Lecture critique d’articles

Publié le 30 May 2022 à 09:20

Enseignement à l’Ecole de Kinésithérapie de Paris - ADERF en 2017

Avec l’évolution des pratiques en kinésithérapie mais aussi de la formation initiale, nous avons développé à l’Ecole de Kinésithérapie de Paris ADERF un enseignement auprès des étudiants sur la Lecture Critique d’Articles (LCA) dont nous témoignons ici. La kinésithérapie voudrait valider ses pratiques comme les médecins l’ont commencé depuis les années 1990 avec l’« Evidence Based Medecine » (EBP). Parmi les définitions couramment proposées, on trouve celle de Sackett [1] qui définit l’EBM comme : « [...] L'usage adéquat, explicite et conscient des meilleures preuves pour faire les choix des thérapeutiques à apporter aux patients [...] en intégrant l’expertise clinique personnelle avec l’ensemble des meilleures preuves cliniques disponibles issues d’une recherche systématique d’informations »

Cet esprit de pratique professionnelle avec une décision thérapeutique adaptée selon l’EBP est encore insuffisamment développé chez les étudiants et les professionnels.

Ces derniers témoignent, lors de formations professionnelles, de cette difficulté en évoquant :
• Un manque de temps, d’envie et de savoir-faire pour être efficaces dans la recherche et la lecture d’articles professionnels.
• Un manque d’esprit critique face aux informations.
• Des difficultés à sortir de leurs habitudes et des « recettes pratiques ».

 

 

Les différentes composantes de l'EBP
Pour les étudiants, S. Rostagno [2] fait part des résultats d’une enquête réalisée en 2012 auprès de 298 étudiants lors d’un CIFEPK (Congrès International Francophone des Etudiants en Physiothérapie et Kinésithérapie) sur l'enseignement de l'Evidence-Based Practice dans la formation initiale en masso-kinésithérapie. Les étudiants de 3ème année lisent essentiellement Kinésithérapie Scientifique (49 %) ou Kinésithérapie la Revue (49 %) et seulement 2 % de littérature étrangère.

Pourtant, malgré ces difficultés retrouvées face à la lecture professionnelle, une recherche des occurrences par mots clés dans le Bulletin Officiel (BO) [3] de la réingénierie montre le peu d’importance porté, dans le texte, à cette notion d’apprentissage de la lecture des articles professionnels. Ainsi les mots suivant sont cités :

Lecture - 1 fois en UE 1.
LCA - 1 fois en UE 8.
Article - 4 fois en UE ; 1 fois en UE 9.
Article professionnel - 2 fois en UE 27 ; 1 fois en UE 26.
Méthode d’analyse critique scientifique - 1 fois en UE 27.
Critique - 1 fois en UE 27.

Buts et Objectifs de l’Apprentissage de la LCA
La LCA est un moyen et non une finalité … Le but étant d’être capable, à partir d’une question de terrain d’en tirer une question de recherche de lecture, d’aller plus loin que Wikipédia® ou Google®, de pouvoir balayer des lectures s’étendant des encyclopédies aux publications scientifiques, recommandations, de trouver les informations recherchées rapidement, et enfin avoir un regard critique (niveaux de preuves, biais importants) sur les résultats et les affirmations rencontrées… Ce processus de lecture critique sera rendu possible par une familiarisation progressive par répétitions, avec une exigence croissante et du temps pour s’adapter, pour progresser.

A l’Ecole de Kinésithérapie de Paris nous demandons, dès les premiers stages en 2ème année un compte-rendu de stage, sur une description et un recul d’une technique pratiquée en stage (filmée) : « Analyse de la réalisation d’un mouvement (passif/actif) », et mise en lien avec une bibliographie d’articles.

Nous sensibilisons l’étudiant à s’interroger sur la provenance de la source de l’article et sur son auteur. Ceci a pour objectif de développer chez ce futur praticien curiosité et rigueur :
• Savoir rechercher des lectures répondant à des questions de professionnel.
• Savoir identifier la source de l’information et l’auteur de l’article.
• Savoir trouver les informations pour mieux lire.
• Savoir prendre de la distance sur les faits, les écrits, les affirmations.
• Développer son imagination sur de nouvelles approches… puis vérifier ! …
• Préparer à la méthodologie d’une recherche pour le cycle 2.

Mise en place de l’apprentissage de la LCA
En fin du 4ème semestre, suite à ces soutenances de Rapport de Stages, nous proposons un cours magistral de 4h présentant les types d’articles et leur niveau de preuves, la façon dont ils sont écrits en IMRaD (Introduction, Méthode, Résultat et-and Discussion), comment on y retrouve les informations. Sont abordés alors les différents types de recherches autour d’un « soin ». B. Falissard expliquait ainsi, lors des Journées Françaises de Kinésithérapie (JFK) 2017, les besoins de recherches dans différents champs disciplinaires :
Décrire les soins : Décrire les soignants, leurs formations, leurs pratiques : les soins, comment ils sont menés, présentés, accompagnés dans la relation humaine, …
Expliciter les mécanismes d’action : Comment ça marche ? Recherches fondamentales en physio(patho)logie.
Recueillir l’impression des patients : Etudes qualitatives d’entretien, …
Surveiller les Effets indésirables : Pourquoi certains patients ne répondent pas au traitement, ou s’aggravent ? Par des suivis de cohortes (épidémiologie) avec un maximum d’informations.

Un cours magistral
Dans celui-ci est expliquée la recherche par mots clés selon PICO (Patient ou Pathologie, Intervention, Comparaison, Outcome = évaluation), que les étudiants reprendront avec la BIUS (Bibliothèque Inter-Universitaire de Santé), puis la construction d’un article selon IMRaD :

Introduction : Celle-ci comprend la présentation de l’étude, une étude bibliographique des connaissances actuelles sur le sujet (réf +++), l’objectif de l’étude, et l’hypothèse (toujours à la fin de l’introduction). Matériel et Méthode : Décrit d’abord la population avec les critères d’inclusion et non-inclusion (cela concerne-t-il mes patients ?). Puis la constitution des groupes : suivi de cohorte, comparaison de méthode, groupe contrôle, randomisation ou appariement. Suit la description du facteur étudié : méthode, exercices, posologie (ai-je assez d’informations pour le refaire auprès de mes patients ?)

Résultats : … et rien que les résultats… sans aucune appréciation… Avec un suivi des patients de l’échantillon = Flow-chart (perdus de vue et pourquoi ?). Les résultats peuvent se porter sur toute la population de l’échantillon, dans chaque groupe, puis comparent les groupes. Quel est le critère de jugement : sur quelle(s) évaluation(s) porte l’étude (échelle, mesure). Pour ne pas avoir un « résultat positif » qui sortirait du chapeau par hasard en les multipliant, il est recommandé de n’avoir qu’un seul critère de jugement principal, puis + ou – des critères de jugement secondaires. Ces résultats sont-ils statistiquement significatifs ? (p, IC) mais aussi cliniquement significatifs ? (DCIM).

Discussion : Celle-ci doit rapporter une étude des biais et limites de l’étude, puis comparer les résultats à ceux d’autres études. Et l’article termine par une ouverture et conclusion.

Cette présentation formelle a pour intérêt de trouver une information précise immédiatement.

A partir de ces deux articles de kinésithérapie, en français - pour ne pas décourager les étudiants anglophobes - nous reprenons cette recherche des éléments. Le choix cette année s’est porté sur ces deux articles : le premier compare deux techniques sur des nourrissons en détresse respiratoire, abordant la question de validation de la technique la plus efficace au niveau respiratoire et de sa tolérance. Cet article fut choisi pour provoquer en même temps une discussion sur l’éthique dans la recherche (est-ce éthique d’essayer l’une ou l’autre de façon aléatoire ?).

Le deuxième, plus observationnel, reprenait des connaissances que les étudiants venaient d’acquérir sur l’analyse de la marche ; il permettait également de réfléchir à d’autres méthodologies envisageables pour répondre à cette question (cross-over par exemple). Les demandes de ce TD étaient :
• Trouver les informations avant de lire l’article (IMRaD).
• Chercher, ensemble, la pertinence de chaque information pour l’étude, et si elle présente des biais ou des limites.
• Imaginer une étude répondant plus précisément à la question… moment très libre, les étudiants ont toujours plein d’idées… et on discute de la faisabilité, les problèmes éthiques que cela poserait, etc.

Ce TD reste dans une perspective très « kinésithérapique » (Pinsault, Monvoisin, 2014). L’étude sur des articles de kinésithérapie, et avec un enseignant kinésithérapeute, permet aux étudiants de rester dans une réflexion professionnalisante. Nous avons remarqué des difficultés dans ce premier apprentissage :
• Des réticences à l’anglais, aux biostatistiques et à la recherche : un objectif était d’essayer de lever ces appréhensions.
• Des difficultés à accepter de douter (avec respect des auteurs), à faire la différence entre les recherches à finalité d’observation, de compréhension et/ou de validation, et des confusions pour certains entre critère de jugement et intervention.

La méthodologie proposée et suivie pendant le TD sera, l’année suivante, le point de départ de l’initiation à la recherche.

Acquisition par la répétition
Suit, en septembre : 2h de TD à partir de quelques articles de types différents à préparer par les étudiants, en français et en anglais (lecture de l’été !) : Revue systématique, Étude observationnelle, outil diagnostique, ECR, … dans des champs différents (Musculo-squelettique, Neuromusculaire, Cardio-respiratoire) en lien avec les UE à venir. La demande étant de les lire et les préparer selon la même méthodologie (Landrivon, Gedda). Cette répétition ayant pour finalité une bonne acquisition de la méthode et la mise en confiance des étudiants.

Préparer le Deuxième Cycle
Cet apprentissage, associé à l’initiation aux Biostatistiques, va permettre aux étudiants de comprendre comment préparer une recherche. Celle-ci se construira en troisième année avec un 1er synopsis en décembre (UE 27), des recherches bibliographiques et de la LCA sur la recherche choisie, pour présenter une méthodologie complète au 2ème synopsis en Mai (UE 27).

Le but de la formation initiale est de préparer les étudiants à être des professionnels réflexifs en kinésithérapie et non des chercheurs. Mais il faut les amener à oser se poser des questions sur nos pratiques, oser modifier celles-ci avec les avancées des connaissances et de la recherche… et à lire ce que proposent les autres avec des capacités de recul à chaque fois… Savoir critiquer et savoir apprécier la lecture d’articles nous parait être une approche intéressante pour préparer les professionnels de demain.

Claire MARSAL

Bibliographie
• Sackett DL, Rosenberg WM, Gray JA, Haynes RB, Richardson WS. Evidence-based medicine: What it is and what it isn’t. BMJ.1996 ;312:71-2.
• Rostagno S, Regnaux JP, Remondière R. Place de l’enseignement de l’Evidence Based Practice dans la formation initiale en masso-kinésithérapie-physiothérapie, en 2012. Kinésither Rev, 2013 ;13(134).
• Ministère des Affaires Sociales, de la Santé et des Droits de la Femme. Arrêté du 2 septembre 2015 relatif au diplôme d’État de masseur-kinésithérapeute.
• Landrivon G., Méthode globale de lecture critique d'articles médicaux à l'usage de l'étudiant et du praticien. Ed Frison-Roche 2009.
• Gedda M. Traduction française des lignes directrices CONSORT pour l'écriture et la lecture des essais contrôlés randomisés. Kinesither Rev 2015;15(157).
• Pinsault N, Monvoisin R. Tout ce que vous n'avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles. Ed PUG, 2014.

            Article paru dans la revue “Syndicat National de Formation en Masso-Kinésithérapie” / SNIFMK n°9

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Publié le 1653895246000