Anticiper la réingénierie des diplômes paramédicaux : stratégies d’actions du directeur d’institut de formation.
Cet article présente une partie du travail que nous avons réalisé pendant la formation de Directeur des soins à l’EHESP1 à Rennes en 2010. Nous nous sommes intéressés à la réingénierie des diplômes paramédicaux et aux changements induits par ces réformes dans le cadre de la formation infirmière. Des pistes d’action sont ensuite dégagées afin d’anticiper les changements dans notre propre formation en kinésithérapie.
La réingénierie du diplôme de masseur-kinésithérapeute est en cours et obéit aux mêmes règles que le référentiel infirmier : mise en conformité au niveau européen avec intégration dans le système Licence- Master-Doctorat (LMD), approche par compétences.
Pour les masseurs-kinésithérapeutes, cette réforme est très attendue et cruciale car le programme de formation date de 1989, même si les instituts de formation ont su s’adapter aux évolutions de la profession.
L’étude porte sur la formation infirmière qui vient d’être rénovée (Arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’état d’infirmier). Le nouveau référentiel de formation a été mis en oeuvre en septembre 2009. Quels sont les effets perçus par les acteurs, les difficultés rencontrées mais aussi les espoirs pour les formateurs et les voies de progrès pour les étudiants ?
Les effets de la réforme des études infirmières perçus par les acteurs.
L’enquête de terrain a été effectuée auprès des acteurs de la réforme infirmière. Nous avons privilégié une approche qualitative et réalisé 12 entretiens semi-directifs auprès de directeurs d’institut de formation en soins infirmiers, de cadres formateurs et d’une conseillère pédagogique régionale.
L’analyse des données a permis de dégager six thèmes principaux :
- Une appréciation très positive du nouveau référentiel de formation IDE :
Le référentiel fait « l’unanimité des formateurs. C’est passionnant sur le plan pédagogique » nous précise un directeur d’IFSI. Un autre directeur souligne également l’implication de l’équipe pédagogique dans sa mise en oeuvre. La conseillère pédagogique pense que ce référentiel est « porté par la profession infirmière et donne une vision prospective du métier, oblige à une véritable définition du métier d’IDE ».
Les liens avec l’université sont mis en avant. Les professionnels croient à une véritable filière infirmière universitaire par le biais des masters. La reconnaissance au grade de licence est aussi appréciée. Par contre, il est nécessaire de bien définir le périmètre des universitaires dans les enseignements. Les points négatifs sont le manque de temps de préparation de l’année (texte paru fin juillet 2009 pour une mise en place en septembre 2009), beaucoup d’énergie déployée par les formateurs.
- La spécificité de l’approche par compétences
Les acteurs ont tous bien intégré le changement induit par cette approche qui privilégie l’entrée par les compétences et non plus par les contenus. Selon un directeur il est important de « ne pas retomber dans le système modulaire » lors de l’organisation des enseignements. Les situations professionnelles clés choisies se complexifient au fur et à mesure de l’avancée dans la formation, « permettant ainsi un transfert des savoirs ».
- Un changement de posture pour les étudiants
Un directeur d’IFSI note une plus grande responsabilisation des étudiants. Ils sont plus autonomes dans la recherche de connaissances. Les modes d’enseignement facilitent cette approche, le programme comporte davantage de travaux dirigés, avec des recherches préalables à effectuer. Les étudiants sont perçus par les cadres comme « plus impliqués dans leur formation, en particulier dans les situations choisies pour les travaux dirigés ».
Par contre, les étudiants nécessitent un accompagnement plus rapproché. Le temps passé auprès des étudiants est donc en augmentation.
- Les stratégies d’apprentissages des étudiants évoluent.
Pour un directeur, il n’y a plus « d’empilement des savoirs », mais des apprentissages progressifs en groupes restreints. Les méthodes d’enseignements ont évolué avec une « pédagogie plus active » . Elles stimulent les capacités de réflexion comme l’analyse de pratiques. Selon l’activité choisie, travail en petit groupe, analyse de vidéos, recherche individuelle, la créativité et l’expression des étudiants semblent facilitées selon les cadres formateurs.
- Les compétences des formateurs en questionnement.
Ce référentiel a suscité de nombreuses interrogations quant aux compétences requises par les cadres formateurs. Plusieurs d’entre eux souhaitent entamer des études universitaires en vue de l’obtention de masters, voire de doctorats. Au sein des équipes interrogées, nous avons recensé des personnels ayant déjà des titres universitaires en sciences humaines ou sociales. Les plus jeunes formateurs semblent les plus motivés pour entamer ces études à l’université.
Mais les directeurs se questionnent sur les possibilités pratiques de formation de leurs cadres.
- Un renforcement des liens entre l’institut et les terrains de stages.
L’organisation des parcours de stages a été plus difficile selon les directeurs, les terrains de stages craignant un nombre trop important de stagiaires sur la même période.
Tous les acteurs soulignent le nombre de réunions consacrées à la présentation du référentiel, du portfolio utilisé en stage. Les formateurs insistent sur le temps passé sur les terrains de stages pour encadrer les tuteurs de stages. Les professionnels des établissements de santé ont dû réaliser en partenariat avec les IFSI une charte d’encadrement et des livrets de présentation des stages cliniques proposés.
L’analyse des données a permis de mettre l’accent d’une part sur les changements induits par la réforme sur les étudiants, les méthodes pédagogiques et les formateurs, mais aussi sur l’importance des liens avec les professionnels de terrain et les stages cliniques. Elle nous permet de dégager les pistes d’actions possibles pour faciliter la mise en oeuvre du nouveau référentiel de formation en kinésithérapie.
Stratégies d’actions du directeur d’institut de formation.
Les différents axes de communication et de formation intéressent tous les acteurs impliqués dans la formation et nous allons essayer de les détailler ci-après.
- Informer et communiquer sur le nouveau référentiel de formation.
Une préparation à la fois des personnels de rééducation sur le terrain et des cadres formateurs de l’institut parait indispensable. Beaucoup de résistances découlent des méconnaissances des objectifs d’une réforme. Un nouveau programme oblige à revoir la manière de former, d’évaluer et à repenser l’alternance.
Le directeur devra impulser le changement au sein de l’équipe pédagogique et développer une approche positive. Les cadres formateurs doivent comprendre les enjeux du nouveau programme, identifier l’ensemble des partenaires impliqués.
Un pilotage pédagogique adapté au nouveau référentiel.
Notre enquête de terrain a révélé de nombreux points de vigilance quant à l’ingénierie pédagogique découlant d’une nouvelle approche de la formation.
Les liens avec l’université.
Le point de vigilance est de toujours « rester maître du jeu » de la formation. La création d’un domaine des sciences de la santé est proposée afin de rassembler les différentes disciplines émergeantes. Le rattachement à une discipline nous semble indispensable afin de développer des voies de recherches et des diplômes universitaires de haut niveau (master, doctorat).
Des passerelles et des cours communs entre les formations.
Des changements d’orientation au sein des différentes formations paramédicales existeront à moyen terme puisque des compétences communes seront construites. Une mutualisation peut s’avérer intéressante au sein de l’appareil de formation de l’établissement hospitalier : la réalisation de cours communs entre les formations paramédicales. Un partage des savoirs, des recherches peut être réalisé au bénéfice de valeurs communes dans les prises en soins. De plus, une réflexion doit s’engager vers une ouverture sur l’Europe et les formations de nos confrères européens par le biais de congrès et d’échanges.
Une nécessaire évolution des méthodes pédagogiques.
Le comportement des étudiants a évolué. L’accès aux connaissances se fait par des voies différentes avec l’évolution des technologies de l’information et de la communication. La pédagogie doit s’adapter, s’orienter vers des méthodes plus actives (pratique réflexive, auto-évaluation, vidéo).
- Un développement des compétences des formateurs.
L’évolution des méthodes pédagogiques implique un développement des compétences des cadres formateurs. Les cursus universitaires doivent être diversifiés. Les pistes de validation des acquis de l’expérience et des acquis professionnels sont à étudier. Des formations d’équipe seront planifiées (démarche réflexive, méthodologie de recherche, évaluation des compétences). Une gestion prévisionnelle des métiers et des compétences sera également développée afin de pallier aux changements dans l’équipe pédagogique. Le recrutement de nouveaux cadres formateurs, en partenariat avec la direction de l’établissement, devra tenir compte des spécificités en compétences et expertises déjà existantes au sein de l’institut afin de diversifier les compétences et les profils des cadres de l’équipe pédagogique.
- Des partenariats renforcés avec les terrains de stages
Les stages cliniques occupent déjà une place importante dans la formation. La validation des compétences s’effectuera aussi sur le terrain. Des partenariats étroits avec les terrains de stages et les professionnels sont à élaborer.
• Un maillage territorial des stages cliniques
Il est important de réfléchir à un enrichissement de l’offre de stages. Des structures de soins plus diversifiées seront agrées : hospitalisation à domicile, foyers d’enfants handicapés, professionnels libéraux. Un point de vigilance porte sur la qualité de l’encadrement proposé par ces nouveaux terrains de stages.
• Un travail avec les professionnels de terrain
Des documents sont exigés par le référentiel de formation infirmier visant à expliciter les liens entre l’institut, le terrain de stage et l’étudiant comme le portfolio. Des documents similaires existeront pour les masseur-kinésithérapeutes associant étroitement la pratique sur le terrain et l’enseignement à l’institut.
Les cadres formateurs seront amenés à être davantage présents sur ces terrains auprès des étudiants.
Pour les directeurs d’institut de formation, il est indispensable d’anticiper des actions facilitant la mise en oeuvre de ces réformes indispensables. Cette anticipation permettra d’optimiser la qualité de la formation. Nous devons former de futurs professionnels compétents, réflexifs et adaptables aux situations de soins de l’avenir.
Sylvie FENELON
Directeur des soins
Directeur IFMK CHU Rouen
Contact : [email protected]
Article paru dans la revue “Syndicat National de Formation en Masso-Kinésithérapie” / SNIFMK n°2
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