Les médecins généralistes et l’usage des technologies de santé mobile

Publié le 18 May 2022 à 20:08

 

Avec la démocratisation des objets connectés et les cent milles applications mobiles dédiées à la santé qui ont été recensées dans le monde en 2013, le secteur de la santé connaît une révolution numérique qui se poursuit.

En 2011, selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la mSanté « regroupe des pratiques médicales et de santé publique reposant sur des dispositifs mobiles tels que, téléphones portables, systèmes de surveillance des patients, assistants numériques personnels et autres appareils sans fils ». La mSanté est une sous-catégorie de la eSanté qui consiste selon l’OMS « à utiliser (…) les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) à l’appui de l’action de santé et dans des domaines connexes, dont les services de soins de santé, la surveillance sanitaire, la littérature sanitaire et l’éducation, le savoir et la recherche en matière de santé ». Les TIC sont définies par l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) comme étant une « combinaison de produits et de services qui capturent, enregistrent et affichent des données et des informations, par voie électronique ».

Le contexte financier actuel des systèmes de santé rend complexe la gestion du vieillissement de la population et de l’augmentation du nombre de patients chroniques. En 2013, une étude réalisée par PriceWaterhouseCoopers (PwC) estimait que l’Union Européenne pourrait économiser jusqu’à 99 milliards d’euros grâce au déploiement des mSanté. Selon l’Institut Montaigne, l’Etat français pourrait économiser à l’horizon 2025, jusqu’à 6,6 milliards d’euros sur le coût du suivi des maladies chroniques grâce à l’utilisation des objets connectés médicaux et notamment grâce à un contrôle plus étroit de l’observance.

En 2007, grâce aux premiers smartphones, un mouvement appelé « quantified self » (automesure) est né. Ces pratiques ont incité certains utilisateurs à vouloir contrôler leurs paramètres vitaux et à devenir acteurs de leur santé. En 2014, 640 000 objets connectés portables (dits « wearables ») ont été vendus en France dont 30 % de traqueurs d’activités (bracelets Fitb t®, Jawbone®…).

Ces sujets font actuellement l’objet de nombreux rapports institutionnels afin d’aider les professionnels de santé dans leur pratique quotidienne mais aussi afin d’identifier ce nouveau phénomène.

Selon une enquête Vidal Isidore réalisée en 2013 auprès des professionnels de santé, les médecins généralistes (MG) étaient les professionnels les plus sollicités par les patients pour analyser le recueil de données d’automesure. Ce recueil se faisait dans 29 % des cas par l’intermédiaire d’un objet connecté. En janvier 2015, 62 % des médecins auraient recommandé des objets connectés dédiés à la santé (OCS) à leurs patients alors que seulement 5 % des patients disaient avoir bénéficié de recommandations dans ce domaine. Par ailleurs, parmi les malades chroniques, 70 % d’entre eux seraient désireux d’utiliser des OCS ou applications mobiles (APPLI) si leur médecin leur en faisait la demande. Les médecins souhaiteraient en outre recevoir une formation dédiée. Enfin, selon eux, le fait de tester eux-mêmes des APPLI ou des OCS pourrait être un levier dans la prescription de mSanté pour les patients chroniques.

L’objectif principal de notre étude était d’identifier les facteurs favorisant le conseil mSanté auprès des patients et notamment d’étudier le lien entre possession d’un OC et la pratique du conseil mSanté par les MG. Notre objectif secondaire était d’étudier la relation entre les MG et ces nouvelles technologies à travers leur perception des bénéfices et des risques liés à leur utilisation.

Matériels et Méthodes
Une étude descriptive transversale déclarative par questionnaire électronique anonyme a été réalisée, auprès de médecins généralistes libéraux et de remplaçants en médecine générale français, du 23 mai au 02 juillet 2016.

Le 23/05/2016, les MG ont été interrogés par différents canaux afin d’augmenter le nombre de réponses et de tenter d’obtenir des opinions variées : le conseil de l’Ordre des médecins (CDOM) de la Loire, Facebook® : groupe « les médecins ne sont pas des pigeons », les mailing lists de 40 associations de formation médicale continue (FMC) de MG.

Les critères d’inclusion étaient : tout MG libéral installé ou remplaçant en MG.

Les MG à orientation particulière : homéopathie, allergologie, nutrition, angiologie, acupuncture ou non omnipraticiens, ont été exclus. Un courrier électronique de présentation conduisait au lien numérique permettant de répondre à un questionnaire.

Une relance a été effectuée pour les utilisateurs du réseau social Facebook®, quinze jours plus tard. Elle n’a pas été possible via le CDOM de la Loire, ni pour les associations de FMC.

Le questionnaire anonyme a été élaboré sur GoogleForm® (https://www.google.com/intl/fr-CA/ forms/about/). Il comprenait quatre parties.

La première partie a permis de recueillir : sexe, âge, département du lieu d’exercice, nombre d’habitants dans la zone du lieu d’exercice, type d’installation. Après une note explicative décrivant ce que nous considérions comme étant un objet connecté (OC), la seconde partie a permis d’effectuer le relevé du nombre d’OC possédés par les MG, et la nature de ces derniers via une question subsidiaire. La troisième partie s’est intéressée à l’éventuel conseil en mSanté donné par les MG et le souhait d’en parler avec les patients. La quatrième partie s’intéressait aux bénéfices et risques de ces technologies perçus par les MG. Le questionnaire a été testé auprès de six internes et MG sans lien direct avec l’étude afin d’en améliorer sa compréhension et sa faisabilité. Le critère principal de jugement était la fréquence du conseil mSanté auprès des patients. On entendait par pratique du conseil mSanté, le fait d’avoir conseillé au moins une fois à leurs patients soit une APPLI, soit un OCS ou les deux.

Les critères secondaires étaient : le fait d’être favorable à la prescription d’OCS ou d’un tensiomètre connecté et le fait de posséder un objet connecté. Nous souhaitions comparer la vision qu’avaient les MG des bénéfices et des risques liés à l’usage des technologies de mSanté selon nos différents critères de jugement. Les données ont été recueillies par extraction du formulaire GoogleForm®. Une déclaration simplifiée à la CNIL a été enregistrée le 11 avril 2016 : N°1947385v0.

Pour l’analyse descriptive, les variables quantitatives et qualitatives étaient exprimées sous forme d’effectifs et de pourcentages. Pour comparer les caractéristiques quantitatives de la population d’étude, le test de Student a été utilisé. Pour les variables qualitatives le test du Khi2 a été utilisé. Lorsque cela était possible nous avons dichotomisé les données afin d’en faciliter la comparaison. La saisie des données s’est faite grâce au logiciel Excel® 2010. Les analyses statistiques univariées et multivariées ont été réalisés avec le logiciel STATA TM®. Une régression logistique pas-à-pas descendante a été effectuée pour mettre en évidence les facteurs influençant les variables d’intérêt principales. L’adéquation du modèle a été vérifiée par le test d’Hosmer et Lemeshow. Le seuil de significativité des tests statistiques a été fixé à 0,05.

Résultats
Sur les 399 questionnaires extraits, 377 ont été exploités. 22 MG ne répondaient pas aux critères d’inclusions.

Population
L’échantillon comptait 377 MG installés ou remplaçants, âgés en moyenne de 44 ans, hommes et femmes à part presque égale. Près de 80 % étaient installés, depuis 16 ans en moyenne, 20 % étaient remplaçants ; 45 % exerçaient en zone urbaine, 40 % en zone semi-urbaine, et 15 % en zone rurale, majoritairement en cabinet de groupe. Les répondants ont déclaré posséder un OC de quelque nature que ce soit dans 59 % des cas (222/377) dont 38 % au domicile et 26 % au cabinet. L’utilisation d’un OC ou d’une APPLI dédiée à la santé et au bien-être avait été conseillée au moins une fois par 48 % des répondants.

Pratique du conseil mSanté (Tableau 2)
La pratique du conseil mSanté était associée à plusieurs facteurs : au fait d’utiliser des applications médicales plus d’une à deux fois par semaine (69 % vs 38 % p < 0,001), de penser qu’il existe un bénéfice dans la prise en charge du patient à long terme (48 % vs 18 % p < 0,001) et à court terme (41 % vs 14 % p < 0,001), de posséder un OC (47 % vs 36 % p = 0,027), et d’être remplaçant (27 % vs 17 % p = 0,016). Il n’y avait pas de différence significative selon l’âge moyen des répondants. Selon les répondants, les objets connectés les plus utiles étaient les tensiomètres et les glucomètres. Parmi ceux qui ne pratiquaient pas le conseil en mSanté, le caractère chronophage et peu utile de ces technologies connectées était plus fréquemment cité (79 % vs 56 %, p < 0,001).

Facteurs expliquant la pratique du conseil mSanté (Tableau 3)
L’analyse multivariée que nous avons réalisée a permis de montrer qu’il existait une association significativement positive entre la pratique du conseil en mSanté et le fait de penser que la mSanté est une opportunité pour améliorer la prévention primaire, secondaire et tertiaire (OR 3,12 [1,76 – 5,50]) et également avec le fait d’utiliser une APPLI médicale au moins une à deux fois par semaine (2,62 [1,65 – 4,14]). Il existait une association significativement négative avec le fait de penser que l’utilisation des technologies de mSanté est chronophage et peu utile (0,47 [0,28 – 0,76]) et de penser manquer de formation dans le domaine (0,62 [0,38 – 0,99]).

TABLEAU 1 : Caractéristiques de la population

Tableau 2 : Analyse univariée pour le critère de jugement principal
Tableau 2 (suite) : Analyse univariée pour le critère de jugement principal

Analyse Multivariée Odds Ratio IC 95 % p
Il existait une relation significative entre le fait de posséder un OC et le fait d’aborder soi-même le sujet mSanté avec ses patients (54 % vs 36,6 % p=0,019). Il n’y avait pas de différence significative concernant l’âge moyen des médecins possesseurs ou non d’OC et concernant les bénéfices espérés à l’utilisation des OCS. Le caractère chronophage, coûteux, peu sécurisé des OCS et le risque d’orienter le médecin vers un mauvais diagnostic ont été plus fréquemment cités par les MG qui ne possédaient pas d’OC. Ces derniers répondaient également plus fréquemment qu’ils manquaient de formation dans le domaine (67 % vs 52 %, p = 0,004). L’analyse multivariée a permis de montrer les associations significativement liées au fait de posséder un OC. Il existait une association défavorable avec le fait d’être une femme (OR = 0,55IC à 95 % 0,35 à 0,86, p = 0,01)], tout comme avec le fait de penser que l’utilisation des OCS au cabinet revêtait un caractère chronophage [OR = 0,59 (IC à 95 % 0,36 à 0,97 p = 0,038)]. Par ailleurs, les MG qui avaient déjà parlé d’APPLI médicales/bien-être OR = 2,49 (IC à 95 % 1,51 à 4,11, p < 0,001) ou d’OC avec leurs patients avaient plus de chance d’avoir eux-mêmes un OC [OR = 1,88 (IC à 95 % 1,06 à 3,34, p = 0,03)].

Trois profils de MG semblent apparaître à la lecture de nos résultats. Les MG que l’on pourrait qualifier de « technophiles ». Ces MG pratiquent le conseil mSanté et semblent penser que l’utilisation des OCS est d’ores et déjà utile pour améliorer la prise en charge de leurs patients ou qu’ils le seront à terme. On peut penser qu’ils sont une large majorité dans ce groupe à être d’accord avec les bénéfices et avantages attribués aux OCS.

Les MG « défavorables », fortement opposés à l’utilisation des OCS. Notre étude révélait que près d’un MG sur trois qui a été interrogé se déclare défavorable à la prescription d’un OCS à leurs patients. Ce groupe de MG pense que les OCS sont actuellement inutiles pour améliorer leur prise en charge et le seront également à terme. Il s’agit donc d’un fort rejet de la part de ces MG. Les MG « en attente ». Nos résultats retrouvent que deux tiers des MG se déclarent favorables à la prescription d’OCS, significativement plus souvent les femmes et les remplaçants. Le lien significatif retrouvé avec le fait d’être une femme s’explique sans doute par la pyramide des âges qui montre une féminisation de la profession avec des femmes plus jeunes.

Discussion
Notre étude montre que parmi les 377 MG répondants, une large majorité déclare posséder un OC et qu’un quart ont déjà proposé l’utilisation d’un OCS à leurs patients. Ils étaient 58 % à se déclarer favorables à la prescription d’un OCS (essentiellement tensiomètres et glucomètres). Par ailleurs, les MG qui pratiquent le conseil mSanté (OCS et/ou APPLI) possèdent plus fréquemment un OC et utilisent régulièrement des applications mobiles médicales. Nos résultats retrouvent un fort degré de dépendance entre les MG favorables au conseil en mSanté et le fait de penser que les OCS sont une opportunité pour la médecine préventive. Il existe également un fort degré de dépendance avec le fait de penser que ces outils permettraient de renforcer la communication avec les patients. Il existe bien un lien entre la possession d’un OC et la pratique du conseil mSanté auprès du patient mais cela n’implique pas toujours l’envie de proposer aux patients leur utilisation. En outre, 255 MG / 377 considèrent ces technologies chronophages et peu utiles en pratique.

Selon le baromètre ODOXA, de janvier 2015, 45 % des médecins déclaraient utiliser des OC grand public. Parallèlement, une proportion de 35 % de français possèderaient au moins un OC selon un sondage réalisé en mars 2016. Ces différents sondages décrivent des médecins plutôt mieux équipés en termes d’OC que la population générale. Selon un sondage réalisé en 2016, 18 % de médecins auraient déjà conseillé à leurs patients l’utilisation d’applications mobiles (+10 % en deux ans et demi), et 16 % auraient déjà conseillé l’utilisation d’un OCS (+7 % en un an). Ces chiffres sont différents des nôtres. Ceci peut s’expliquer par une population d’étude probablement différente. Ce sondage portait sur l’ensemble des médecins généralistes et spécialistes, libéraux et salariés, très majoritairement masculine et plus âgée que notre population. Il existe par ailleurs une surreprésentation des MG remplaçants dans notre population qui est plus jeune et plus féminine par rapport à la population de MG français décrite dans l’atlas du CNOM de 2016 (54 % d’hommes, moyenne d’âge 52 ans). Les MG remplaçants représentent 8 % des MG français (22 % dans notre étude), 54 % étant des femmes, âgés en moyenne de 46 ans.

Les MG remplaçants de notre échantillon sont ceux qui pratiquent proportionnellement le plus souvent le conseil mSanté. Cette notion ne semble pas discriminante dans notre échantillon mais nous n’avons pas distingué l’âge des remplaçants de celui des MG installés. La génération des jeunes nés entre 1980 et 1990 est communément appelée génération Y. Ces jeunes, nés à l’ère du numérique, semblent plus habiles avec les nouvelles technologies qui leur apparaissent comme des outils permettant d’être plus efficace et réactif. Les MG qui déclarent avoir déjà pratiqué le conseil mSanté sont nombreux à penser que les OCS sont utiles dès à présent pour améliorer la prise en charge de leurs patients. Ils sont encore plus nombreux à penser qu’ils le seront d’ici à quelques années (près de la moitié). On peut penser que l’âge joue un rôle important dans la manière de percevoir l’utilisation des OCS et des avantages que l’on pourrait en tirer. Les MG favorables sont significativement plus jeunes (42 vs 46 p < 0,001). Il serait intéressant d’étudier si la vision des MG remplaçants change sur cette question une fois installés. El Amrani L. a également retrouvé un lien entre MG possédant un OCS et prescription d’OC aux patients (7,4 % vs 2,9 p < 0,001).

Les MG féminins de notre échantillon, plutôt favorables au conseil, ne sont pas les MG qui possèdent le plus d’OC comparativement aux MG masculins qui eux, possèdent plus souvent la technologie et sont moins favorables à la mSanté. Ceci est également confirmé par El Amrani L., qui retrouvait un lien entre MG masculin et possession d’OCS (65,9 vs 54,9 % p=0,002).

L’analyse multivariée ne retrouve pas d’association significative entre possession d’un OC et pratique du conseil mSanté.

Un des facteurs explicatifs de la pratique du conseil mSanté pourrait résider dans une perception plus positive des OCS comme outil de prévention primaire, secondaire et tertiaire. En revanche, la vision chronophage et inutile de ces objets ainsi que le fait de se déclarer mal formé dans le domaine sont des facteurs restrictifs de la pratique du conseil mSanté. Ceci pose la question des formations qui pourraient être apportées aux MG. Le temps est une donnée capitale dans l’exercice du MG installé, souvent surchargé. L’intégration de nouveaux outils dans la pratique quotidienne nécessite une appropriation au quotidien et une formation dédiée, comme celle nécessitée par l’informatisation progressive des cabinets médicaux. La question du temps de lecture des données, de leurs analyses et leur pertinence pour un mieux-être des patients doit aussi être posée. Par ailleurs, l’explosion d’OCS ou d’APPLI médicales ne permet pas aujourd’hui de savoir lesquels seront les plus utiles au patient.

Les MG sont probablement en attente de labélisation et de résultats d’études prouvant leur intérêt dans la prise en charge des patients. De plus, ces objets numériques amènent une dépendance aux outils que certains MG ne souhaitent peut-être pas.

Notons que nos MG ont plébiscité une version connectée de deux objets familiers dans leur pratique : tensiomètre et glucomètre non encore connectés pour nombres de patients qui les utilisent en 2016. Plusieurs études internationales ont montré une amélioration de la prise en charge des patients hypertendus ; baisse de pression artérielle et diminution de l’inertie thérapeutique : patients adressés auprès de leur MG, grâce à l’application mobile iVitality® ou efficacité d’un programme informatique d’aide à la prescription grâce à un système de transmission connecté des données tensionnelles. Selon Kim, l’usage d’OC permettait de réduire la consommation tabagique, d’améliorer l’équilibre tensionnel et de prévenir la consommation d’alcool excessive et selon Jenkins une large majorité des patients ayant eu un Accident Vasculaire Cérébral se sentait bien avec l’usage des outils connectés, qu’ils voyaient comme un avantage et comme des outils pouvant améliorer la communication avec leur médecin.

Plus largement, on retrouve des résultats positifs avec l’usage de la télémédecine pour les patients diabétiques pour qui plusieurs auteurs ont relevé une baisse significative de l’HbA1C chez ceux utilisant un portail internet où ils pouvaient noter leurs résultats d’analyses biologiques, obtenir des conseils hygiéno-diététiques et converser par mails avec des endocrinologues. En 2015, l’impact de l’usage de la télémédecine sur la qualité de vie des patients BPCO a été étudié. Les patients recevaient un oxymètre, un tensiomètre, une balance et éventuellement un glucomètre électronique selon les besoins et notaient ensuite eux-même leurs constantes sur un moniteur dédié à domicile qui transmettait par internet les données aux professionnels de santé.

Rixon a ainsi montré une légère diminution du stress et une amélioration de la maîtrise des symptômes sur le long terme sans altérer la qualité de vie des patients. Par ailleurs, une autre étude montrait en 2016 que l’usage de la télémédecine pouvait rassurer les personnes âgées. Les personnes âgées s’adaptaient facilement à ces nouvelles technologies et se sentaient plus concernées par leurs maladies et leur prise en charge. Enfin, une étude américaine, publiée en 2016, montrait une réduction de 73 % du taux de réadmission chez des patients cardiopathes ou en insuffisance cardiaque à qui l’on avait fourni des OCS (balance, fréquencemètre, oxymètre, tensiomètre).

Toutefois, certaines études ont montré un taux d’anxiété plus élevé chez les patients bronchitiques chroniques à qui l’on avait fourni des objets de télé-monitoring (non connectés), sans différence significative en termes d’exacerbations et d’hospitalisation, une absence de différence significative en termes de baisse de l’HbA1c après un an de suivi chez des patients diabétiques à qui l’on avait fourni un glucomètre connecté relié à une APPLI et une moindre perte de poids chez des personnes qui utilisaient des OC associés à une prise en charge diététique classique.

Les protocoles de recherche et les modalités pratiques ne sont pas les mêmes selon les études et il est donc difficile de conclure sur le réel impact des technologies connectées. Les différentes études précitées ne permettent pas de généraliser l’efficacité des OC car ces études ont été réalisées sur la base du volontariat avec des patients motivés. Il existe des différences socio-culturelles, des niveaux socio-économiques différents, une relation à sa propre santé différente selon les patients. Un des freins majeurs pourrait aussi être le coût des OC. Il n’existe pas à notre connaissance d’étude médico-économique traitant du coût / bénéfice réel de ces technologies.

Outre l’efficacité des technologies de santé mobile, la question de la confidentialité des données et des aspects médico-légaux reste posée. Une étude en 2014 soulignait d’importantes failles de sécurité à propos des OC au niveau des échanges internet ainsi que des défauts de cryptages de données utilisateurs29. Bien que la CNIL et l’union européenne (UE) soient très regardantes concernant les données informatiques, nombreuses sont les applications mobiles qui sont hébergées par des serveurs hors UE.

Il y a donc urgence à légiférer au niveau européen sur ces questions. L’UE s’étant donnée jusqu’à 2020 pour trouver un cadre juridique.

Notre étude porte sur un domaine émergent de la prise en charge des patients concernés notamment par des maladies chroniques et sur un nombre de MG relativement important par rapport à la littérature existante. Il existe cependant des limites. En premier lieu, il existe un biais de recrutement. Ce biais est probablement dû au recrutement de notre population d’étude par voie numérique. Les jeunes étant plus présents sur les réseaux sociaux et les MG installés recrutés via le CDOM de la Loire sont possiblement plus utilisateurs du courriel.

En second lieu, il est possible que notre questionnaire génère un biais de mesure. Concernant la question relative à la possession d’un objet connecté, certains répondants ont pu assimiler des objets informatiques simples à des objets connectés. Ce phénomène tend ainsi à surestimer le nombre de possesseurs d’objets connectés. Afin de vérifier quels OC ils possédaient, nous avions proposé une question subsidiaire à réponse libre. Certains MG ayant déclaré posséder un OC ont mal interprété notre question. Ce phénomène est difficilement quantifiable puisque tous n’ont pas répondus à la question subsidiaire.

Conclusion
Notre étude avait pour but d’identifier les facteurs favorisant le conseil mSanté auprès des patients et notamment d’étudier le lien entre possession d’un OC et la pratique du conseil mSanté par les MG. Elle a porté sur 377 MG libéraux installés ou remplaçants. Un lien significatif entre la possession d’un OC et la pratique du conseil mSanté a été retrouvé. Cependant, la possession d’un OC n’explique pas le fait que l’on pratique le conseil mSanté. En effet, ceci pourrait plutôt s’expliquer par une perception plus positive des OCS comme outils de prévention. La grande majorité des MG libéraux serait favorable à l’utilisation d’OCS dans sa pratique sans pour autant franchir le pas. Toutefois, près d’un tiers de notre effectif s’est déclaré fortement opposé aux OC jugés inutiles, anxiogènes et avec des finalités essentiellement mercantiles. Des études devront faire la part des choses concernant les bénéfices réellement apportées aux patients grâce aux OCS et APPLI. Il faudra sans doute également réfléchir à une labellisation ou une certification afin de ne pas nuire aux patients à la suite de possibles mauvais diagnostics engendrant de mauvais traitements.

Damien LOISON

Article paru dans la revue “Le Bulletin des Jeunes Médecins Généralistes” / SNJMG

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