Le Syngof vous informe : Repérer les femmes victimes de violences intrafamiliales lors de la consultation

Publié le 14 May 2022 à 00:44

Tout gynécologue doit savoir repérer les femmes victimes de violences intrafamiliales, rédiger le certificat descriptif et orienter les victimes vers un réseau médico-social et l’unité médico-judiciaire.


P. SAINT-MARTIN*
propos recueillis par E. PAGANELLI**

E. P : On sait que les femmes qui subissent des violences intrafamiliales passent le plus souvent sous silence les faits dont elles sont victimes. Quels sont vos conseils pour repérer ces violences lors de la consultation gynécologique ?
P. S-M : Le recours aux professionnels de santé est assez fréquent pour les femmes qui sont victimes de violences intrafamiliales, mais le dépistage est difficile. D’une part, en raison d’un manque d’outils pédagogiques pour effectuer ce dépistage et d’un manque d’informations sur les structures et réseaux existants au niveau départemental ou régional pour accueillir, orienter et accompagner leur patiente une fois le diagnostic posé. Et d’autre part en raison d’un manque de temps pour mettre en place un parcours pour la patiente car cet accompagnement s’avère très long. Ainsi, le dépistage constitue le maillon faible dans le repérage et l’accompagnement des victimes. C’est pourquoi les professionnels de santé doivent être formés et disposer des outils pédagogiques pour les aider à dépister. Ils doivent également avoir accès à toutes les informations pour entamer la procédure d’accompagnement de leur patiente.
Il y a deux types de dépistage :
• Le dépistage systématique : réalisé lors de la première consultation avec une nouvelle patiente, les questions sur les violences qui auraient pu être subies dans le passé sont posées parmi les questions habituelles qui servent à constituer le dossier médical de la patiente. Au même titre que les addictions, les comorbidités et divers antécédents. Ce dépistage systématique permet de ne pas stigmatiser la patiente qui se révèlerait victime de violences et contribue à libérer sa parole.
Le dépistage ciblé : il est effectué lorsque la femme présente des symptômes organiques ou somatiques dont les violences pourraient être la cause. Il s’agit alors d’un diagnostic d’élimination, si les précédents diagnostics n’ont pas révélé une cause d’un autre ordre.

E. P : Lorsque le diagnostic est posé, quelles sont les actions à engager par le médecin ?
P. S-M : Lorsque le diagnostic est posé, deux cas de figure se présentent :
La patiente révèle être victime de violences et accepte d’être accompagnée vers les structures adéquates : dans ce cas, un accompagnement doit être mis en place avec les partenaires du réseau qui existent dans tous les départements et qui vont prendre en charge la femme sur des plans différents :
La fédération France Victimes : elle promeut et développe l'aide et l'assistance aux victimes, les pratiques de médiation et toute autre mesure contribuant à améliorer la reconnaissance des victimes
• Les UMJ - Unité Médico-Judiciaire où la femme va être prise en charge par des médecins légistes, des psychologues. La prise en charge à l’Unité Médico-Judiciaire fait partie du processus judiciaire.
Celui-ci peut être initié par la victime suite à un dépôt de plainte, ou suite à une auto-saisine des Forces de Police ou de Gendarmerie ou à une décision du Magistrat lorsque la victime ne souhaite pas entamer de procédure judiciaire (signalement par un tiers).
Les centre de psychotrauma : unité de soins agréée spécialisée dans le traitement médico-psy- chologique des victimes d'agressions, de viols, de violences conjugales, et plus généralement de troubles post-traumatiques.
Les hébergeurs sociaux présents localement pour accueillir, héberger et reloger la femme victime de violences conjugales.

Le médecin doit toutefois garder à l’esprit qu’il ne va pas régler le problème en une seule fois, et qu’il n’a pas d’obligation de résultat. Car la prise en charge va être longue et devoir être adaptée à ce que la femme souhaite. Deuxième cas de figure, la patiente nie les violences subies ou ne veut pas déposer plainte : dans ce cas le médecin est tenu au secret médical, la volonté de la femme majeure doit être respectée mais en tant que médecin il ne peut rester inactif. Il doit en priorité évaluer le risque de péril imminent et proposer à sa patiente de consulter un partenaire (France victimes par exemple) ou un psychologue. Si la patiente ne souhaite pas déposer plainte, c’est souvent qu’elle n’est pas encore arrivée dans son cheminement à l’étape de la séparation et du dépôt de plainte. Dans ce cas, la procédure peut être l’occasion pour la victime d’une prise de conscience immédiate de la situation de violences vécues ou le premier pas dans un long processus qui la conduira progressivement à évoluer vers cette prise de conscience.

E. P : Existe-t-il une coordination des partenaires pour faciliter les dé- marches ?
P. S-M : La coordination de ces partenaires est assurée par la délégation départementale aux droits des femmes et à l’égalité. Elle tient à disposition sur son site la liste des intervenants signataires du protocole départemental de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes.
http://www.prefectures-regions.gouv.fr/bretagne/ Regionetinstitutions/L action-de l Etat/Citoyennete egalite-et-droits-des-femmes/Les-numeros-de-proximite- pour-les-femmes-victimes-de-violence
Au niveau national, la MIPROF (mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains) délivre des kits de formation avec des vidéos destinées aux professionnels de santé pour montrer l’importance du dépistage. https://www.stop-violences-femmes.gouv.fr/ telecharger-les-outils-de.html
Elle indique également la liste des référents urgentistes dans chaque établissement de santé : https://www.stop-violences-femmes.gouv.fr/-les- associations-pres-de-chez-vous-.html
Citons également les formations qui peuvent être mises en place localement, comme celle à l’initiative du col- lège de Gynécologie Centre-Val de Loire et du CDOM 45, signataires du protocole départemental contre les violences faites aux femmes, qui se sont engagés à sensibiliser les médecins au repérage des victimes, à la compréhension des mécanismes des violences au sein de la famille et leurs conséquences et à la prise en charge multidisciplinaire. Leur formation est validée par le Fonds d’Assurance Formation de la Profession Médicale. Elle s’adresse aux gynécologues urgentistes et médecins généralistes libéraux et va être déclinée dans plusieurs villes de la région, en débutant par Orléans, ainsi que dans plusieurs autres régions, parmi lesquelles Paris (le 10 septembre) et Toulouse (courant 2020) - Renseignement et inscription sur le site du FAF-PM – Fonds d'Assurance Formation de la Profession Médicale : https://www.collegegyneco-cvl.com/

E. P : Une fois le diagnostic posé et si la patiente accepte d’être accompagnée, la seconde étape décisive est la rédaction du certificat médical. Quelles sont les règles à respecter ?
P. S-M : J’invite les médecins à faire preuve de la plus grande prudence pour la rédaction du certificat médical. S’il est nécessaire de faire des constatations le plus rapidement possible lorsqu’il y a des lésions traumatiques avant qu’elles disparaissent, il y a également une obligation de qualité et d’exhaustivité. Ces certificats médico-légaux seront inclus dans des procédures judiciaires et joueront par conséquent un rôle important s’il y a dépôt de plainte. Ils vont servir à la victime et aux enquêteurs pour établir la preuve des violences subies et ils pourront être contestés. C’est pourquoi le médecin a obligation de qualité et d’exhaustivité des informations dans la rédaction de son certificat. S’il pense ne pas être en mesure de dresser un constat exhaustif, il est préférable que le médecin adresse la victime à un centre spécialisé dans l’accueil des victimes qui rédigera le certificat. Dans ce cas, le médecin doit organiser le transport de la victime vers l’établissement concerné, sous réserve que la patiente ait donné son accord. Je pense à ce propos qu’il faut encourager le transport des victimes pour qu’il y ait un examen unique à l’endroit où il y aura la prise en charge pluridisciplinaire, car on ne peut pas demander à la victime d’effectuer plusieurs examens.
Si la patiente ne donne pas son accord, le médecin rédigera lui-même le certificat.

E. P : Quel constat dresse-t-on au- jourd’hui concernant le repérage des victimes ?
P. S-M : Nous observons aux UMU une augmentation du nombre de consultations et de violences conjugales détectées. Si les campagnes de sensibilisation et les réseaux mis en place ont la vertu de révéler la parole des femmes, ils mettent à jour un phénomène de grande ampleur et dressent un constat alarmant !
En tant que médecin spécialiste de la femme, vous devez être particulièrement vigilants.
Dans la plupart des cas de violences révélées au médecin, on observe que c’est la femme qui en parle spontanément. Nous devons faire en sorte que le médecin puisse aussi encourager la femme pour faire le dernier pas vers la révélation. Contrairement au médecin généraliste qui est amené à suivre le couple, le gynécologue est l’interlocuteur privilégié de la femme et il doit se saisir de cette opportunité pour l’aider à libérer sa parole.

Article paru dans la revue “Syndicat National des Gynécologues Obstétriciens de France” / SYNGOF n°117

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