Les actualités de la réforme : devenez expert judiciaire

Publié le 27 May 2022 à 14:15

 

Mes chers confrères médecins du travail… Devenez EXPERTS JUDICIAIRES Dr Christian EXPERT (eh oui !!!!!)


Dr Christian EXPERT

Expert confédéral CFE-CGC – Santé - Travail et Handicap

  • Experts judiciaires ? Pourquoi ?

Comme vous le savez sans nul doute, la Santé au Travail a été une nouvelle fois réformée :

  • Par la Loi Rebsamen : LOI n° 2015-994 du  17 août 2015  relative au dialogue social et à l’emploi qui a introduit la notion de « risques particuliers » dans la surveillance médicale (Article L. 4624-4 du Code du Travail) visant à se substituer à la surveillance médicale renforcée ou SMR) et l’obligation pour les services de santé au travail et les médecins du travail de protéger la santé et la sécurité, en sus de celles des salariés et de leurs collègues de travail, celles des TIERS constitués, comme nous l’avions indiqué dans un article concomitant à la parution de la loi Rebsamen, de tous les habitants de la Terre.
  • Par la loi El Khomri : LOI n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi travail. La loi travail a explicité la mise en œuvre de la réforme de surveillance médicale initiée par la loi Rebsamen en réduisant drastiquement les surveillances médicales renforcées qui deviennent le suivi individuel RENFORCÉ de l’état de santé des salariés, en donnant un large rôle aux infirmières en santé au travail, qui peuvent assurer les Visites d’Information et de Prévention des salariés non soumis à risques particuliers et en modifiant les voies de recours contre les avis formulés par les médecins du travail.
  • Le décret n° 2016-1908 du  27 décembre 2016  relatif à la modernisation de la médecine du travail (JO du 29 décembre 2016) a décliné l’article 102 de la loi travail réformant la santé au travail.

> Le droit au recours contre les avis du médecin du travail – quels changements ?
Jusqu’au 31 décembre 2016, les contestations des avis du médecin du travail étaient portées devant l’inspecteur du Travail (que la contestation soit issue du salarié ou de l’employeur).

L’Inspecteur du travail après avis du Médecin Inspecteur du travail (avis non opposable à l’inspecteur du travail), se substituait alors au médecin du travail et donnait un avis conforme à celui du médecin du travail ou un avis le contrariant.

Le recours de l’avis de l’inspecteur du Travail, comme dans tous les recours administratifs était alors, soit porté devant le Ministre du Travail (recours hiérarchique) soit devant le Tribunal administratif (recours contentieux) directement. La décision du Ministre du Travail était elle-même susceptible d’être contestée ENSUITE devant le Tribunal Administratif.

Depuis le 1er janvier 2017, suite à la réforme de la santé au travail, la voie de recours vers l’inspecteur du travail est abandonnée au profit de la Formation des Référés du conseil des prud’hommes.

« Art. L. 4624-7. - I. - Si le salarié ou l’employeur conteste les éléments de nature médicale justifiant les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail en application des articles L. 4624-2, L. 4624-3 et L. 4624-4, il peut saisir le conseil de prud’hommes d’une demande de désignation d’un médecin-expert inscrit sur la liste des experts près la cour d’appel. L’affaire est directement portée devant la formation de référé. Le demandeur en informe le médecin du travail.

« II. - Le médecin-expert peut demander au médecin du travail la communication du dossier médical en santé au travail du salarié prévu à l’article L. 4624-8, sans que puisse lui être opposé l'article 226-13 du code pénal.
« III. - La formation de référé ou, le cas échéant, le conseil de prud’hommes saisi au fond peut en outre charger le médecin inspecteur du travail d’une consultation relative à la contestation, dans les conditions prévues aux articles 256 à 258 du code de procédure civile.
« IV. - La formation de référé peut décider de ne pas mettre les frais d’expertise à la charge de la partie perdante, dès lors que l’action en justice n’est pas dilatoire ou abusive. » ;
« Art. R. 4624-45. - En cas de contestation des éléments de nature médicale justifiant les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail mentionnés à l’article L. 4624-7, la formation de référé est saisie dans un délai de quinze jours à compter de leur notification. Les modalités de recours ainsi que ce délai sont mentionnés sur les avis et mesures émis par le médecin du travail.

La voie du référé est la voie de l’urgence. Elle permet de trancher le litige dans un délai de 2 à 6 mois contre 12 à 24 mois (voire plus) dans une procédure classique.

Il est possible d’actionner les deux voies de recours (la voie du Référé et celle classique qui juge du fond).

> Que dit l’article L. 4624-7 du code du travail ?

  • Le demandeur (qui peut être l’employeur ou le salarié) saisit le conseil des prud’hommes d’une demande d’expertise.
  • La formation de référé prud’homale désigne un expert judiciaire inscrit sur la liste des experts près de la cour d’appel.
  • La formation de référé peut, en OUTRE charger le Médecin Inspecteur du Travail d’une consultation.

La formation de référé se compose d’un conseiller prud’homal employeur et d’un conseiller prud’homal salarié (article L. 1423.13 du code du travail).
La consultation est prévue dans le code de procédure civile, article 256 du code de Procédure civile. Par contre, ce qui est curieux c’est que la consultation vienne en PLUS de l’expertise alors que la consultation est intermédiaire entre la constatation (le constatant est l’œil du juge) et l’expertise qui nécessite des investigations techniques complexes) et qu’elle n’est demandée par le juge que quand il juge que l’expert ne s’impose pas - D’ailleurs l’article 263 du code de procédure civile indique que l’expertise n’est demandée que quand la consultation ne suffit pas. En conclusion cela aurait dû être consultation OU expertise. Néanmoins, contrairement à certaines interprétations le médecin inspecteur du travail conserve un rôle dans la procédure de contestation des avis du médecin du travail :

Article 256 : Lorsqu’une question purement technique ne requiert pas d’investigations complexes, le juge peut charger la personne qu’il commet de lui fournir une simple consultation.

Le médecin inspecteur du travail a donc un rôle « moins technique et complexe » que celui du médecin expert judiciaire.

Le médecin inspecteur du travail sera-t-il rémunéré ? En principe le juge qui demande la consultation désigne la ou les parties qui seront tenues de verser par provision au consultant une avance sur sa rémunération (article 258 du code de procédure civile).

Article 263 : L’expertise n’a lieu d’être ordonnée que dans le cas où des constatations ou une consultation ne pourraient suffire à éclairer le juge.

> Experts judiciaires – qui ?
L’article L. 4624-7 du code du travail indique qu’il s’agit d’un médecin-expert inscrit sur la liste des experts près la cour d’appel.

Nous nous demandons là encore, si cet article n’est pas en contradiction avec l’article 232 du Code de procédure civile, puisque le juge est libre de désigner qui il veut : il peut commettre toute personne de son choix pour l’éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d’un technicien

Les listes d’experts (cour de cassation ou cours d’appels) a valeur d’information selon l’article 2 de la loi du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires modifiée par la réforme du 11 février 2004 : Il est établi pour l’information des juges :

  • Une liste nationale des experts judiciaires, dressée par le bureau de la cour de cassation.
  • Une liste des experts judiciaires, dressée par chaque cour d’appel.

Donc selon l’article 232 du code de procédure civile chacun d’entre nous, médecin du travail même non inscrit sur la liste de la cour d’appel de son ressort, pourrait remplir la mission d’expertise :

  • S’il est désigné par le juge.
  • S’il accepte la mission.
  • S’il prête serment (je jure d’apporter mon concours à la justice, d’accomplir ma mission, de faire mon rapport et de donner mon avis en mon honneur et ma conscience.).

MAIS :

  • L’article L.4624-7 du code du travail exige d’être inscrit sur la liste des experts judiciaires de la Cour d’appel.
  • L’expertise est encadré par une procédure très précise (définie dans le code de procédure civile - articles 233 et suivants du code de procédure civile). Il nous semble qu’il est très difficile (voire impossible) d’accomplir une mission expertale sans en maîtriser la procédure.

Il existe des experts judiciaires dans tous les métiers et bien entendu pour les médecins dans toutes les spécialités y compris la médecine du travail.

Dans la liste des rubriques la spécialité médecine du travail est codée : F-01.17 Médecine et Santé du Travail

Remarque : L’article L4624-7 « d’une demande de désignation d’un médecin-expert inscrit sur la liste des experts près la cour d’appel » ne précise pas que le dit médecin expert inscrit sur la liste de la cour d’appel soit UN MEDECIN DU TRAVAIL.

Rien n’empêche donc que, faute de médecin du travail Expert judiciaire, le juge de la formation de référé ne désigne un médecin d’une spécialité quelconque non médecin du travail. Ce risque est réel et nous pensons que cette situation serait en défaveur des parties (salariés bien évidemment et employeurs).

La conséquence évidente c’est qu’un bon nombre d’entre nous, médecins du travail expérimentés fassent la démarche d’inscription sur la liste des experts judiciaires des différentes cour d’Appel.

> Experts judiciaires ? – Comment ?
La formation à l’expertise judiciaire semble vraiment indispensable et parait être un préalable indispensable.
La Cour d’Appel d’Aix-en-Provence rejette toute demande d’inscription sur la liste faute de pouvoir justifier d’une formation ad hoc.

  • Sciences-Po Aix-en-Provence dispense 3 fois par an, 1 jour par semaine sur 12 semaines une formation à l’expertise judiciaire. Cette formation peut être suivie en video conférence. Après examen, un certificat de formation à l’expertise judiciaire est délivrée, sésame pour s’inscrire sur la liste des experts judiciaires.
  • L’Union des Compagnies d’Experts Près la Cour d’Appel de Paris organise ce type de formation diplômante  : http://www.ucecap.org/formation/
  • Cette formation peut être prise en charge au titre de la formation professionnelle continue (frais d’inscription, frais de déplacement, temps passé…).

Article paru dans la revue « Syndical Général des Médecins et des Professionnels des Services de Santé au Travail » / CFE CGC n°55

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Publié le 1653653727000