Le tutorat de stage : quel partenariat ?

Publié le 1653660093000

Le Décret N°2009-494 du 29 avril 2009 a redéfini les modalités de stage en augmentant notamment la durée des stages cliniques et hors cliniques. De plus, le rôle du tuteur de stage se voit renforcé en lui donnant une place plus prégnante pour l’évaluation du stagiaire. Ainsi, ce texte dessine, en partie, le cadre du partenariat à mettre en place entre les tuteurs de stage et les IFMK. Il convient donc de se pencher sur la formation du tuteur de stage tant sur le fond que sur la forme.

Avant de dispenser une formation pour le tuteur de stage, il convient de définir la notion de tutorat. Celle proposée par Raynal en 2007 met en évidence trois valeurs nécessaires aux acteurs du tutorat, à savoir le tuteur et le stagiaire. Première valeur : il s’agit d’ « un dispositif personnalisé » [Raynal, 2007] sous entendant l’implication, l’auto-évaluation et la capacité de distanciation du stagiaire ; la deuxième valeur concerne la nécessité de responsabiliser les acteurs du tutorat. La troisième valeur aborde la notion d’alternance, avec les liens à établir entre les temps d’apprentissage sur le terrain de stage et ceux en Institut.

Par conséquent, il se crée un partenariat [Comte, 2004] admettant que le tuteur partage le projet pédagogique de l’lFMK dont dépend le stagiaire, et qu’il adopte une posture comportant écoute et empathie. Toutes ces valeurs se retrouvent au travers de l’activité de soins qu’il délivre auprès de ses patients. Subséquemment, à chaque instant du stage, le tuteur doit à la fois être précis et rigoureux dans les soins apportés au patient et à la situation d’apprentissage réelle apportée à l’étudiant, ce qui requiert de la part du tuteur qu’il y soit préparé via une formation. Ces formations doivent mettre en avant les valeurs indiquées précédemment, et également traiter certains concepts afin d’accompagner et de transmettre des outils adaptés aux futurs tuteurs.

La responsabilisation
Tout d’abord, le concept de responsabilité est indispensable à la qualité d’apprentissage et de régulation. Étant donné que le partenariat de stage ne se réduit pas à deux acteurs en raison de la présence du troisième acteur qu’est le patient, la nécessité de l’informer dès la salle d’attente au travers d’un affichage expliquant la présence du stagiaire au sein de l’unité de soin doit être enseignée au tuteur. De plus, la formation du tuteur ne peut se dédouaner d’un rappel des documents à exiger, la convention de stage, la lettre de motivation et d’objectifs de stage de l’étudiant, l’extension de la responsabilité civile professionnelle du masseur-kinésithérapeute comme maitre ou tuteur de stage… De plus, la connaissance, par le tuteur, du niveau des savoirs dispensés par l’Institut dont est issu l’étudiant est fondamentale. Autrement dit : quel est son parcours d’enseignement ? Qu’a-t-il abordé ou pas ? Afin d’éviter l’écueil que le stagiaire applique des techniques de kinésithérapie sans connaitre l’évolution naturelle ou encore le pronostic fonctionnel de la pathologie de son patient. En effet, il est impératif que l’étudiant ne puisse pas être amené à croire qu’il puisse soigner sans savoir. Ainsi, comme le soulignent Argyris et Schön : « un praticien conscient de l’inefficacité de ses gestes éprouve d’autant plus des difficultés à se corriger qu’il existe un écart prononcé entre sa théorie professée et sa théorie mise en pratique » [Argyris et Schön, 1974]. Par conséquent, l’évaluation des connaissances d’un stagiaire semble être la première étape à la construction d’un partenariat donnant des vraies responsabilités pour apprendre tout en protégeant e stagiaire et le patient. En ce sens, la mise en place d’une charte d’accueil du stagiaire, où est mentionné notamment le devoir de chacun des partenaires de faire part de ses limites tant pratiques que théoriques à l’autre, facilite les règles d’usage et de vie en commun pendant le stage. De plus, cela semble être un acte d’engagement personnel et complémentaire à la convention de stage.

L’évaluation
Ensuite, vient le concept d‘évaluation que Raynal détermine comme l’« Action d’évaluer, c’est-à-dire attribuer une valeur à quelque chose : événements, situation, individu, produit, … Tout formateur doit remplir deux grands rôles sociaux : celui de pédagogue (quand il facilite les apprentissages) et celui de sélectionneur (quand il attribue des notes et fait passer des examens) » [Raynal, 2007]. Et c’est bien ce dernier rôle qui pose problème pour le tuteur. En effet, pour guider le tuteur dans la supervision clinique de son stagiaire, il peut lui être proposé d’utiliser, en plus des fiches d’évaluation transmises par les Instituts, le référentiel métier et des compétences des masseurs-kinésithérapeutes pour évaluer le niveau de performances atteint par le stagiaire. Citons, pour exemples, quelques compétences applicables tant au stagiaire qu’au tuteur, « Effectuer un diagnostic des mouvements et gestes avec leurs causes et leurs conséquences sur l’état de santé général d’un patient, … décrire et expliquer une pratique professionnelle, organiser et conduire le débriefing d’une situation de soins, … » [Référentiel, 2012]. Pour développer la faculté du tuteur à évaluer, des mises en situation peuvent lui être proposées en lui demandant de poser une note sur un exemple de bilan d’étudiant anonyme ou encore à partir d’un support vidéographique. Cette note sera confrontée avec celle d’un professionnel plus expérimenté, c’est-à-dire l’animateur de la formation. Par cette démarche, le tuteur, en sachant déceler les erreurs du stagiaire, apprend à réguler ce dernier à bon escient en utilisant l’évaluation contrôle ou formative. Car l’erreur doit se concevoir comme vecteur de progrès, si elle est identifiée, et surtout discutée. C’est en cela que la formation du tuteur doit l’aider à distinguer les nuances entre les erreurs commises soit sur le geste technique (installation, posologie, ergonomie, …), soit sur le comportement par rapport au patient, soit sur le diagnostic, ou encore sur le choix de la stratégique thérapeutique. Pour ce faire, la formulation de la question que le tuteur doit énoncer à son stagiaire est déterminante. Car elle va l’amener à « s’auto-questionner » et à mobiliser ses savoirs et savoir-faire sur un point précis pour mieux apprendre de son erreur. Dans le tableau ci-après sont présentées quelques manières de procéder pour développer les compétences du stagiaire lors de la régulation d’un bilan.

COMPORTEMENT
STAGIAIRE
OBJECTIFS COMMUNS COMPORTEMENT TUTEUR
Identifier des
données du bilan
Différencier / Structurer Qu’avez-vous noté ?
Qu’avez-vous vu ?
Qu’avez-vous trouvé ?
Inférer / Déduire Aller au–delà des données
Trouver des explications
Extrapoler
Qu’est-ce que ceci signifie ?
Quelle image cela crée-t-il dans votre esprit ?
Que concluriez-vous ?

La gestion des conflits Enfin, le concept de la gestion des conflits doit être abordé. Le conflit s’entend au travers des écarts qui apparaissent entre les cours dispensés en Institut et les pratiques rencontrées en stage. Pour que ce conflit soit porteur de sens pour le stagiaire et qu’il devienne un élément d’hétéro-formation (le stagiaire reçoit l’expérience du tuteur) et/ou d’éco-formation (le stagiaire se familiarise avec un nouvel environnement de travail avec ses rites, ses codes) [Carré et al, 1997]. Dans ce sens, le fait de poser par écrit l’écart perçu ou observé est une étape qui contribue à faire prendre conscience au stagiaire ses erreurs. En effet, si le tuteur de stage lit les neufs principes sur le développement des habiletés motrices émis par Argyris et Schön en 1974 et repris par Pelletier en 19941 , il comprendra mieux pourquoi il est obligé de répéter et de corriger sans cesse le stagiaire.

En conclusion, cet exposé ne vise pas être exhaustif sur la question du tutorat de stage, mais à présenter une vision afin de définir les contours pour harmoniser les pratiques. En effet, après avoir exploré les diverses offres de formation sur le tutorat, nous constatons une disparité des offres tant sur leurs durées (oscillant d’une à deux journées, voire une troisième journée à distance), leurs objectifs pédagogiques et leurs coûts. Des tables rondes entre formateurs auraient, peut-être, la capacité à canaliser les volontés pour que le partenariat terrain de stage - Institut soit optimisé pour continuer à améliorer l’acquisition des compétences par l’expérience des stagiaires. Les perspectives de réforme des études en masso-kinésithérapie vont nous amener à reconsidérer la notion de tutorat en ouvrant une voie, qui jusqu’alors était peu exploitée, à savoir : le monitorat. Ce terme a « les mêmes buts que le tutorat mais, dans ce cas, la fonction est assurée par un pair, c’est-à-dire un élève d’une classe supérieure » [Raynal, 2007], il conviendra donc de composer avec les inconvénients et les avantages de cette autre forme d’apprentissage.

Philippe DEAT
Cadre de Santé MK, IFMK Vichy

Références bibliographiques
Argyris C, Schön D. Theory in Practice : Increasing Professionnal Effectiveness. San Francisco: Jossey-Bass; 1974.

Carré Ph, Moisan A, Poisson D. L’autoformation : psychopédagogie, ingénierie, sociologie. Paris : PUF;1997:276p.

Comte D. Des partenaires pour l’école. Les Cahiers Pédagogiques 2004;421.

Ordre des Masseurs-Kinésithérapeutes. Référentiel du métier et des compétences des masseurs-kinésithérapeutes consultable à l’URL : http://www.ordremk.fr/wp-content/uploads/2011/05/referentiel.pdf

Raynal F, Rieunier A. Pédagogie : dictionnaire des concepts clés. Apprentissage, formation, psychologie cognitive (6e ed). Issy-Les-Moulineaux: ESF éditeur 2007:420p.

Quelques conseils de lecture
http://ripes.revues.org/
http://pedagogie.uquebec.ca
Pelletier, G. De l’apprentissage à l’action …une question de style : Le questionnaire.
Université de Montréal;1994.

            Article paru dans la revue “Syndicat National de Formation en Masso-Kinésithérapie” / SNIFMK n°6

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