronaropathies multi-sites avec un score SYNTAX > 23.
  • Revascularisation incomplète par traitement percutané.
  • Contre-indications à une prise en charge percutanée.
  • Resténose intra-stent.
  • Patient présentant une autre indication à une chirurgie cardiaque (geste valvulaire – geste sur l’aorte), nous opterons alors pour une chirurgie combinée.

Cas particulier : Pontage et SCA
Dans le cadre d’un SCA avec sus décalage du segment ST, les pontages coronaires peuvent être indiqués en cas d’ischémie persistante avec de larges plages d’hypokinésie/dyskinésie ventriculaire et impossibilité à réaliser une angioplastie de l’artère coronaire responsable du tableau clinique (Recommandation IIa – ESC 2018).

Cas particulier : Pontage et Choc cardiogénique
En cas de choc cardiogénique d’origine ischémique, le traitement de première intention reste l’angioplastie de l’artère coronaire coupable. L’étude SHOCK a pu comparer la mortalité après choc cardiogénique ischémique pris en charge par angioplastie ou par pontage. Elle retrouve une mortalité comparable entre les deux groupes (8). L’ESC recommande de réserver les pontages en urgence au cas où l’anatomie coronaire ne permet pas une angioplastie satisfaisante (Recommandation I – ESC 2018).

Cas particulier : Pontage et Indication à une chirurgie valvulaire
Chez un patient présentant une indication à une chirurgie valvulaire (mitrale ou aortique), l’ESC recommande d’y associer un pontage coronaire à partir du moment où il existe une sténose coronaire > 70 % (recommandation grade I – ESC 2018). A l’inverse, un patient chez qui une indication de pontages coronaires est retenue, il est indiqué d’y associer un geste au niveau de la valve aortique en cas de sténose aortique ou un geste sur la valve mitrale en cas d’insuffisance valvulaire mitrale sévère avec une FEVG > 30 % (recommandation grade I – ESC 2018).

Aspect chirurgical
Généralités
Chirurgicalement, toute artère coronaire présente à la surface de l’épicarde, ayant un diamètre ≥ 1,5 mm et une sténose > 50 % peut être pontée. L’objectif d’un pontage coronaire est de supplémenter un réseau coronaire déficitaire. Afin d’assurer cette suppléance sur le long terme, certains points sont primordiaux pour garantir la perméabilité des pontages :

  • L’évaluation préopératoire du degré de sténose par FFR est déterminante pour assurer une bonne fonction du greffon.
  • Le type de greffon utilisé est décisif. Il est largement démontré que les greffons artériels (artères thoraciques internes et artères radiales) offrent une meilleure perméabilité au long terme par rapport aux greffons veineux (9). En revanche, le prélèvement des deux artères thoraciques internes augmente le retard de cicatrisation, de désunion sternale et de médiastinite.

Prélèvement des greffons
Les artères thoraciques internes
L’artère thoracique interne est la deuxième collatérale de l’artère sous-clavière (après l’artère vertébrale) et chemine le long de la paroi interne du thorax. Elle est accessible, après sternotomie, en disséquant le plan entre la paroi thoracique et la plèvre pariétale. Le prélèvement peut se faire de manière pédiculisée (prélèvement du paquet artério-veineux en un seul bloc) ou squelettisée (prélèvement de l’artère en laissant la veine thoracique interne en place). Le prélèvement squelettisé est plus long et expose à un risque plus important de lésion traumatique de l’artère mais a l’avantage de diminuer le risque de médiastinite (10).

L’artère radiale
Le prélèvement de l’artère radiale impose de s’assurer de l’existence d’une bonne collatéralité entre l’artère radiale et l’artère ulnaire afin de ne pas mettre en jeu la vascularisation de la main (test d’Allen). L’artère radiale est toujours prélevée de manière pédiculisée afin de limiter le risque de spams vasculaire post-traumatique. Ce greffon représente une alternative efficace aux artères thoraciques internes, lorsque celles-ci sont de mauvaise qualité, difficiles d’accès, si le patient présente un risque de complication sternale trop important ou enfin s’il y a besoin d’un troisième greffon artériel. En revanche l’artère radiale, par sa paroi plus rigide, est très sensible au flux compétitif. Ainsi, sa perméabilité au long terme est compromise si la sténose coronarienne est < 70 %. Il est donc préférable de l’anastomoser sur des artères présentant des sténoses > 70 % et idéalement > 90 %. Plusieurs études tentent de démontrer la supériorité du greffon radial par rapport aux greffons veineux. En termes de perméabilité des pontages sur les coronarographies de contrôle et de survenue d’évènements cardiaques, le greffon radial présente des résultats significativement supérieurs aux greffons veineux. Cependant, cette différence significative n’est pas retrouvée si nous nous attachons à la mortalité toutes causes confondues (11).

Les greffons veineux
Le principal greffon veineux utilisé est la veine saphène interne. Son prélèvement est réalisé majoritairement à ciel ouvert. De même que les greffons artériels, la règle du « no touch » doit être respectée le plus possible lors du prélèvement, car elle conditionne la perméabilité du pontage.

Quels greffons choisir in fine ?
Les recommandations et les pratiques sont unanimes en ce qui concerne l’importance de réaliser un premier pontage artériel, à l’aide de l’artère thoracique interne gauche préférentiellement, sur l’artère interventriculaire antérieure.

Pour les pontages suivants, le choix du greffon appartiendra au chirurgien. Celui-ci tiendra compte pour cela de l’espérance de vie du patient, de ses facteurs de risque de complications sternales (fragilisé par le double prélèvement mammaire) et de l’anatomie coronaire.

L’implantation des greffons
Afin de supplémenter le réseau coronaire défectueux, le rôle du pontage est d’acheminer un nouvel apport sanguin. La source du pontage peut être la source native du greffon. C’est le cas des greffons thoraciques internes. En effet, dans ce cas de figure, la partie proximale du greffon est laissée en place au niveau de l’artère sous-clavière. Le sang cheminera donc à travers l’artère sous-clavière, puis le pontage, pour enfin rejoindre le réseau coronaire. La source peut également être l’aorte ascendante.

Il s’agit notamment des greffons pris à distance du thorax (radial ou saphène) mais également des greffons thoraciques internes si leur longueur, en restant rattachés à l’artère sous-clavière, ne permet pas d’atteindre d’artère coronaire voulue. Dans ce cas de figure le greffon est entièrement retiré de son site d’origine et est anastomosé en proximal à l’aorte et en distal au réseau coronaire (Figure 1). Enfin, la source peut naître d’un autre pontage. Il s’agit alors d’un montage dit en « Y ». Le greffon est anastomosé dans sa partie proximale à un précédent greffon. Ce dernier alimentera donc deux anastomoses coronariennes.

Les pontages à coeur battant
En 2013, deux études randomisées ont comparé les chirurgies off-pump et on-pump (12,13). Il n’a pas été montré de différence significative entre les deux techniques au niveau du critère clinique composite prenant en compte notamment l’infarctus du myocardique, les accidents vasculaires cérébraux et la mortalité toute cause confondue à 1 mois et 1 an. Cependant, l’absence de circulation extracorporelle a montré un avantage en termes de mortalité chez les patients présentant une insuffisance rénale terminale (14). Le choix de cette technique doit donc essentiellement tenir compte des comorbidités du patient. Le choix de cette technique semble de moins en moins être privilégié (Figure 2). Lorsque que la technique on-pump est choisie, il est important de limiter la manipulation de l’aorte en réalisant un seul clampage aortique, ceci afin de réduire au mieux le risque de désinsertion des plaques d’athérome au niveau aortique et donc d’événements emboliques.


Figure 2 : Évolution de la pratique du pontage à coeur battant en fonction des années (3)

Résultats
Évaluation des pontages
En peropératoire, il est possible d’apprécier le bon fonctionnement des pontages par l’échographie trans-oesophagienne (synectique ventriculaire) et l’ECG (repolarisation). Il existe également des techniques de doppler peropératoire permettant d’évaluer de manière fiable le débit à l’intérieur des pontages et ainsi de corriger immédiatement une anomalie de montage en cas de débit insuffisant.

Évaluation à distance : La Haute autorité de santé préconise la réalisation, chez les patients présentant une pathologie coronarienne stable revascularisée, une échographie de stress à 6 mois de la revascularisation (Classe IIb, Niveau C). Celle-ci a pour objectif de détecter une resténose après stenting ou l’occlusion d’un pontage, quels que soient les symptômes (15).

Complications
La thrombose précoce des pontages peut être liée à un greffon de mauvaise qualité, à un échec de l’anastomose, à un trop faible débit du pontage ou, à l’inverse, à un flux compétitif trop important. Dans le cas d’une thrombose précoce des pontages, cliniquement symptomatique, la prise en charge de première intention est la coronarographie avec angioplastie des coronaires ou des pontages en lien. Lorsque l’anatomie coronarienne rend l’angioplastie impossible ou lorsqu’il s’agit d’une occlusion complète et étendue d’un pontage, ou enfin lorsque la cause identifiée est l’anastomose vasculaire, nous pouvons avoir recours à une nouvelle chirurgie (ESC 2018).

La thrombose à distance des pontages est liée à la progression de la pathologie coronarienne en elle-même où à l’apparition d’une « pathologie » au niveau des greffons.

L’option thérapeutique de choix reste le traitement percutané. Cependant, il n’est pas recommandé de réaliser une angioplastie sur les pontages veineux. En effet, du fait du caractère trop friable de l’athérome sur les parois veineuses, le risque emboligène per-procédure est très important. Lorsque celui-ci est impossible, nous pouvons proposer des nouveaux pontages. Il faut alors privilégier le monopontage au niveau de l’IVA (16).

Résultats à long terme
Les pontages réalisés à partir des artères thoraciques présentent d’excellents résultats à court mais également à long terme. Ces pontages restent en effet perméables dans 90 % des cas à 10 ans (17). Cela renforce l’accent mis sur la réalisation d’au moins un pontage par une artère thoracique interne sur l’artère interventriculaire antérieure. L’utilisation de l’artère radiale permet également d’obtenir de très bons résultats à distance. Celle-ci conserve une perméabilité dans plus de 85 % des cas à 5 ans (18).

En revanche, les pontages réalisés à partir de greffons veineux ont un risque plus important d’occlusion à distance. Cette occlusion précoce des pontages veineux s’explique en partie par l’apparition d’une hyperplasie intimale secondaire à l’adhérence des plaquettes à la paroi veineuse. Cette hyperplasie correspond au stade précoce de l’athérosclérose des pontages veineux.

Conclusion
La prise en charge de la pathologie coronaire est, par la fréquence et la gravité de cette maladie, un enjeu majeur pour les cardiologues et chirurgiens cardiaques. La revascularisation active des lésions coronaires permet d’améliorer considérablement le pronostic de cette pathologie.

Si celle-ci fut initialement décrite par voie chirurgicale, l’engouement actuel pour les prises en charge percutanées pose le problème du choix de technique de revascularisation. Il est pour cela primordiale d’effectuer un bilan exhaustif afin d’apprécier correctement la complexité des lésions coronaires mais également les comorbidités du patient.

Références bibliographiques

  • Bakaeen FG, et al. The Journal of Thoracic and Cardiovascular Surgery 2018.
  • The top 10 causes of death. Disponible sur: https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/the-top-10-causes-of-death
  • PDF_2016_PETIT_LIVRE_ROUGE.pdf [Internet]. Disponible sur :
    https://sfctcv.org/sofrchthcava/wp-content/uploads/2016/06/PDF_2016_PETIT_LIVRE_ROUGE.pdf
  • Fearon WF, et al. Clinical Outcomes and Cost-Effectiveness of Fractional Flow Reserve-Guided
    Percutaneous Coronary Intervention in Patients With Stable Coronary Artery Disease: Three-Year Follow-Up of the FAME 2 Trial (Fractional Flow Reserve Versus Angiography for Multivessel Evaluation). Circulation 2018.
  • Windecker S et al. BMJ 2014.
  • La suite des référence bibliographiques est disponible sur le site du CCF
    http://blog-du-gcf.fr

    Article paru dans la revue “Collèges des Cardiologues en Formation” / CCF N°8

    L'accès à cet article est GRATUIT, mais il est restreint aux membres RESEAU PRO SANTE

    Publié le 1653402874000