
La prise de conscience est lente dans l'opinion publique et il est toujours très difficile pour un soignant d'avouer qu'il va mal. Ensuite, le soignant en souffrance entre parfois dans un parcours du combattant pour être pris en charge ou, tout simplement, pour savoir à qui s'adresser.
Le soin centré sur le patient est une formule connue et désormais passée dans les mœurs… mais la vérité est que beaucoup de soignants sont épuisés et n'ont pas pour habitude de prendre soin d'eux, d'extérioriser leur souffrance, leur mal-être… comme si cela était tabou ! Et lorsque certains trouvent la force et le courage de se hasarder à le faire, on les renvoie souvent sur les roses.
Les solutions permettant les contacts émergent enfin et sont malheureusement encore trop rares et trop peu connues de ceux qui en ont réellement besoin.
Et, dans les médias, même si on commence à en entendre parler, il existe une cacophonie paradoxale avec une évocation timide de cette souffrance côtoyant des messages y contribuant (« 55 heures pour les médecins, c'est trop peu »).
Force est donc de constater qu'il n'y a pas de « culture » qui motive les soignants à prendre soin d'eux et c'est à partir de ce constat que nous avons monté le groupe inter-URPS d'Occitanie.
Dès nos premières réunions, nous avions conscience que nous ne souhaitions pas être un énième groupe de réflexions dont les travaux feraient l'objet d'un document écrit rapidement archivé dans les recoins numériques d'un ministère. Il nous fallait donc savoir dès le début où nous voulions aller et, pour cela, définir des axes de travail et un fil conducteur… notre « énoncé de mission ». Nos premières réunions ont permis de dégager 6 objectifs.
Axe 1 : Créer une « culture » du droit au bien-être et à l'expression de sa souffrance « Le soin centré sur le patient ET le soignant ». C'est un prérequis indispensable
Même si l'on commence à pressentir un changement, la culture qui prévaut actuellement dans l'inconscient collectif est la culture du “sacerdoce” ou du “sacrifice”. Le soignant est censé faire son métier par vocation et ne pas accorder d'importance à ses horaires, à son bien-être ou à l'argent qu'il gagne. C'est donc cette culture qui sert de point de référence, de « gold standard » comme on dit dans notre jargon. Comme c'est à travers ce filtre que sont interprétées l'attitude, le discours et les attentes des soignants, ces derniers n'osent pas parler de leur souffrance ou de leur mal-être qui demeurent ainsi des sujets tabous.
Qui d'entre nous n'a pas déjà pensé « Que va-t-on dire de moi ? », « On va me trouver faible, un bon soignant doit être fort », « Mon médecin de famille venait à la maison le samedi à 22h », « Je me dois de répondre à ces mails/ d'envoyer cette ordonnance/de prendre ces patients le plus vite possible/de travailler jusqu'à 21h… sinon j'aurai une mauvaise réputation », « Ces pauvres patients ont besoin de moi et il est normal que je me sacrifie… je ne suis pas malade, moi !! Mon conjoint et mes enfants comprendront. », « On me reproche de ne pas prendre le temps d'écouter : on va penser que je ne suis pas un bon soignant », « On me reproche d'être en retard mais j'ai dû soutenir un patient pendant 30 minutes… je n'ai qu'à mettre des créneaux de 30 minutes mais cela va rallonger les délais de consultation… tant pis je vais prendre sur ma pause déjeuner… et ai-je encore besoin d'une pause déjeuner ? ».
En substance, on pourrait résumer la culture actuelle par « L'important, c'est le patient, quoiqu'il en coûte !! ». Loin de moi l'idée de ne pas placer le bien-être du patient en tête de nos priorités, mais personne n'a jamais dit qu'il fallait faire un choix entre le bien-être du patient et celui du soignant. Pourquoi ne pas simplement formuler « L'important c'est le patient ET ses soignants, quoiqu'il en coûte ? ».
En d'autres termes, Il nous faut donc déjà oser concevoir et dire que nous revendiquons un changement de culture : un soin non plus uniquement centré sur le patient (un cercle et son centre) mais centré sur le patient ET le soignant (une ellipse à double foyer). Cette assertion repose sur une évidence : un soignant qui ne va pas bien ne fait pas bien le job !
Il faut bien être conscients d'un fait : nous pouvons communiquer vers les instances et les patients pour leur demander de prendre soin de nous ou leur faire part de nos difficultés… mais cela n'aura aucun impact si nous n'y croyons pas sincèrement, si nous ne sommes pas intimement convaincus en notre fort intérieur que nos attentes de bien-être sont légitimes et que NOUS REFUSONS DÉSORMAIS D'ÊTRE LA VARIABLE D'AJUSTEMENT.
En effet, si cette culture du soin centré sur le soignant et le patient n'existe pas, ce n'est ni la faute des patients, ni celle de la société. Si la culture du sacerdoce et du sacrifice prévaut, elle est tout d'abord de la responsabilité de ceux qui l'ont endossée et entretenue, de la responsabilité de ceux qui ont accepté, par culpabilité autant que par un sacerdoce mal placé, d'être la variable d'ajustement car étant le premier contact humain “désigné” entre la système de santé et le patient… Il y a de nombreuses raisons historiques, économiques et spirituelles à cela, qui dépassent le cadre de cet article. En revanche, sa pérennisation est essentiellement de notre responsabilité. Mais cela est une bonne nouvelle : cela signifie qu'il n'appartient qu'à nous de changer ce paradigme et qu'il est donc de notre responsabilité (littéralement : capacité de réponse) d'agir.
C'est donc d'abord à nous soignants de porter cette intention et d'en faire une règle : parfois, la seule existence d'une simple règle comme celle-ci, si elle est vécue comme un principe fondateur, si elle intègre l'inconscient collectif, peut induire de nouveaux comportements et faire disparaître les anciens car ils ne seront plus vus à travers le prisme du “sacerdoce et du sacrifice”.
Je vais préciser mon propos par un exemple : certains patients envoient des mails aux médecins pour leur montrer un résultat de bilan thyroïdien, une interprétation, éventuellement un changement de doses d'hormones thyroïdiennes et l'ordonnance qui va avec.
- Avec l'ancien paradigme : la vox populi dit « le médecin est là pour ça, ça prend 2 minutes, il ne va pas non plus vouloir être payé pour 2 pauvres mails. Ses secrétaires (qu'il paie) sont là pour ça !! ». In fine, ce sera donc un mauvais médecin s'il n'accepte pas de le faire ou de répondre à 80 mails en fin de journée, à l'inverse de celui qui cautionne et se soumet à ce paradigme, et dont on dira sur les forums « Ah mon médecin est génial, il répond à tous mes mails le soir, parfois à 22h15. Je vous le conseille ».
- Avec le nouveau paradigme, non seulement la plupart des patients comprendront mais surtout d'autres soignants ne se sentiront plus obligés.
C'est à nous de porter cette conviction à la fois pour notre propre bienêtre, pour les autres soignants de notre communauté, pour les générations à venir et donc, de facto, pour nos patients. Il nous faut abandonner cette image que nous devrions être supérieurs, plus forts, plus résistants pour prodiguer des soins de qualité. Non, un interne n'est pas mieux formé parce qu'il a fait 80 heures par semaine. S'il a été bien formé et qu'il a fait 80 heures, il fera à tort un lien de causalité entre ces 2 éléments tout comme nos patients font des corrélation indues (la SEP et l'hépatite B par exemple) et la présence de cette corrélation dans l'inconscient collectif renforcera sa conviction, allant parfois jusqu'à reproduire cette attitude « pour le bien des internes, de la médecine et des patients ».
Mais, en réalité, et nous le savons tous, le quantitatif n'a jamais pris le pas sur le qualitatif, surtout si ce quantitatif induit des effets secondaires (voir l'enquête de l'ANEMF). Justifier un certain degré de souffrance et de maltraitance comme soi-disant facteur de qualité de la formation ou de la pratique, ce serait abandonner le raisonnement du rapport bénéfice/ risque et, finalement, dire que nous devrions ramener tous nos patients à 6 % d'hbA1c quoiqu'il en coûte.
Axe 2 : Communiquer pour diffuser cette culture et donner le courage de rompre l'isolement
Imaginons qu'un soignant aspire à revendiquer ce droit au bien-être et à l'expression de sa souffrance ou à refuser de se sacrifier au-delà de ce qui est humainement possible, son problème n'est même pas de trouver la force de chercher de l'aide mais, tout simplement, de se sentir légitime dans sa souffrance.
Il sait qu'il est clairement à contre-courant de l'inconscient collectif. Déjà fragilisé, il ne veut même pas prendre le risque de s'ouvrir à d'autres car il n'aura pas la force de supporter que l'on minimise ce qu'il ressent. Encore une fois, faute d'une culture du droit de s'exprimer, il reste seul avec son malêtre, parfois effectivement persuadé et honteux d'être un maillon faible au milieu d'autres soignants pour qui tout semble aller bien (ce qui n'est évidemment pas le cas pour 50 % d'entre eux).
La seule solution pour rompre cet isolement, cette solitude, c'est de diffuser, de partager cette légitimité à ressentir et exprimer son mal-être. Une culture n'existe que lorsqu'elle est partagée par plusieurs individus. Tous les groupes fonctionnent selon un ensemble de règles qu'on peut appeler « chartes », « constitutions » ou encore « énoncés de mission », partagés par tous et qui deviennent le point de référence à partir duquel chacun de nos ressentis est (ou non) légitimé. Partager une culture implique donc le sentiment d'appartenance à un groupe et, par là-même, à ne plus se sentir seul puisque faisant partie d'une communauté.
Ainsi, si cette nouvelle culture se diffuse et devient la règle, elle sous-tendra tous les messages, les conversations, les projets, les initiatives. Ceux qui souffrent et cherchent de l'aide se sentiront accueillis, en confiance, en accord avec des membres d'une communauté de soignants d'où émane cette façon de voir, de penser et d'être.
Il faut simplement que plusieurs groupes motivés, comme notre groupe inter-URPS, commencent à distiller cette culture et pas avec des messages, des communications ou des campagnes spectaculaires « one shot ».
Il faut au contraire répéter, insister, reformuler, rabâcher, démontrer, débattre, insister et encore répéter afin qu'elle devienne la trame de fond, le thème musical du film, qu'elle fasse partie du décor.
Axe 3 : Ouvrir la voie au soignant en souffrance en facilitant une prise de contact simple
Ces deux premiers axes, créer et diffuser cette culture, sont des prérequis indispensables pour motiver les soignants en souffrance à oser en parler et à faire le premier pas vers des structures et des organisations qui vont pouvoir les aider.
Il faut donc que des protocoles bien structurés soient déjà en place pour que leur quête d'une aide ne se transforme pas en parcours du combattant.
Comme je l'ai écrit dans l'introduction, des structures et initiatives remarquables de bienveillance existent déjà mais force est de constater qu'il leur manque encore une visibilité, une fluidité et une facilité d'accès. Il manque un maillage efficace qui permettrait non seulement de les mettre en lien avec celles et ceux qui en ont besoin mais qui permettrait aussi un véritable fonctionnement en synergie.
L'étape suivante consiste donc à créer un accès le plus simple et le plus efficace possible vers un premier contact. Deux conditions prévalent : la simplicité et le bon sens.
La simplicité : il faut un numéro de téléphone, un chat, une adresse, un mail. Quelle qu'en soit la forme, il est indispensable que le soignant en souffrance ne ressente pas de difficultés quasi-administratives pour y avoir accès.
Le bon sens, et c'est peut-être la condition la plus ambitieuse et la plus coûteuse, mais elle n'est en rien une option. Il faut non seulement que le contact humain ait lieu le plus rapidement possible, mais également au-delà des heures « administratives ». En souffrance intense, après une journée de travail qui finit parfois rarement avant 20h, c'est lorsque vient la nuit que le soignant a besoin de quelqu'un à qui parler. Ce type de permanence est coûteux… mais les soignants le valent bien !!!
Axe 4 : Créer de véritables programmes d'aide ET de protection aussi bien pour les soignants en formation que pour les soignants en exercice.
Comme évoqué dans l'introduction, parmi les causes prévalentes de souffrance, il y a les représailles, qu'elles soient craintes ou effectives. Représailles des instances pour les libéraux, représailles de la hiérarchie pour les hospitaliers et les soignants en formation. Représailles sous-tendues par la peur de la ruine, du déshonneur et de la fin de sa carrière ou de ses études. Il n'y a qu'à lire la presse professionnelle de ces six derniers mois pour voir qu'elle regorge de faits divers de confrères libéraux attaqués par la CPAM ou mis sous surveillance tantôt pour leurs prescriptions, tantôt pour leurs arrêts de travail, tantôt pour leurs cotations… bref, attaqués pour faire leur travail.
Plus proches de nous, pas moins de trois confrères et consœurs endocrinologues ont été contrôlés récemment par la CPAM avec des menaces de pénalités objectivement inadmissibles.
Dans ces cas-là, une cellule d'écoute ne suffit pas. En effet, quelle est la pire angoisse pour les praticiens ? Une mise en cause via la justice, qu'elle soit administrative ou judiciaire, soit pour une faute professionnelle de la part des patients soit, et c'est le pire, par les instances.
Sans lancer un long débat sur l'inégalité des droits à la défense, lorsque le système de la CPAM ou de l'Ordre des médecins s'attaque à un praticien isolé, la machine à broyer est en marche. En effet, ces deux structures possèdent les moyens d'embaucher juristes et avocats.
Même présumé innocent, le médecin libéral doit consacrer temps et argent à sa défense. J'ai moi-même eu affaire à un contrôle de la CPAM en 2010.
Désespéré, effrayé, je ne savais pas vers qui me tourner. Les rares confrères à qui je m'en suis ouvert m'ont regardé tantôt comme un condamné à mort, tantôt comme un pestiféré. J'ai finalement appelé un syndicat. À part m'indiquer des coordonnées d'avocat que je devais payer de ma poche, je n'avais droit à aucune aide (la protection juridique ne fonctionne pas durant la phase de contrôle, elle n'est mise en place qu'une fois le contrôle terminé).
Je n'ai eu droit à aucun accompagnement. Je n'ai pas ressenti de bienveillance ou d'empathie, je n'ai pas entendu les mots de réconfort que j'avais espérés et dont j'avais besoin. C'est à cette époque que je me suis pris à imaginer, pour que cela n'arrive pas à d'autres, qu'il existe un jour une structure à joindre avec un simple coup de téléphone à passer pour que d'emblée tous les membres soient au courant, expriment leur solidarité et leur soutien par un SMS et un mail. À l'époque, quelqu'un m'avait même proposé d'organiser une cagnotte pour moi du fait de ma perte d'activité. Je ne comprends pas pourquoi une telle structure n'existe toujours pas.
Par ailleurs, pourquoi ne pas se cotiser pour avoir accès en permanence aux conseils d'un avocat, rémunéré pour le travail qu'il fait (car il est libéral comme nous), et qui nous conseille en préventif, qui nous défend en curatif, qui nous accompagne ? Pourquoi n'existe-t-il pas un système de solidarité entre nous qui fait que, de toute façon, nous n'aurons pas à nous inquiéter des conséquences financières de ce qu'on nous demande ? Pourquoi ne pas développer une logistique de secrétariat dédiée au-delà de celles de nos cabinets pour mobiliser ce que la CPAM demande ? Pourquoi ne pas créer un contre-pouvoir dont le seul but serait que le droit à la défense soit respecté et que le médecin attaqué se retrouve finalement en position équitable avec ceux qui l'attaquent ? Personne n'est à l'abri de vivre une telle situation… personne… y compris lorsque vous travaillez en toute bonne foi (car il est facile et rapide de penser que ceux à qui cela arrive le méritent bien et qu'il suffit d'être honnête et transparent pour être à l'abri, sousentendant ainsi que les victimes sont toutes malhonnêtes et opaques ou, a minima « qu'il n'y a pas de fumée sans feu »). Selon vous, comment ces soignants vivent-ils ces raccourcis de pensée issus de l'inconscient collectif ? Et vous qui me lisez… comment le vivriez-vous ?
Ce que je viens d'écrire est parfaitement transposable aux soignants en formation. Certains vivent l'enfer en stage. Le remarquable ouvrage « Omerta à l'hôpital » a enfin libéré la parole des élèves-infirmiers, des externes, des internes. Vers qui peuvent se tourner les internes pour exprimer leur mal-être ? Qui considère leur crainte de ne pas être validés, de ne pas avoir de poste de chef de clinique ou d'assistant, d'être mal vu des patrons ? Et ceci sans compter le harcèlement, les agressions sexuelles ou verbales.
Il faut aussi aux internes une structure où leur droit à une validation de leurs études est garanti… où les pressions hiérarchiques seront combattues par des spécialistes du droit. La méconnaissance du droit et l'absence de ressources financières fait que, souvent, les internes ne prendront même pas l'avis d'un avocat sur la situation qu'ils vivent à l'hôpital. Contrairement à une idée reçue, rares sont les omertas en milieu hospitalier qui ont résisté à l'intervention du système judiciaire. Décourager les soignants de prendre un soutien juridique est la meileure arme des maltraitants.
Ce quatrième axe ouvre d'ailleurs une autre voie : celle de l'implication de tous au service de la prévention d'un pan important de la souffrance des soignants. Une prévention POUR tous et PAR tous… et elle ne s'arrête pas à ces considérations judiciaires.
Axe 5 : Créer des groupes d'échanges où l'on peut en parler, que l'on souffre ou que l'on veuille ne pas souffrir
Un concept qui m'est cher est celui de synergie. Comme nous l'avons vu, être isolé, ce n'est pas être seul dans un cabinet. Même si on travaille dans un cabinet de groupe, même si on travaille dans une équipe hospitalière, être isolé, c'est être seul face à sa souffrance.
Et je pense même que la douleur est d'autant plus intense qu'on n'est pas physiquement seul, mais qu'on n'ose pas parler ou, pire, qu'on ose s'exprimer, mais qu'on n'est pas écouté, voire rejeté ou brimé.
À l'inverse, consacrer du temps à se retrouver à plusieurs et partager la même vision, la même façon de voir les choses, la même façon de penser et d'échanger, se libérer par la parole, par la chaleur humaine, démultiplie l'efficacité préventive et curative sur la souffrance. Ceci, bien sûr, à condition que chacun s'implique sincèrement. Les groupes de pairs et les groupes Balint préfiguraient déjà l'importance pour les soignants d'échanger sur leurs pratiques et de ne pas se sentir seuls face à des situations cliniques problématiques.
Il apparaît vital d'avoir enfin un espace de liberté d'expression où l'on peut évoquer tour à tour les difficultés d'organisation, la peur d'être mal vu si on ne peut plus prendre de patients ou répondre à leurs mails, l'injustice ressentie d'honoraires ne correspondant pas à ce que l'on estime juste sans se faire donner de leçons comme un enfant gâté, le ras-le-bol du “médecin bashing” orchestré dans les médias.
Axe 6 : Apprendre aux soignants à prendre soin d'eux
Personne ne peut mieux prendre soin de nous… que nous-mêmes.
Prendre soin de soi est un projet aux multiples facettes et nous pouvons nous en réjouir car cela signifie qu'il y a donc mille et une façons de faire… encore faut-il avoir envie de le faire et surtout avoir le temps de le faire. Concernant l'envie, je vais enfoncer des portes (a priori) ouvertes (quoique) : marcher dans la nature, méditer, écouter de la musique, aller au cinéma, à un concert, voyager, faire un sport que vous aimez (et pas vous imposer la salle de sport), un bon film en famille… ou juste le plaisir de ne rien faire… chacun fera appel à son imagination ou à ses souvenirs. Vous tous qui me lisez, vous savez très bien ce qui vous fait (ou faisait) du bien.
Concernant le temps, en revanche, c'est une préoccupation constante et je ne développerai qu'un exemple.
Notre temps est fixé par notre activité médicale, qui elle-même conditionne notre rémunération. À ce jour, tout le monde s'accorde, moi le premier, sur l'iniquité du tarif de la consultation en secteur 1 par rapport au temps et à l'énergie qu'elle prend véritablement. Le témoignage d'une de nos consœurs que vous lirez plus loin est en cela édifiant et l'absence de reconnaissance, y compris financière, du travail accompli participe à l'épuisement des professionnels, même au-delà du cadre de la santé. Sur ce sujet des revalorisations tarifaires, j'ai pu travailler avec plusieurs de nos consœurs et confrères très engagés dans les syndicats et je les ai vus contribuer autant qu'ils peuvent à faire bouger les lignes. Nous devons pour le moment accepter cette situation.
Hors du cadre financier, cette notion d'acceptation est importante et mérite que l'on s'y arrête un moment. C'est un facteur important du soin de soi : quand on dit « accepter », il ne s'agit ni de se résigner ni d'être d'accord mais simplement de choisir d'être en paix (sur le moment) avec une situation sur laquelle on n'a aucune prise directe et de ne pas faire l'erreur de sacrifier notre qualité de vie à notre bien-être économique. Prendre du temps pour soi devrait idéalement être une habitude sanctuarisée.
Alors à quel moment peut-on le faire ? Certainement pas sur le temps de la consultation où les professionnels que nous sommes se consacrent pleinement à la prise en charge de nos patients.
En revanche, ces dernières années, le concept de « medics drive » s'est développé et nombre d'entre nous s'y sont laissés piéger : « Juste me faire une ordonnance, docteur, c'est rien ». Certes, pour le médecin qui avait à gérer 200 ou 300 patients et qui faisait une ordonnance ponctuellement trois ou quatre fois par semaine, bien évidemment qu'il n'y avait aucun problème (quoique…). Mais, à ce jour, avec l'augmentation des patientèles, quand 100 personnes vous disent « Mais juste me faire une ordonnance c'est rien !! », que faites-vous ? Certains le font pourtant, parce qu'ils se sentent obligés, dépassés, nonobstant le fait qu'il ne sont pas rémunérés pour cela. En le faisant hors du cadre d'une consultation suite à une simple sollicitation par mail, ils considèrent donc que faire gratuitement une ordonnance, prescrire des médicaments qui sont potentiellement dangereux et pour lesquels ils peuvent être attaqués, n'est rien d'autre finalement qu'un simple fichier Word.
Comment ces mêmes personnes peuventelles alors s'étonner qu'on les paie si mal si elles contribuent à donner de ces ordonnances l'image « d'un simple exercice mental qui n'est que l'application de leurs études qui ne font après tout que 10 ans » ?
Je ne pense pas que mes collègues que je vois passer des heures à traiter ces demandes devant l'ordinateur puissent s'imaginer ce qu'il pourraient faire de ce temps libre : redécouvrir des choses qu'ils aiment, avoir des expériences positives, passer du temps avec des gens qu'ils aiment, avoir une heure rien qu'à eux. C'est ce que raconte notre collègue dans son magnifique témoignage.
Et ceci n'est qu'un détail dans l'organisation. Bien s'organiser, c'est aussi déléguer. Oui, cela prend du temps de former une bonne secrétaire voire, pourquoi pas, de prendre un assistant médical. Mais vous vous posez la question du prix et voyez cela comme un investissement impossible ? Vous pourriez décider, tout simplement, d'arrêter vos consultations à une heure donnée… oui, les délais s'allongeront mais vous n'y pouvez rien. Il faut l'accepter et être en paix avec cela une fois que vous aurez fait tout ce qui est HUMAINEMENT possible. Vous vous poserez aussi la question des honoraires que vous ne toucherez plus en finissant 1 heure plus tôt…
Cette rubrique sera enrichie à chaque numéro et nous travaillerons à vous proposer des solutions pour votre organisation afin que vous ayiez tous les outils pour faire ce premier pas le long du chemin de retour vers votre bien-être, tellement mérité, tellement précieux. Vous le valez bien !!! Nous le valons tous bien !!!
Dr Edouard GHANASSIA
Endocrino-diabétologue,
Echographiste - Sète,
Paris