Le traitement des douleurs neuropathiques par la toxine botulique

Publié le 05 Sep 2023 à 10:54

 

Avec l’Ajmerama, nous souhaitons mettre en avant vos travaux. Aujourd’hui, c’est Tarek EL CHEHAB qui a accepté de nous partager la conclusion de son mémoire de DIU d'étude et de traitement de la douleur, portant sur la gestion de la douleur neuropathique par la toxine botulique.

La douleur neuropathique est un symptôme fréquemment retrouvé en France, avec une prévalence allant de 7 à 10% dans la population générale (1).
Cette grande prévalence impose au Médecin MPR une confrontation fréquente à ce symptôme au sein de son service. Elle reste difficile à traiter, de par sa complexité physiopathologique et les ressources thérapeutiques parfois inefficaces.
La douleur neuropathique étant la conséquence d’une lésion nerveuse périphérique ou centrale, elle associe souvent une composante mixte, nociceptive et neuropathique (exemple : sciatalgie), rendant sa prise en charge difficile.
En 2020, la SFETD a réalisé une revue systématique de la littérature, afin d’émettre de nouvelles recommandations sur les traitements de ces douleurs neuropathiques. La revue effectuée portait sur toutes les études concernant le traitement des douleurs neuropathiques (DN) périphériques et centrales de l’adultes et de l’enfants.

Celle-ci introduit et place la toxine botulinique en seconde intention dans le traitement de la douleur neuropathique focalisée.

Recommandation 2020 de la SFETD

Algorithme thérapeutique des douleurs neuropathiques.

Algorithme thérapeutique proposé pour la prise en charge de la douleur neuropathique de l’adulte. TENS : transcutaneous electrical nerve stimulation ; IRSNA : antidépresseur inhibiteur de recapture de la sérotonine et de la noradrénaline ; rTMS : repetitive transcranial magnetic stimulation
Dans ce nouvel algorithme décisionnel, la toxine est recommandée pour des patients ayant une zone douloureuse peu étendue et avec une sensibilité résiduelle (sans anesthésie totale à la stimulation thermique ou mécanique), et/ou des allodynies mécaniques.
La toxine botulinique est utilisée selon un schéma d’injection sous-cutanée au niveau lésionnel ou péri-lésionnel avec des doses maximales allant jusqu’à 300 UI tous les 3 mois.
Cependant, placée en deuxième ligne d’option thérapeutique, elle garde un niveau de preuve faible malgré deux études récentes françaises de bonne qualité méthodologique.
En effet, les équipes de F. Rannoux et N. Attal (2,3) ont réalisé deux études portant sur l’efficacité de la toxine botulinique dans les douleurs neuropathiques. Les deux protocoles étaient des essais randomisés en double aveugle contre placébo en groupe parallèle.
Au total, 49 patients ont été inclus dans les deux études (respectivement 34 et 14 patients dans chaque bras interventionnel). Ces études ont chacune retrouvé un effet significatif sur l’amélioration des scores de douleur (BPI, NPSI, VAS), et une amélioration fonctionnelle sur les scores de qualité de vie.
Après une recherche sur la base de données Pub-Med, on retrouve 7 méta-analyses mentionnant l’utilisation de la toxine botulinique dans le traitement des douleurs neuropathiques.
La méta-analyse la plus récente datant de 2022 inclut 17 essais randomisés, et retrouve un effet positif significatif en faveur (4).

Physiopathologie

A ce jour, la littérature décrit 4 axes d’action de la toxine pouvant expliquer son effet antalgique. Il est important de faire la distinction entre effet antalgique par diminution de l’hypertonie musculaire et une action au sein des terminaisons nerveuses sensitives (5-7).

Les 4 principales actions retrouvées sont :

  • Blocage de l’exocytose de plusieurs neuropeptides (substance P, CGRP, glutamate);
  • Inhibition de l’activité du récepteur vanilloïdes;
  • Existence d’un transport rétrograde de la molécule (système microtubulaire);
  • Rôle sur la transduction mécanique, avec un effet d’augmentation du seuil nociceptif.

Cependant, il est nécessaire de garder un regard critique sur l’ensemble de ces données. A ce jour, les preuves fondamentales de l’efficacité de la toxine sur les DN ont uniquement été testées in vitro ou sur modèle animal. La plupart des essais cliniques comportent de nombreux biais et des échantillons de patients très restreints.
Il est important de notifier que certains résultats sont controversés. Par exemple, Salehi et al (8) ne retrouvent pas d’amélioration significative de la qualité de vie chez des patients souffrant de neuropathies diabétiques. Finlayson et al. (9) ne montrent aucune différence significative de score SF-36 (score de qualité de vie) entre les groupes.
En somme, après revue de la littérature, la toxine semble être prometteuse dans le traitement des DN. Cependant, ces résultats sont à prendre avec précaution, devant le manque d’études de qualité méthodologique et des cohortes de patients restreintes. Ceci explique cette place en seconde intention dans le traitement des DN focalisées, au même titre que les patchs de Capsaïcine. Le Médecin M.P.R. doit garder à l’esprit qu’en cas d’échec thérapeutique des premières lignes, il existe la possibilité d’utiliser cette molécule dans cette indication (Hors-AMM).

Névralgie Trigéminale

Au travers d’une méta-analyse datant de 2022, quatre articles ont mentionné son utilisation et son efficacité dans les névralgies trigéminales (10,11). Les doses utilisées vont de 75 UI à 100 UI selon l’extension de la zone douloureuse avec des injections sous-cutanées selon un quadrillage centimétrique. Il est injecté 1 ml par point. Un des quatre essais mentionne la possibilité de réaliser des injections au sein de la muqueuse orale s’il existe une extension buccale.

Schéma montrant la zone douloureuse (gris clair) et un exemple de sites d’injection de la toxine botulique (points noirs)

Névralgie post-herpétique (post-zostérienne)

La méta-analyse de Lippi met en évidence deux études de bonne qualité méthodologique (Appala et al et Xiao et al) (12,13). Les deux études ont montré une amélioration de la qualité du sommeil chez des patients souffrant de névralgie post-zostérienne. On note une amélioration de la qualité de sommeil à deux semaines versus le groupe placébo. Les injections étaient réalisées en sous cutanée au sein de la zone douloureuse. En moyenne, les doses de BTX-A utilisées varient de 100 à 200 UI.

Neuropathie diabétique

La revue de la littérature retrouve quatre études portant sur l’efficacité de la toxine sur les neuropathies diabétiques (14). Ces quatre études montrent une amélioration significative de la douleur neuropathique. Le schéma utilisé était des injections sous-cutanées au sein de la zone douloureuse avec des doses allant de 50-150 UI BTX-A selon une grille centimétrique.

 

Exemple de schéma d’injection (100 unités de toxine botulique dissoutes dans 1.2mL de NaCl et injectées dans 12 points sur la face dorsale du pied)

Références

  • Finnerup NB, Haroutounian S, Kamerman P, Baron R, Bennett DLH, Bouhassira D, et al. Neuropathic pain: an updated grading sys-tem for research and clinical practice. Pain. août 2016;157(8):1599-606.
  • Attal N. Toxine botulinique A et douleurs neuropathiques. Bulletin de l’Académie Nationale de Médecine. 1 avr 2020;204(4):379-85.
  • Ranoux D, Attal N, Morain F, Bouhassira D. Botulinum toxin type A induces direct analgesic effects in chronic neuropathic pain. Ann Neurol. sept 2008;64(3):274-83.
  • Lippi L, de Sire A, Folli A, D’Abrosca F, Grana E, Baricich A, et al. Multidimensional Effectiveness of Botulinum Toxin in Neuropathic Pain: A Systematic Review of Randomized Clinical Trials. Toxins (Basel). 27 avr 2022;14(5):308.
  • Durham PL, Cady R, Cady R. Regulation of calcitonin gene-related peptide secretion from trigeminal nerve cells by botulinum toxin type A: implications for migraine therapy. Headache. janv 2004;44(1):35-42; discussion 42-43.
  • Morenilla-Palao C, Planells-Cases R, García-Sanz N, Ferrer-Montiel A. Regulated exocytosis contributes to protein kinase C potentia-tion of vanilloid receptor activity. J Biol Chem. 11 juin 2004;279(24):25665-72.
  • Antonucci F, Rossi C, Gianfranceschi L, Rossetto O, Caleo M. Long-distance retrograde effects of botulinum neurotoxin A. J Neurosci. 2 avr 2008;28(14):3689-96.
  • Salehi, H.; Moussaei, M.; Kamiab, Z.; Vakilian, A. The effects of botulinum toxin type A injection on pain symptoms, quality of life, and sleep quality of patients with diabetic neuropathy: A randomized double-blind clinical trial. Iran. J. Neurol. 2019, 18, 99–107. [CrossRef]
  • Finlayson, H.C.; O’Connor, R.J.; Brasher, P.M.A.; Travlos, A. Botulinum toxin injection for management of thoracic outlet syndrome: A double-blind, randomized, controlled trial. Pain 2011, 152, 2023–2028. [CrossRef]
  • Wei J, Zhu X, Yang G, Shen J, Xie P, Zuo X, et al. The effi cacy and safety of botulinum toxin type A in treatment of trigeminal neural-gia and peripheral neuropathic pain: A meta-analysis of randomized controlled trials. Brain Behav. oct 2019;9(10):e01409.
  • Morra ME, Elgebaly A, Elmaraezy A, Khalil AM, Altibi AMA, Vu TLH, et al. Therapeutic effi cacy and safety of Botulinum Toxin A Therapy in Trigeminal Neuralgia: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. J Headache Pain. 5 juill 2016;17(1):63.
  • Wen B, Wang Y, Zhang C, Xu W, Fu Z. Effi cacy of different interventions for the treatment of postherpetic neuralgia: a Bayesian network meta-analysis. J Int Med Res. déc 2020;48(12):300060520977416.
  • Xiao, L.; Mackey, S.; Hui, H.; Xong, D.; Zhang, Q.; Zhang, D. Subcutaneous injection of botulinum toxin a is benefi cial in postherpetic neuralgia. Pain Med. 2010, 11, 1827–1833.
  • Wang C, Zhang Q, Wang R, Xu L. Botulinum Toxin Type A for Diabetic Peripheral Neuropathy Pain: A Systematic Review and Me-ta-Analysis. J Pain Res. 2021 Dec 16;14:3855-3863. doi: 10.2147/JPR.S340390. PMID: 34938114; PMCID: PMC8687679.
  • Merci à Tarek de nous avoir partagé son travail ! Si vous aussi, vous avez des projets à partager (thèse, mémoire, résultats d’études...), n’hésitez pas à nous les envoyer à cette adresse : [email protected], nous les publierons peut-être dans le prochain numéro !

    Emma PETITJEANS

    Article paru dans la revue « Association des Jeunes en Médecine Physique et de Réadaptation » /AJMERAMA N°05

     

     

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